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Ile Maurice, ou le trésor africain

La petite île de l’océan Indien s’incruste davantage comme le pilier dans le monde des affaires dans la région sub-saharienne. L’Etat insulaire a fait ses preuves tout comme l’oiseau qui, petit à petit, fait son nid. Ses preuves, nous ne les retrouvons pas que dans les rapports de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international ou l’indice Mo Ibrahim, pour ne citer que ceux-là. Ces preuves, nous les retrouverons dans les initiatives multiples de tout bord de cette petite île, elle qui ne cherche qu'à dépasser son rôle de bon élève sub-saharien.

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Devenue une plateforme compétitive pour l'investissement en Afrique, l'Ile Maurice demeure un trésor africain, avec une amélioration du climat des affaires et un environnement politique d’une stabilité très rare dans la région sub-saharienne. Ce qui pousse certains observateurs à désigner cette stabilité comme la clé de sa réussite.

Toutefois, dès son intégration à l’Union africaine, l’île Maurice a adopté une approche progressive vers une intégration plus profonde des nations africaines. Or, le pays est  très loin d’être le trésor culturel de l’Afrique. A l’île Maurice (il ne faut pas se voiler la face), peu de gens affichent un enthousiasme pour une identité africaine. La majorité de la population qui provient de l’Inde s’approche plus de la péninsule indienne.

Mais que fait le gouvernement mauricien dans ce cas ? Ne serait-elle pas une hypocrisie de la part du gouvernement mauricien de prôner l'ouverture vers l’Afrique alors que le peuple mauricien ne s'intéresse que vaguement à la cause panafricaine ? Cela dit, oublions la cause panafricaine pour un instant mais l’Etat mauricien a-t-il déjà célébré la journée africaine du 25 mai ? Et si le pays le fait, c’est sans doute à huit clos dans une chambre d'un consulat d’un pays voisin de l'Afrique.

Pourquoi donc une telle hypocrisie alors qu'on se vante d’être le numéro un en Afrique ? Comment expliquer le panache diplomatique qui s’enclenche pour toutes raisons commerciales et à toute vitesse quand il s’agit de parrainer le nouveau-né de l’Union africaine – la plateforme économique africaine – mais pas pour commémorer les grands J du continent ? On va sans doute avancer que le pays se trouve hors du continent, que la majorité des citoyens mauriciens provient de l'Inde. On parle ici d’une identité qui peut et doit surtout dépasser celle de l’ethnie ou de la religion. Il y a ceux qui accordent peu d’importance à l'identité mauricienne et qui choisissent loyalement celle de l’Inde ou celle des Européens pour leur gloire. Disons-le d’emblée – s’associer à un continent bousculé depuis toujours par toutes sortes de préjugés et de maux, c’est une histoire à ne pas évoquer de toute manière.

De l’autre côté, on retrouve une multitude d'initiatives. L’île Maurice peut bien se conformer et s’ajuster aux prévisions du modèle de gravité appliqué au commerce, où les coûts commerciaux s’associent considérablement à la distance entre les pays dans un accord commercial. On peut également parler d’autres aspects tels que le langage, les tarifs, ou même l’histoire coloniale. Mais le pays reste néanmoins le bon élève des accords vis-à-vis des Européens avec des chiffres d’échanges import-export dix fois supérieur à ceux de ses partenaires africains. Des questions se posent à ce niveau : de quel renforcement des liens parle l’île Maurice quand des efforts se multiplient de par ses initiatives à la SADC, à la COMESA ou au sein de l’Union africaine ?

Au 21e siècle, l’intégration régionale ne peut se transporter que par les échanges commerciaux. Si Maurice veut être un partenaire exemplaire sur le continent, il doit pousser aux partages au-delà du commerce. Cela peut passer par le partage des cultures, des arts ou des valeurs. Une identité panafricaine se manifestera si, et seulement si, ce partage dépasse le cadre des accords commerciaux.

Il faut toutefois bien admettre que de nombreux échanges entre l’ile Maurice et ses partenaires africains dépassent bien la thématique du commerce. Le pays s’engage sur plusieurs autres plans tels l’éducation avec ses offres de bourses d’études, des ateliers scientifiques ou même des partenariats dans le combat contre le changement climatique. Ce tableau n’est pas si noir que cela. Mais pour un pays qui vise à être une plateforme vers un continent, principalement la région subsaharienne, regroupant 48 pays avec une population d’environ 1 milliard d’habitants, où l’on parle plus de mille langues, avec une superficie de plus de 24 millions de kilomètres carrés, les initiatives doivent suivre une stratégie d’intégration économique certes, mais avec des appuis culturels, sociaux, voire humains. La région subsaharienne est la région qui souffre le plus au monde, avec le plus fort taux de mortalité infantile, la plus démunie, en développement socio-économique et surtout la plus mouvementée sur le plan politique. 

Si l’île Maurice pense que cette dure réalité sub-saharienne ne la concerne pas alors que les bénéfices en termes de marchés économiques sont nombreux à récolter, le mal se trouve justement dans cette hypocrisie. L’identité doit faire la force et unir ainsi les causes. Si le pays ne se donne pas les moyens de pousser son peuple vers une réalisation de la réalité sub-saharienne, le lien qu’il veut tisser vers l’extérieur risque d’être très faible et infranchissable.

Comment voulez-vous qu’un Mauricien se sente africain ou se sente « lié » à l’Afrique alors que dès son plus jeune âge, on lui a inculqué une facette « européenne » de Maurice ? On ne lui parle pas d’une île faisant partie d’un continent avec plus d’un milliard d’habitants. On ne lui parle pas du cinéma africain avec, par exemple, le cinéma nigérian comme le troisième plus gros producteur de films au monde. A Maurice, le festival FESPACO, le plus grand festival de cinéma africain, passe même inaperçu dans un pays qui veut créer une place pour l’industrie cinématographique dans son économie.

Même s’il faudra beaucoup plus qu’une conviction, l’ile Maurice doit désormais fouiller dans son trésor. Si le pays attire les grandes universités européennes, une éducation sur son histoire et parcours en tant qu’une nation africaine reste désormais cruciale pour son rôle d’ouverture vers l’Afrique, l’Asie ou même l’Europe. Cette éducation, formelle ou informelle, peut se tisser dans les salles de classe, au cinéma, au musée, au concert, ou lors de certaines occasions – les grandes dates de l’histoire africaine – par la littérature, mais plus que tout, par une vision, celle d’une Afrique unie au-delà du commerce et de l’économie.

Aujourd’hui, l’ordre mondial se redessine, l’île Maurice et l’Afrique ont la chance de tracer un nouveau parcours ; celui du partage de la diversité culturelle, des arts, des valeurs communes, des unicités, mais aussi des maux et de la souffrance des autres. Si Maurice peut chercher le support de ses voisins africains pour la cause chagossienne, autant le pays doit être au front pour les innombrables causes dans la région sub-saharienne. Si vous dites que l’île Maurice n’est qu’un État insulaire de l’océan Indien, souvenez-vous qu’il demeure le trésor africain, le vrai.

Aksay Lackoo

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