En cette période de campagne électorale, les deux blocs majeurs, soit le régime actuel et l’Alliance du Changement affûtent leurs armes. La santé, plus exactement l’accès aux médicaments et les pensionnés sont les cibles des récentes mesures annoncées. Des mesures populistes avec la quête d’un électorat bien précis qui soulèvent néanmoins des questions quant à leur soutenabilité et leur viabilité. Quelles seront les conséquences de la mise en œuvre de ces promesses ? Le point.
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L’imminence des prochaines élections générales se précise. Le week-end dernier a été animé par les promesses électorales des principaux partis politiques qui, depuis, dominent les débats. Le gouvernement et l’Alliance du Changement se livrent déjà à une bataille de l’électorat à travers des mesures ciblées. Les dernières en date pourraient avoir un impact direct sur la vie des Mauriciens. Après les élections de 2019, Pravind Jugnauth, leader du MSM, a une fois de plus jeté son dévolu sur les pensionnaires. Son discours prononcé dans le cadre de la Journée internationale des personnes âgées le 29 septembre au SVICC à Pailles, a servi de plateforme pour annoncer ce qu’il adviendra de la pension de vieillesse en cas de victoire aux prochaines législatives. Celle-ci sera portée à Rs 20 000 lors d’un éventuel prochain mandat. De plus, le gouvernement promet de rendre les médicaments gratuits pour tous. Un jour plus tôt, soit le 28 septembre, l’Alliance du Changement déballait également ses munitions et orientait ses mesures de soutien aux plus vulnérables de la société.
L’une de ses principales promesses est la double pension pour les veuves et les invalides du troisième âge. L’Alliance du Changement s’engage aussi à garantir des médicaments gratuits uniquement pour les pensionnés.
Stratégie courante
Un économiste fait observer que l’argumentaire de ces deux blocs majeurs avec la tentative notamment de séduire les aînés n’est pas nouveau. Depuis 2005, dit-il, où il y a eu l’annonce de transport gratuit pour les écoliers et les personnes âgées, à chaque fois qu’il y a eu les élections, la surenchère est présente. Ce phénomène serait d’ailleurs observé dans plusieurs pays à travers le monde, avec les récentes élections en France ou encore les échéances de novembre prochain aux États-Unis. « Les politiciens ne parviennent pas à régler les questions économiques et se retrouvent dans un engrenage pour leur survie politique. Ils essayent de donner plus que son adversaire. Cependant, 20 ans après le début de ce jeu, il est temps d’analyser si l’économie parvient à être productive. Plus on donne et plus le peuple a envie de gagner davantage et cela devient un cercle vicieux », fait-il ressortir. À l’in fine, la population locale pourrait devenir un peuple d’assistanat, où le travail n’est pas prioritaire.
Les mesures annoncées, les unes plus populistes que les autres, poussent l’économiste à dire que les prochaines élections sont peut-être les plus importantes pour le pays depuis les 30 dernières années. Pour cause, cela pourrait être les dernières élections pour certains leaders politiques. « La surenchère se poursuit aussi bien du côté de l’actuel régime que de la part de l’opposition en raison de la survie politique », ajoute-t-il. Le fait de cibler les pensionnaires est stratégique. Le pays compte environ 800 000 votants pour une population de 1.3 million. Parmi, on compte environ 250 000 pensionnaires, ce qui représentent un tiers des électeurs. « Les pensionnaires ne tiennent pas compte de ce qu’il adviendra du pays d’ici 30 ans. La roupie a perdu de sa valeur. L’inflation est entrainée par cette faible roupie. L’économie locale ne produit pas suffisamment de richesses », avance-t-il.
Risques
Il faudrait, néanmoins, suivre de près la courbe ascendante du Basic Retirement Pension (BRP) à Maurice. La dette publique du pays se chiffre à Rs 546 milliards à juin 2024. À diverses reprises, l’Article IV du Fonds Monétaire International (FMI) a tiré la sonnette d’alarme sur le système de la pension à Maurice et ses implications. La Banque mondiale et le FMI avaient d’ailleurs suggéré à la Grèce de réduire de 50 % le montant de la pension en 2010 lorsque le pays avait des problèmes économiques non soutenables. Certes, les dirigeants dressent un tableau économique positif. Ceci dit, notre interlocuteur se demande si l’économie mauricienne est aussi performante qu’on voudrait le faire croire. Plusieurs questions restent en suspens, notamment : comment se fait-il que le coût de la vie continue d’augmenter ? Qu’est-ce qui explique la non-disponibilité des devises sur le marché ?
Le Premier ministre dit que le gouvernement a les moyens de financer ces promesses. Cependant, il y a eu une augmentation de la taxe au cours des dernières années, mais aussi l’introduction du Corporate Climate Responsibility (CCR) Levy de 2 %. Ce sont, pour l’économiste, des indications que le gouvernement cherche à avoir plus de revenus. « L’inflation est une taxe invisible. Les politiciens ne peuvent plus regarder la logique de l’économie. Ils sont en mode de survie politique. Ce faisant, ils agissent de manière irrationnelle pour le pays », conclut-il.
La pension de vieillesse à Rs 20 000
L’économiste Eric Ng avance qu’il y a d’abord un manque de clarification sur cette mesure. « Le gouvernement n’a pas précisé à quel moment le montant sera accordé. Si la pension de vieillesse est portée à Rs 20 000 à la fin du prochain mandat, ce ne sera pas un ‘big deal’ », dit-il. Si la pension est actuellement à environ Rs 16 000, en cinq ans, les prix augmenteront probablement de 25 %. « Donc en termes réels, il n’y a pas de véritable hausse. C’est-à-dire que Rs 20 000 dans cinq ans équivaudra à Rs 16 000 aujourd’hui », explique notre interlocuteur. Selon lui, cette mesure est simplement un ajustement du pouvoir d’achat par rapport à l’inflation. « Avec toutes les dépenses du gouvernement de nos jours, l’inflation va sans doute grimper », ajoute-t-il.
Rubina Gunowa, directrice et Country Head d’Enwealth (Mauritius) Limited, affirme pour sa part que toute mesure visant à augmenter la pension de vieillesse de manière conséquente n’est pas soutenable à long terme. « Cependant, nous avons constaté que le gouvernement actuel a tenu sa promesse, faite lors de la dernière campagne, d’augmenter la pension à Rs 15 000 », dit-elle. Toutefois, elle craint qu’avec le nombre de travailleurs en déclin et le vieillissement de la population, le financement de la pension de vieillesse dans les prochaines années soit un véritable casse-tête. « Ainsi, cette mesure pèsera lourdement sur les dépenses du gouvernement et ne sera peut-être pas soutenable à long terme », prévient l’observatrice économique.
Un actuaire du secteur privé estime qu’il sera compliqué d’augmenter la pension à Rs 20 000 pour tous les retraités. Il souligne que de nombreux pensionnaires continuent à travailler après 60 ans. Cependant, la méthode de financement de cette mesure reste inconnue pour l’instant. « Les prix ont doublé durant les dix dernières années. Je crains que la lancée inflationniste ne se poursuive pour pouvoir financer le coût d’une telle mesure », fait-il comprendre.
Médicaments gratuits pour tous, peu importe l’âge
Eric Ng est catégorique. Selon lui, la mesure concernant les médicaments gratuits pour toute la population se fera au détriment des investissements en capital, pourtant nécessaires. « Dans la santé publique, il est crucial d’investir dans des équipements médicaux sophistiqués et modernisés », souligne-t-il. Cependant, il avance que si les investissements en capital sont sacrifiés au profit de la consommation, ce ne sera pas dans l’intérêt de l’économie. « Avec la gratuité, il y aura une demande accrue pour les médicaments, ce qui pourrait mener à une population dépendante des médicaments et même à une pénurie de certains produits », indique-t-il. Pour lui, ce serait plus raisonnable d’investir dans la qualité des services de santé publique, tant en termes d’équipements que de productivité du personnel.
De son côté, Rubina Gunowa souligne qu’il existe déjà une « taxe régressive » sur les médicaments. « Maintenant, la question est de savoir comment la mesure de gratuité sera financée. Les pharmacies pourront-elles encore fonctionner ? Est-ce que cela couvrira les médicaments pour les maladies chroniques ou simplement les paracétamols ? Est-ce que les médicaments seront offerts uniquement dans les hôpitaux publics ? Il faudra attendre les détails de cette mesure pour pouvoir en évaluer sa durabilité », explique-t-elle.
Médicaments gratuits pour les seniors
Même si l’opposition cible une catégorie spécifique de la population pour les médicaments gratuits, Eric Ng estime qu’il serait bon de savoir si tous les médicaments seront concernés par cette mesure. « Est-ce que ce seront les médicaments les plus prisés par les retraités ? », se demande-t-il. Selon lui, ce qui est important dans la mise en œuvre de cette mesure est d’éviter les gaspillages. « Comme dans le passé, lorsque le pain était offert aux écoliers, il faut reconnaître qu’il y avait du gaspillage. Voilà le risque avec la gratuité », affirme l’économiste.
De son côté, Rubina Gunowa estime qu’offrir des médicaments gratuits à une catégorie de personnes est plus « réalisable » que de proposer la gratuité à l’ensemble de la population. « Les personnes avec un revenu suffisant peuvent acheter des médicaments sans faire de gros sacrifices, mais ce n’est pas le cas pour les seniors. Cette mesure pourrait donc les soulager », dit-elle.
Double pension pour les veuves et invalides du 3e âge
Encore une fois, Eric Ng estime que cette mesure manque de précision. « L’opposition n’a pas précisé si la pension de veuve et la pension de vieillesse seraient du même montant », affirme-t-il. Selon lui, quelle que soit la somme, il faudra trouver de nouveaux moyens de financement pour réaliser cette mesure. Rubina Gunowa abonde dans le même sens. Toutefois, elle soutient que la mesure la plus populaire en période de campagne électorale consiste à s’adresser à toutes les personnes âgées plutôt que de viser une certaine catégorie de la population.
Un actuaire opérant dans le secteur privé souligne, pour sa part, que cette mesure est louable. Les actuaires ont souvent discuté du ciblage pour ceux qui sont dans le besoin et cette mesure en fait partie. Il est vrai que les veuves et les invalides ont la pension jusqu’à 60 ans, mais il faut se demander si le montant accordé est suffisant. « Cela ne devrait pas avoir d’impact considérable en termes de coût, tenant compte du nombre de veuves et d’invalides du 3ème âge. Le montant pourrait être insignifiant contrairement à d’autres mesures qui sont annoncées », fait-il ressortir.
Les conséquences de la mise en œuvre de ces mesures
Eric Ng avertit que le pays fait face à un grave déficit budgétaire, avec une dette publique en constante hausse. Il indique : « Moody’s nous surveille de près. Avant les élections, les institutions internationales resteront diplomatiques, mais après, elles dévoileront la réalité économique : les finances publiques seront jugées insoutenables. Si les mesures populistes sont appliquées, le gouvernement n’aura d’autre choix que d’augmenter les impôts, ce qui, selon lui, freinera inévitablement la croissance ». Un avis partagé par Rubina Gunowa. Elle confie : « Toutes ces mesures annoncées impliquent des fonds publics considérables. Pour les financer, le gouvernement devra trouver de nouveaux moyens et cela pourrait passer par une hausse de la fiscalité. On peut aussi s’attendre à un budget déficitaire important à long terme », soutient-elle. Par ailleurs, elle prédit qu’il y aura également des pressions pour des augmentations salariales dans les années à venir.
Pour l’actuaire, une révision du Basic Retirement Pension (BRP) à Rs 20 000 aura un effet boule de neige sur les salaires. Selon lui, la pension doit être corrigée pour être alignée à l’inflation au lieu d’être augmentée à des fins politiques. La question de la soutenabilité intervient également. « Ce serait mieux d’essayer de réduire le taux d’inflation que d’augmenter le montant de la pension. En passant de Rs 15 000 à Rs 20 000, le BRP connaitra une croissance de 33 %, ce qui pourrait être synonyme d’une hausse de la pension de 6 % par année lors du mandat », argue-t-il.
Par ailleurs, la population vieillissante, qui va en s’augmentant ne sera pas sans conséquence sur les dépenses de l’État dans l’éventualité d’une pension de vieillesse à Rs 20 000. Parallèlement, le nombre de contribuables est en baisse et une telle situation incitera davantage l’exode des jeunes.
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