Interview

Gaetan Siew, président de la Port-Louis Development Initiative : «Les problèmes dans la capitale sont souvent interconnectés»

Gaetan Siew

Architecte, envoyé spécial de UN Habitat pour Maurice et président de la Port-Louis Development Initiative, Gaëtan Siew effectue un audit de la situation dans la capitale. Il parle des projets et de leurs contributions futures pour faire de Port-Louis une ville moderne, tout en maintenant son cachet unique.

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Le dimanche 17 février, après trois heures de fortes pluies, la capitale était coupée du pays. De quoi souffre Port-Louis à chaque averse orageuse ?
Toute l’île Maurice souffre d’un manque de résilience. Il nous manque à tous la capacité de nous adapter au changement climatique, aux défis de l’environnement et de l’apprivoisement du développement, afin d’être en harmonie avec la nature. Nous n’avons pas assez pris le temps de réfléchir et de planifier, selon les normes. Aujourd’hui, nous constatons l’impact de ce manquement. Tout n’est pas qu’une question de planification. Il s’agit aussi d’un mode de vie. Ce matin (mardi 19 février), j’ai vérifié les drains devant mon bureau. En sus des détritus habituels, quelqu’un y a jeté un tube de néon. D’où vient tout cela? Ce n’est qu’un drain, censé canaliser l’eau en cas de pluies, pas une décharge.

Pourquoi la capitale, vitrine du développement mauricien, se retrouve-t-elle dans cette situation ?
Voyons la position de Port-Louis sur la carte. D’un côté, il y a une rangée de montagnes en forme de fer à cheval. À l’autre extrémité, nous avons la mer. Le fond de la vallée, c’est le Jardin de la Compagnie, le point le plus bas entre la mer et les montagnes. Qu’est-ce qui explique la construction du Ruisseau du Pouce par les Français ? Ils ont tenu compte du fait que l’eau descend sous l’effet de la gravité. Tout passe par ce canal. Maintenant, vous construisez sur tout ce tracé, empêchant l’eau de voyager sans encombre vers la mer. Comme disent les Anglais, « water finds its own level. » Elle cherche le chemin le plus court. Le niveau monte aux endroits où les passages sont limités.

Vous affirmez donc que les bâtisseurs de Port-Louis ont vu juste avec le système de drains ?
Oui. Faites le parcours d’une extrémité à l’autre du Ruisseau du Pouce. Regardez le volume de détritus. Vous comprendrez alors pourquoi Port-Louis est inondée au niveau du Caudan. La largeur en moyenne est de 14 mètres. C’est énorme. Mais elle a été modifiée. Dans le passé, avant le développement accéléré, la terre absorbait les eaux de pluie. Le surplus suit la pente et prend la direction de la mer. Si on bétonne sa cour et on construit des murs, comment est-ce que l’eau trouvera sa voie ? Si jamais l’eau trouve un drain, elle se heurtera à des détritus qui font obstacle à son évacuation. C’est le résultat d’un geste répété 200 000 à 300 000 fois.  On remet de l’ordre. On nettoie les drains. On retrouve les surfaces non-pavées. On plante plus dans la capitale. De fait, les jardins absorberont en partie l’eau, tout en donnant de l’ombre et en faisant baisser la température. Après, on aura une évacuation plus facile vers la mer. Si on commence à réfléchir de manière plus innovante, on peut collecter cette eau pour l’utiliser à bon escient, comme cela se fait à Singapour et en Afrique du Sud, à Durban.

Quel plan d’action préconisez-vous pour remédier à cette situation critique dans la capitale ?
La première étape serait de remettre à jour l’ensemble des infrastructures d’antan. On emploie des gens pour nettoyer et réparer. Mais il faudrait que toute la population participe à cet exercice, qu’elle nettoie devant sa porte, qu’elle laisse l’eau suivre sa route, qu’elle évite de polluer. Pour y parvenir, il faut une communication, un plaidoyer soutenu.

Il nous manque à tous la capacité de nous adapter au changement climatique»

Êtes-vous de ceux qui croient que des lois environnementales plus strictes et répressives sont requises pour ramener la population à la raison ?
Avec le dialogue, la persuasion, l’échange sur les meilleures pratiques, nous pouvons faire avancer cet agenda.

Cela sera-t-il suffisant ? Le mal n’est-il pas plus profond ?
Tout cet épiphénomène est l’un des symptômes d’un mal un peu plus grave de toute la ville. Si je demande aux citadins d’énumérer dix problèmes dans la capitale, ils m’en dresseront une liste de 20 : congestion routière, sécurité, parking, chaleur, inondations en cas de pluie. Tout le monde le sait depuis longtemps.

Face à cette accumulation de problèmes, qu’est-ce qu’a fait la Port Louis Development Initiative (PLDI) pour que tous ces phénomènes négatifs fassent partie du passé ?
La PLDI ne propose pas un unique projet. Elle soutient bien davantage un ensemble de projets qui, à leur tour, font partie d’une vision globale. Les problèmes sont souvent interconnectés. Et une solution peut en résoudre trois ou quatre d’un seul coup. Pour que ce soit réalisé, nous nous sommes attelés à faire trois choses. La première a consisté à dégager une vision globale de la ville. Nous avons recruté pour cela une firme britannique, Broadway Malyan. Elle nous a soumis un plan directeur où se retrouvent un inventaire et une analyse des problèmes, les atouts de Port-Louis et les raisons pour lesquelles ces aspects ne sont pas mis en valeur, comment tirer profit de l’ensemble et transformer des difficultés en atouts. Le document comprend aussi un volet environnemental. L’aspect socio-économique est également abordé, car on peut associer beaucoup d’opportunités d’affaires à un cadre revisité et au volet culturel.
Actuellement, nous travaillons avec MasterCard International pour proposer une série de solutions digitales pour la ville. Pour la capitale britannique, par exemple, il existe des applications comme Visit London, donnant entre autres des indications sur des restaurants, des musées et des parkings. Nous cherchons à réadapter ce concept au pays, sous le nom de Visit Mauritius, cela en partenariat avec MasterCard.

Qu’en est-il des projets infrastructurels dans la capitale ? Est-ce suffisant d’insuffler une nouvelle vie dans Port-Louis ?
À ce jour, il y a déjà des projets, avec des investissements totalisant Rs 11 milliards, qui sont soit en construction ou déjà bouclés. Parmi les chantiers en cours, nous retrouvons l’aquarium du groupe Eclosia, le nouvel immeuble de United Docks, Victoria Square Terminal, le bâtiment de CIM à La Chaussée et la Cour suprême à la rue Edith Cavell. Les travaux à la gare de l’Immigration démarrent au mois d’avril. Entre-temps, l’aile rénovée du Port-Louis Waterfront est déjà opérationnelle.

Port-Louis, c’est aussi de vieux bâtiments…
La capitale abrite des bâtiments historiques. Après l’exercice de rénovation, ces bâtiments viendront s’ajouter aux nouvelles infrastructures. Parmi, on retrouve les Casernes Centrales, les vieilles prisons, La Citadelle.

Pourrait-on craindre que tous ces projets prennent forme dans un vide juridique ?
Il existe un cadre légal. Mais votre question m’amène à la deuxième action engagée par la PLDI et suggérée plus haut. Nous avons recruté le cabinet Ernst&Young, qui est invité à analyser à un plan commercial les propositions de notre Master Plan, combien cela va coûter, pour quels bénéfices et avec combien d’emplois créés. Ernst&Young nous a fait un rapport. À la suite de l’étude d’Ernst&Young, nous avons eu un atelier de travail avec la municipalité, le ministère des Infrastructures publiques, l’Economic Development Board, les représentants du secteur privé et des organisations non-gouvernementales. Nous avons proposé une série de mesures afin que ce plan-directeur ne reste pas lettre morte. Et le gouvernement a inclus certaines recommandations dans le discours budgétaire 2018/2019 pour l’ensemble du pays.

Ainsi, le National Regeneration Scheme a pris force de loi suite à l’adoption du Budget. Il y a des mesures incitatives. Prenons l’exemple du Ruisseau du Pouce ou d’une artère convertie en rue piétonne. Les deux restent la propriété de l’État mais, désormais, quand une entité investit dans le domaine public, elle peut bénéficier d’un avantage fiscal.

Des investissements de Rs 42 milliards seront requis sur une période de cinq ans pour transformer la capital»

Le plan directeur est là. Le cadre légal semble bien ancré. Mais où trouverez-vous le financement ?
D’abord, voilà ce que nous dit Ernst&Young : des investissements de Rs 42 milliards seront requis sur une période de cinq ans pour transformer la capitale en un espace de vie convivial et moderne. Quelque 9 200 emplois permanents seront créés, indépendamment des 15 600 jobs à pourvoir pendant la période de construction. Les recettes additionnelles pour les entreprises dans la capitale augmenteront de Rs 6,3 milliards. L’État recevra pas moins de Rs 1,1 milliard sous forme de taxes diverses.

Venons-en maintenant au financement, ce qui m’amène à notre troisième action stratégique. Nous travaillons avec la firme Ocorian pour la création d’un Real Estate Investment Trust, qui gérera le financement local et international. Ce trust sera le bras exécutif financier pour l’ensemble de ces projets. La Banque africaine de développement est très intéressée. Cet organisme peut désormais financer des projets du secteur privé, à condition qu’ils aient une portée nationale et sociale, avec des bénéfices économiques.

Donc, le secteur privé compte emprunter Rs 42 milliards pour financer tous les projets ?
Non. Des investissements de Rs 11 milliards sont en cours. Dans deux ans, ces projets seront complétés.

Qu’en est-il du facteur humain dans cette vision moderne pour la capitale ?
Prenons un seul exemple. Les deux gares aux deux points d’entrée dans la capitale disposeront de 2 000 places additionnelles de parking. Chaque gare gère 80  000 passagers chaque jour. Avec le Metro Express et les parkings, ce sera 100 000 à 125 000.

La capitale souffre d’un problème d’embouteillage et de parkings. Est-ce que le plan apporte des solutions à ces maux ? Est-ce que le Mauricien sera d’accord pour garer sa voiture et marcher quinze minutes pour atteindre sa destination finale ?
Pourquoi pas ? Ça marche à l’étranger. Cela ne signifie pas qu’à l’étranger les usagers sont plus disciplinés que les Mauriciens. C’est la force des circonstances qui dicte le choix final. Pour un particulier à Paris, avoir une voiture est un casse-tête : contraventions, retard parce qu’il faut trouver un parking. Au final, il prend le métro ou le bus.

À Maurice, nous avons déjà 550 000 véhicules pour une population de quelque 1,3 million. Les nouvelles routes ne pourront pas rattraper la progression du nombre de véhicules. Mais, si le système de transport en commun s’améliore, l’accès à la capitale sera plus rapide.

Le transport public a sa part dans la congestion routière, surtout aux heures de pointe. Comment y remédier ?
Actuellement, nous menons une étude sur la gare de l’Immigration, à l’entrée nord de la capitale. Par jour, il y a 400 bus qui rallient la côte ouest, soit Rivière-Noire, Tamarin, Albion et Pointe-aux-Sables. C’est une aberration. Nous proposerons aux autorités que ces bus s’arrêtent à un des points d’arrêt du Metro Express en dehors de Port-Louis. Pour le même coût de ticket, le passager pourra rallier les gares Victoria et Immigration Square. Et ce sera 400 bus en moins dans la capitale.

 

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