
- Le salaire minimum plus élevé que le seuil établi écartera bon nombre de pensionnés
L’annonce d’un soutien mensuel de Rs 10 000 pour les personnes âgées de 60 ans et plus, sans emploi ou à faible revenu, fait grincer des dents. Cette aide, liée à la réforme de la pension de base, viserait environ 7 500 personnes par an, selon le gouvernement. Mais les critères d’éligibilité soulèvent des interrogations.
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Le premier point de friction concerne le seuil de Rs 10 000, alors que le salaire minimum légal à Maurice est actuellement fixé à Rs 17 110 pour les employés à temps plein. Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress (MLC), ne mâche pas ses mots. « Aucun travailleur à temps plein ne touche moins de Rs 10 000. Alors, à qui s’adresse cette aide exactement ? » s’interroge-t-il. Le chiffre avancé par le gouvernement, soit 7 500 bénéficiaires, est erroné. « Même les mendiants dans les rues reçoivent plus de Rs 10 000 par mois », appuie-t-il.
Jane Ragoo, porte-parole de la Confédération des travailleurs des secteurs publique et privé (CTSP), abonde dans le même sens. Selon elle, les critères d’éligibilité sont totalement déconnectés de la réalité.
« Avec un salaire minimum de Rs 17 110, aucun travailleur ne gagne moins de Rs 10 000. Et un ménage vivant avec Rs 20 000 par mois ? Ce n’est presque plus possible avec le coût de la vie. » Elle demande au gouvernement de révéler la méthodologie ayant permis d’estimer le nombre de bénéficiaires.
Haniff Peerun critique également « le manque de transparence » autour de l’origine du financement. « Comment le gouvernement peut-il annoncer cette aide alors qu’il disait récemment que les caisses de l’État étaient vides ? » lance le dirigeant syndical. Pour lui, cette mesure est « un écran de fumée » visant à calmer le mécontentement dans la population. Il reproche aussi au gouvernement de « ne pas avoir consulté les partenaires sociaux avant d’imposer une réforme d’une telle ampleur ». Un avis que partage Jane Ragoo. La syndicaliste déplore que cette annonce arrive en pleine contestation sociale. « Le gouvernement tente de détourner l’attention avec des mesures mal pensées. Il faut des réformes basées sur des consultations sérieuses avec la société civile », dit-elle.
D’ailleurs, elle avance que la CTSP a officiellement sollicité une rencontre avec le Premier ministre pour discuter du projet de réforme de la pension de vieillesse.
Combler un gap temporaire
Pour sa part, l’économiste Bhavish Jugurnath explique que « le salaire minimum est une rémunération imposée par la loi pour un travail à temps plein, obtenue à travers l’emploi, tandis que l’aide au revenu est une prestation sociale destinée à assurer une subsistance de base aux chômeurs ou aux personnes à faible revenu ».
Si l’« Income Support » est trop proche du salaire minimum, cela peut décourager certaines personnes à travailler, notamment dans des emplois pénibles ou peu rémunérés. « En revanche, si cette aide est trop faible, elle ne permet pas de couvrir les besoins essentiels, surtout dans un contexte de hausse du coût de la vie (alimentation, loyer, transport) », dit-il.
L’économiste recommande qu’à long terme, le gouvernement clarifie sa politique et mette en place des mesures pour encourager les pensions contributives, comme cela se fait dans d’autres pays où les citoyens peuvent choisir le montant de leur pension en fonction de leur plan de retraite. « L’allocation de Rs 10 000 est censée combler un gap temporaire et non égaler un revenu lié à un emploi », avance Bhavish Jugurnath.
Cependant, ajoute-t-il, ce montant pourrait s’avérer insuffisant pour vivre décemment, surtout si les prix continuent d’augmenter. Dans ce cas, « le soutien social risque de rester en dessous du seuil de pauvreté ».
En chiffres
Income Support pour les 60 ans
- Montant mensuel : Rs 10 000
- Durée : de 60 à 65 ans
- Date de début : 1er septembre 2025
- Bénéficiaires ciblés chaque année : environ 7 500 personnes
- Proportion des soixantenaires concernés : 46 % (près de 1 sur 2)
- Coût total estimé sur 5 ans : Rs 8,7 milliards
- Versement : mensuel, directement sur compte bancaire
- Autorité responsable du paiement : Mauritius Revenue Authority (MRA)
Conditions d’éligibilité à l’Income Support
- Célibataire/vivant seul: revenu mensuel ≤ Rs 10 000
- En couple/ménage: revenu mensuel combiné ≤ Rs 20 000
Ne sont pas prises en compte dans le calcul des revenus :
- Basic Retirement Pension perçue par le conjoint (Rs 15 000 par ex.)
- Invalidity Allowance
- Lump sum de retraite
- Autres prestations du ministère de la Sécurité sociale
Geeta D., bientôt 60 ans : « Je ne toucherai ni pension ni aide à 60 ans »
Geeta soufflera ses 60 bougies le 15 octobre. Mais, elle ne pourra bénéficier de la pension de vieillesse qu’en 2026. « Comme je suis gérante d’une petite boutique, je ne pourrai même pas toucher l’aide mensuelle de Rs 10 000 proposée par le gouvernement », déplore-t-elle. La dame dit faire partie des premières personnes à ne pas percevoir la pension de vieillesse dès 60 ans. « J’attendais tellement cette pension pour pouvoir vivre décemment », confie-t-elle.
Geeta précise qu’elle doit assumer plusieurs dépenses, à commencer par le loyer du local commercial. « Même si je travaille, ce n’est pas suffisant pour joindre les deux bouts », ajoute-t-elle, espérant que le gouvernement fera marche arrière et rétablira la pension de vieillesse à partir de 60 ans.
Jean Claude, 57 ans : « Je dois travailler trois ans de plus »
Employé comme chauffeur dans une entreprise de distribution, Jean Claude sait qu’il ne touchera sa pension de vieillesse qu’en 2031. « Déjà, à 57 ans, c’est difficile pour moi. Mais je dois continuer à travailler pour subvenir aux besoins de ma famille. Attendre trois ans pour toucher la pension était gérable. Maintenant, avec la réforme, je dois patienter six ans », regrette-t-il. Son épouse, femme au foyer et âgée elle aussi de 57 ans, ne pourra pas bénéficier de l’Income Support dans trois ans. « Mon salaire dépasse Rs 20 000 par mois, donc elle ne sera pas éligible. C’est injuste », affirme-t-il.
Christabelle, 59 ans : « Même avec Rs 10 000, on ne s’en sortira pas »
Femme au foyer, Christabelle espérait pouvoir bénéficier de l’Income Support l’année prochaine. Mais selon les critères définis, elle n’y aura pas droit. « Certes, je suis femme au foyer, mais mon époux est maçon et gagne plus de Rs 20 000 par mois. Notre revenu mensuel dépasse donc le seuil », explique-t-elle. La quinquagénaire trouve « regrettable » que son mari doive continuer à travailler malgré son âge. « Même s’il décidait d’arrêter, nous n’aurions que Rs 10 000 d’allocation. Et aujourd’hui, est-ce suffisant pour vivre ? » s’interroge-t-elle. Rien que pour les factures, le couple dépense plus de Rs 5 000 par mois.
« Avec les prix qui ne cessent d’augmenter, il ne nous resterait presque rien pour la nourriture », déplore-t-elle.

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