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Financement politique : l’opposition parlementaire s’interroge sur les intentions du gouvernement

Le mardi 11 avril, à l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a laissé entendre qu’il compte proposer un texte de loi pour réglementer le financement des partis politiques. En juillet 2019, il y avait eu une première tentative.

Après des débats parlementaires, le Political Financing Bill n’avait pas été soumis au vote, car la majorité des 3/4 pour le faire adopter avec ses amendements constitutionnels n’était pas réunie. 

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Est-ce qu’une nouvelle tentative aura un meilleur sort ? Rien n’est moins sûr, car l’opposition est en faveur d’une réglementation, mais sceptique par rapport aux intentions de Pravind Jugnauth. 

« Il faut une bonne loi sur le financement politique, mais ce n’est certainement pas le Mouvement socialiste militant (MSM) qui proposera avec un texte de loi valable. Nous avions trois objections concernant son faux projet de loi, en 2019. On ne peut pas avoir un bon texte de loi sans financement par l’État. À Maurice, avec la victimisation politique, on ne peut pas nous contraindre de rendre public le nom des donateurs. Puis, nous trouvions que les seuils des dépenses des candidats étaient trop élevés », explique Paul Bérenger, leader du Mouvement militant mauricien (MMM).

Pour lui, il est normal que la supervision du financement politique soit placée sous la responsabilité du commissaire électoral et de l’Electoral Supervisory Commission (ESC). 

Toutefois il fait remarquer que « l’ESC a été énormément politisée, ces derniers temps, par le MSM ». 

Selon le leader de l’opposition et du Parti mauricien social-démocrate (PMSD), Xavier-Luc Duval, l’intention du Premier ministre est « tellement farfelue qu’on n’a même pas pris ça en compte ». Il rappelle que son parti est aussi totalement en faveur d’une réglementation par rapport au financement des partis politiques. 

« J’avais d’ailleurs présidé le comité ministériel sur le financement politique. » En décembre 2015, Xavier-Luc Duval, alors n° 2 du gouvernement, avait été nommé à la tête de ce comité ministériel. En avril 2016, il avait soumis un rapport sur le financement des partis politiques. 

Quel est l’avis du Parti travailliste (PTr) sur le financement des partis politiques ? « On ne prend pas le Premier ministre au sérieux. Il veut en faire un outil politique entre ses mains. Son but est juste de faire des propositions qu’il sait qu’on n’acceptera pas. Il jettera ensuite le blâme sur ses adversaires politiques. Puis, je ne le vois pas faire de propositions à quelques mois des élections générales. Le financement des partis politiques ne devrait pas être une question politique », déclare le président du PTr, Patrick Assirvaden.

Quand le Premier ministre évoque le financement des partis à l’Assemblée nationale

Pravind Jugnauth a annoncé, le mardi 11 avril, son intention de proposer un nouveau texte de loi sur le financement des partis politiques. En réponse à la députée du MSM, Subhasnee Luchmun Roy, le chef du gouvernement a indiqué qu’il y aura des changements par rapport au texte de loi de 2019. Celui-ci n’avait pu rassembler une majorité de 3/4. « Depuis novembre 2019, je dirige un nouveau gouvernement avec de nouveaux partenaires politiques et nous tiendrons des consultations sur la réforme électorale que le gouvernement souhaite engager, y compris sur le financement des partis. Une fois que le gouvernement aura présenté une proposition et une formule de financement des partis politiques, des consultations auront lieu avec l’Electoral Supervisory Commission, le commissaire électoral et les autres parties concernées. »

Quelles étaient les objections des partis de l’opposition ?

Aucun parti de l’opposition parlementaire ne contre la nécessité d’une loi pour réguler le financement des partis politiques. Ils étaient cependant contre certains points importants du texte de loi de 2019.
Un point important était que les noms des compagnies donateurs et les sommes données aux partis politiques devaient être soumis à l’ESC. Les membres de l’ESC sont nommés par le président de la République sur l’avis du Premier ministre. Depuis plusieurs années, l’opposition proteste contre la présence de certaines personnes au sein de l’ESC. Ceux-ci seraient proches du pouvoir en place. Le MMM, le PTr et le PMSD avaient fait observer que les donateurs s’exposaient à des sanctions de la part de l’État. La compagnie X qui a donné Y somme d’argent à un parti de l’opposition pourrait subir des pressions de la part du gouvernement.
Le MMM et le PMSD n’approuvaient pas que la proposition de financement partiel par l’État des activités politiques, comme cela se fait dans beaucoup de pays, avait été enlevée du projet de loi.
L’opposition avait aussi estimé qu’il y aurait trop de pressions sur le trésorier d’un parti. Car il devait être le seul à conserver tous les reçus des dépenses et à accepter les donations.
L’opposition avait aussi déploré que ses propositions n’avaient pas été retenues.

Les propositions du Political Financing Bill de 2019

  • Le Political Financing Bill comportait une série de propositions pour assainir le financement des partis politiques. Voici les principales propositions que comportait le projet de loi :
  • Pouvoirs d’inspection, de vérification, d’enquête et de sanctions accordés à l’Electoral Supervisory Commission (ESC)
  • Obligation d’enregistrement de chaque parti politique auprès de l’ESC
  • Toute donation doit être faite au trésorier du parti
  • Les dons provenant d’individus, d’entreprises d’État, de corps parapublics ou religieux, d’ONG recevant des subventions de l’État, d’un étranger, d’un fonds CSR, d’un gouvernement étranger ou d’une entité étrangère sont interdits
  • Les détails de tout don provenant d’une compagnie doivent être enregistrés dans un « Register of donations » et effectués par chèque. Ces renseignements doivent être soumis à l’ESC.
  • Les partis politiques doivent préparer un rapport annuel audité contenant tous les détails lorsque les revenus ont dépassé le million de roupies. Ces données doivent être soumises à l’ESC.
  • L’ESC peut nommer un auditeur pour effectuer des vérifications.
  • L’ESC préparera un « statement of accounts » pour chaque parti politique et le soumettra à l’Assemblée nationale tous les ans.
  • Aux élections générales, le plafond des dépenses d’un parti sera de Rs 1 million par circonscription et de Rs 1 million par candidat. Si le candidat n’appartient à aucun parti politique, le plafond sera de Rs 1,5 million.

Milan Meetarbhan, constitutionnaliste : «C’est nécessaire depuis très longtemps, mais…»

Le constitutionnaliste Milan Meetarbhan soutient que l'adoption d'une loi sur le financement des partis politiques est essentielle depuis un certain temps déjà. Toutefois, il reconnaît que la mise en place d'une telle loi n'est pas une tâche facile.

« Lorsqu'on aborde la question du financement politique, il est crucial de considérer le cadre réglementaire dans lequel il s'inscrit. À Maurice, les partis politiques n'ont de reconnaissance légale qu'en période électorale, et ne sont pas soumis à une réglementation spécifique en dehors de ces périodes. Établir une reconnaissance juridique permanente pour les partis politiques faciliterait la gestion de leurs finances. En effet, une fois qu'un parti a une reconnaissance juridique, il est tenu de soumettre ses comptes et de respecter certaines obligations en matière de transparence financière, entre autres », explique-t-il. De son point de vue, « il n'y a aucune raison pour que les partis politiques ne soient pas soumis à ce régime ». 

Pour Me Meetarbhan, « quand on parle de financement, on doit aussi parler du financement public, c'est-à-dire de subventions. Est-ce qu'un État doit accorder une subvention aux partis politiques dans la mesure où ces derniers sont des acteurs de la vie politique ? Il ne faut pas qu'un parti qui a plus de moyens ait des avantages par rapport aux autres. C'est pourquoi dans la loi, il y a un plafond de dépenses ».

Un autre point important est la mise en pratique de la loi sur le financement politique. « Avec un nouveau cadre réglementaire, dans quelle mesure y aura-t-il une mise en application de la loi et qui en sera responsable ? », se demande-t-il. Le constitutionnaliste souligne que dans tous les pays ayant un cadre réglementaire pour les partis politiques et la gestion de leurs finances, il est crucial que cela soit fait de manière honnête et sans instrumentalisation de l'arsenal juridique pour affaiblir les adversaires politiques du régime en place.

Il se demande également ce qui se produit lorsqu'un parti minoritaire obtient plus de sièges au Parlement grâce à notre système électoral. Il explique que si le financement public est attribué en fonction du nombre de sièges obtenus, un parti minoritaire pourrait potentiellement recevoir plus de financement public que les partis majoritaires.


Avinaash Munohur, politologue : «L’État peut financer les partis politiques»

Pour Avinaash Munohur, politologue, « il faut d'abord voir le projet de loi qui sera proposé ». Toutefois, il est urgent de mettre de l'ordre dans le financement politique. « Je préconise une reconnaissance juridique effective des partis politiques, qui pourrait être mise en place par le biais d'un Registrar des partis politiques. Cette mesure permettrait à une entité de superviser les financements politiques et de vérifier les comptes », indique-t-il.

Il estime qu'il est également important de réfléchir à un financement public des partis politiques, où l'État serait chargé de financer les activités politiques des partis. « Le financement public des partis politiques permettrait d'éviter que de l'argent extérieur ne soit injecté dans le processus électoral lors des élections. Ce financement permettrait également d'imposer certaines conditions aux partis politiques, comme la tenue d'élections internes pour renouveler l'état-major des partis », fait ressortir Avinaash Munohur.

« Si on veut assainir et moraliser la vie publique, il faut vraiment aller jusqu’au bout », affirme-t-il. Cependant, l'un des défis à relever consiste à mettre en place un système qui ne freinera pas l'émergence de nouvelles formations politiques. 
 

 

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