
Dans un monde où l’information est à portée de clic, une nouvelle forme d’illettrisme est en train d’émerger : l’illettrisme informationnel. Comme le souligne Catherine Paya, spécialiste en projets éducatifs numériques à l’Institut Français de Maurice (IFM), les jeunes sont « bombardés de contenus en permanence, sans toujours avoir le temps ou les outils, voire l’esprit critique et ouvert, pour distinguer ce qui est fiable de ce qui ne l’est pas ». Rajen Ballah Permall, Senior Lecturer et Programme Manager en Communication, Media and Journalism à l’Open University of Mauritius, parle d’un enjeu central. « À Maurice comme ailleurs, nous faisons face à un phénomène d’illettrisme informationnel. Les gens savent lire, mais ne savent pas toujours comprendre ou évaluer ce qu’ils lisent sur Internet. »
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Cette saturation d’informations, couplée à la quête du sensationnel, rend l’internaute particulièrement vulnérable à la désinformation. Loganaden Velvindron, expert en cybersécurité, le constate : « Beaucoup de personnes ont tendance à croire au sensationnel. Beaucoup de désinformation en ligne essaient d’attirer l’attention des lecteurs de cette façon. Même avec un certain niveau d’éducation, il est possible de tomber dans le piège. »
Rajen Ballah Permall va plus loin. Pour lui, l’un des symptômes les plus parlants de l’illettrisme informationnel reste la diffusion de fake news. « Beaucoup de gens partagent des informations fausses parce qu’elles viennent confirmer ce qu’ils pensent déjà », observe-t-il. Ce mécanisme repose sur des biais cognitifs : une fake news semble d’autant plus crédible qu’elle correspond à une idée préconçue. « Ces contenus jouent sur l’émotion, la peur, la colère ou la compassion, et c’est ce qui pousse à cliquer et à partager sans prendre le temps de vérifier. » Et puis, précise-t-il, la confiance accordée à la personne qui transmet joue un rôle capital : « Si un proche, un professeur ou un médecin partage une information, on aura tendance à y croire immédiatement. »
Ce phénomène est d’autant plus dangereux que la désinformation peut avoir des conséquences sociétales graves, souligne Rajen Ballah Permall : « Dans le domaine de la santé, des rumeurs infondées sur les vaccins ou les traitements peuvent avoir des effets dramatiques. Dans le domaine politique, des fake news peuvent manipuler les électeurs et déstabiliser les institutions. » Il met en garde : lorsqu’une société perd la capacité à distinguer une information fiable d’une rumeur, « c’est tout l’édifice social et démocratique qui se trouve menacé ».
Esprit critique
L’intelligence artificielle (IA), bien qu’elle puisse être un outil puissant pour démêler le vrai du faux, peut également être utilisée pour la désinformation (via les deepfakes, par exemple). Toutefois, Catherine Paya estime que l’IA n’est pas un danger en soi : « L’IA peut être un formidable allié si elle est utilisée dans un cadre pédagogique clair. » Elle peut par exemple détecter des images falsifiées ou comparer rapidement des sources. Encore faut-il l’encadrer : transparence (expliquer son fonctionnement), formation (donner les bons usages) et responsabilisation (montrer les risques comme les deepfakes).
Les experts sont unanimes : la capacité à vérifier l’information est la première ligne de défense contre la désinformation. Catherine Paya insiste sur le développement de quatre réflexes essentiels pour naviguer en ligne : vérifier - croiser les sources, identifier l’auteur et la date ; questionner - se demander « pourquoi me montre-t-on cela ? » ; comprendre - connaître le fonctionnement des réseaux sociaux et de leurs algorithmes ; penser par soi-même - se rappeler que « l’IA n’est qu’un outil, pas une autorité ».
Loganaden Velvindron conseille, par ailleurs, de « s’abonner uniquement aux sources d’information fiables » et de « ne pas passer par des intermédiaires douteux ». Rajen Ballah Permall complète : il faut regarder la source, l’auteur et se méfier des titres sensationnalistes ou des « fautes de langue, qui sont souvent révélatrices », ainsi que de « l’utilisation d’anciennes photos recyclées dans d’autres contextes ».
Réponse collective
Les trois experts insistent sur la nécessité d’une réponse collective, qui passe avant tout par l’éducation. Rajen Ballah Permall estime que la solution réside dans l’intégration d’un cours de Media Literacy dans les écoles, qui permettrait aux jeunes de « développer un esprit critique et à devenir des citoyens de l’information ».
De son côté, Loganaden Velvindron préconise le fact-checking comme réflexe vital, et imagine un avenir où les plateformes « seront équipées pour informer le lecteur que certains contenus n’ont pas été verifies », s’inspirant du modèle collaboratif de Wikipédia.
Cependant, cette bataille pour l’esprit critique ne peut pas se limiter à l’école. Tous les acteurs de la société doivent s’impliquer. Catherine Paya évoque l’importance des « nombreux acteurs locaux [qui] travaillent eux aussi sur ces sujets essentiels pour notre jeunesse ». Elle cite notamment JA Mascareignes, Women In Tech ou encore l’IFM. Les résultats sont là : « Dès qu’on leur donne des outils et une grille de lecture, les jeunes deviennent vite plus critiques et responsables. » Elle ajoute : « C’est très important que nous unissions nos forces et nos valeurs pour renforcer ensemble cet impact positif. » Loganaden Velvindron rappelle que « la vigilance est l’affaire de tous ». Rajen Ballah Permall insiste, lui, sur la responsabilité de chaque internaute : « Publier une information, c’est aussi assumer ses conséquences. »
Malgré les défis, les experts gardent un regard optimiste sur l’avenir. « Les nouvelles générations vont grandir et avancer avec cette révolution numérique et de l’IA », pense Catherine Paya. Elle insiste sur le rôle des adultes pour « apporter notre guidance, notre sagesse et nos connaissances pour aider nos jeunes Mauriciens à avancer avec confiance, esprit critique et ouverture ».
La solution à l’illettrisme informationnel réside dans un effort collectif pour éduquer et responsabiliser chaque citoyen à la lecture critique de l’information. Rajen Ballah Permall résume : « Devenir citoyen de l’information, c’est apprendre à se protéger soi-même face aux pièges de la désinformation. »

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