
Avec des recettes annuelles dépassant les Rs 4 Md et un prix moyen par singe qui a presque triplé en 10 ans, l’exportation de primates est devenue une manne financière majeure, attisant autant d’intérêts que de critiques.
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L’exportation de singes, principalement des macaques à longue queue, suscite, depuis des années, un débat passionné. Elle oppose enjeux économiques, éthiques et environnementaux, sous la pression constante d’ONG locales et internationales. Pas plus tard que samedi, le collectif Monkey Massacre in Mauritius est monté au créneau. Lumière sur un secteur plutôt discret.
Dans les faits, il s’agit d’un business particulièrement lucratif et profitable, représentant Rs 4 Md par an en chiffre d’affaires. Il engendre plusieurs centaines de millions en profit, dominé par un cercle restreint de six opérateurs principaux. Le business a connu une croissance spectaculaire au cours de la dernière décennie, notamment avec la pandémie de COVID-19 et l’augmentation des besoins en vaccins et traitements. La demande de singes de laboratoire s’en est ainsi fortement accrue. Mais cela ne plaît pas à tout le monde, au contraire. ONG locales et internationales dénoncent avec force ce qu’elles considèrent comme de l’exploitation. « Notre pays est devenu l’épicentre de l’expérimentation animale », déplore Mansa Daby, fondatrice du collectif « Monkey Massacre in Mauritius ».
En conférence de presse samedi, elle dénonçait « une industrie extrêmement lucrative qui génère des millions, voire des milliards. Mais combien en bénéficie réellement la population » ? Elle déplore qu’à Maurice, « il n’existe aucun comité d’éthique et aucune transparence, faute d’un Freedom of Information Act ».
Pour leur part, les gros opérateurs du secteur, rassembles au sein de la Cyno Breeders Association (CBA), qui représentent 90 % des exports de Maurice approvisionnant les laboratoires de recherche médicale les plus réputés d’Europe et de l’Amérique du Nord, se défendent avec véhémence de toute maltraitance animalière et de toute pratique contre-éthique. Les membres de l’association affirment
« adhérer à des réglementations strictes et garantissent les normes de bien-être les plus élevées pour les singes » et soulignent que leurs pratiques sont « reconnues comme les plus exigeantes et sont accréditées par des organismes nationaux et internationaux. Les membres de la CBA agissent dans le strict respect des lois nationales et internationales en vigueur. Les activités sont rigoureusement réglementées et contrôlées par les institutions mauriciennes, et internationales publiques ou associatives à travers des inspections régulières et des contrôles réglementaires administratifs et physique ».
La Cyno Breeders Association précise aussi que « les singes mauriciens contribuent de manière décisive à la recherche médicale actuelle, ouvrant la voie à de nouveaux traitements et vaccins qui ont le potentiel de révolutionner la santé mondiale ».
En mars dernier, Arvin Boolell, ministre de l’Agro-industrie, de la Sécurité alimentaire, de la Pêche et de l’Économie bleue, a indiqué que le nombre de singes exportés est passé de 8 809 en 2014 à 13 484 en 2024. Cette déclaration faisait suite à une question du député Roshan Jhummun.
Le prix moyen par animal a plus que doublé, de 2 256 dollars américains (environ Rs 103 232, au taux de change actuel du dollar = Rs 45,76) à 6 154 dollars (environ Rs 281 607). Ces exportations, destinées essentiellement à des laboratoires de recherche biomédicale à l’étranger, ont généré des recettes de près de USD 20 M (environ Rs 915 M) en 2014. Elles étaient de USD 86,628 M (environ Rs 3,96 Md) en 2024.
Le bien-être animal remis en question
Ce marché est souvent qualifié de « controversé » en raison des préoccupations relatives au bien-être animal et à la conservation des espèces. Toutefois, il représente une source significative de devises pour l’économie mauricienne. Les macaques à longue queue, une espèce invasive introduite à Maurice au XVIIe siècle par les navigateurs portugais, sont élevés en captivité dans des fermes spécialisées.
Leur utilisation en recherche médicale – pour des essais précliniques sur des maladies comme le diabète, Parkinson ou Alzheimer – est justifiée par leur proximité génétique avec l’humain.
Cependant, des associations comme la Mauritius Society for the Prevention of Cruelty to Animals (MSPCA) ou des groupes internationaux tels que PETA dénoncent régulièrement les conditions d’élevage et de transport. Elles arguent que ces pratiques violent les normes internationales de bien-être animal, chose que rejettent catégoriquement les grands opérateurs locaux.
Des rapports d’ONG, comme celui de Cruelty Free International en 2023, accusent certaines fermes de surpopulation et de conditions sanitaires inadéquates. Toutefois, les autorités mauriciennes affirment respecter les normes de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Le débat s’intensifie avec la montée des alternatives éthiques, telles que les modèles in vitro ou les simulations informatiques, qui pourraient réduire la dépendance aux tests sur animaux. Pourtant, les experts en biomédecine soulignent que les primates restent irremplaçables pour certaines études neurologiques.
Régulation et innovation
Le gouvernement mauricien, conscient de ces critiques, travaille sur un nouveau cadre réglementaire pour encadrer l’activité. Une taxe d’exportation, initialement fixée à USD 200 (environ Rs 9 152) par singe et destinée à des initiatives de conservation, a été relevée à 400 dollars (environ Rs 18 304) lors de la présentation du budget 2025/26. Cette augmentation vise à renforcer les fonds publics. 300 dollars (environ Rs 13 728) par singe exporté sont versés au Consolidated Fund du gouvernement.
En sus, USD 100 (environ Rs 4 576) par singe exporté alimentent directement le National Parks and Conservation Fund, dédié à la protection de la biodiversité locale. Cette mesure, selon les autorités, équilibre les impératifs économiques et environnementaux, en contribuant à la gestion des populations de singes sauvages qui posent des problèmes agricoles sur l’île. Il y a quelques jours, à la McCarthy House à Floréal, Arvin Boolell a pris la parole à l’occasion de la troisième conversation interactive organisée par l’ambassade des États-Unis. Le ministre de l’Agro-industrie y a défendu cette industrie avec un ton mesuré, insistant sur son potentiel pour un « développement soutenu ». « Maurice est un pays doté d’une flore et d’une faune riches, que nous devons exploiter de manière responsable », a-t-il affirmé.
Le ministre Boolell a souligné l’importance de la biotechnologie dans la lutte contre les maladies non transmissibles, évoquant des recherches en cours et la nécessité de cataloguer la biodiversité locale. Il a mentionné l’intention d’amender, entre autres, l’Animal Welfare Act pour renforcer les protections, tout en appelant à une « feuille de route bien établie » en matière d’innovation.
Conséquences économiques significatives
Arvin Boolell a ajouté : « Tout doit se faire dans le respect des conventions internationales dont nous sommes signataires, et avec le consensus de la population ». Il a cité des pays comme l’Inde et Singapour comme modèles. En outre, il a plaidé pour une formation accrue des jeunes dans les sciences, via les universités, et pour un cadre légal favorisant les investissements en recherche. « Si nous pouvions tout faire in vitro, ce serait idéal, mais il faut aborder les choses de manière positive et inclusive », a-t-il conclu.
Parmi les acteurs internationaux impliqués, la multinationale américaine Charles River Laboratories, leader mondial en services de recherche préclinique, est présente à Maurice depuis plusieurs années. Elle collabore avec des fermes locales pour l’approvisionnement en primates non humains, essentiels à ses essais. Elle a aussi renforcé sa présence ces dernières années en tant qu’actionnaire dans les grosses entreprises locales d’exportation de macaques.
D’autres entités, notamment des laboratoires chinois et européens, participent également à ce marché mondial évalué à plusieurs milliards de dollars par an. À Maurice, le secteur emploie directement plus de 1 300 personnes et génère environ 5 000 emplois indirects dans l’élevage, la logistique et l’administration, contribuant ainsi à la diversification économique au-delà du tourisme et du sucre. La Cyno Breeders Association affirme, par ailleurs, avoir versé Rs 2,01 milliards en salaires depuis 2020, ainsi que Rs 256 millions en « levy » au gouvernement sur la même période.
En termes économiques, l’impact est indéniable. Les recettes de 2024, équivalant à près de Rs 4 Md, représentent une part non négligeable des exportations non traditionnelles de Maurice, aidant à compenser les déficits commerciaux. Le gouvernement envisage d’ailleurs d’élargir le secteur à la biotechnologie locale, avec des essais précliniques sur place, pour capturer plus de valeur ajoutée. Comme l’a noté Arvin Boolell, « nous devons donner une valeur commerciale à notre potentiel », tout en veillant à un équilibre avec les normes éthiques.
Les principaux opérateurs du marché mauricien de l’exportation de singes
Les documents du Registrar of Companies, datés du 27 septembre 2025, révèlent les structures des six principales compagnies impliquées dans l’élevage et l’exportation de singes à Maurice. Ce secteur est décrit comme un « cercle très fermé ». Voici un aperçu factuel basé sur ces extraits :
- Bioculture (Mauritius) Ltd (incorporée en 1984, Senneville, Rivière-des-Anguilles). Capital déclaré : Rs 7 068 900. Actionnaire principal : Savanne Management Services Ltd. Chiffre d’affaires 2020 : Rs 699 M, profit : Rs 346 M.
- Le Tamarinier Ltée (incorporée en 2003, Le Vallon, Old Grand Port) : Spécialisée dans l’élevage de singes. Capital : Rs 10 696 500. Actionnaires : CRL Group International France (49%) et Biolink Limited (51%). Chiffre d’affaires 2024 : Rs 281 M, profit : Rs 151 M.
- Noveprim Limited (incorporée en 1990, Le Vallon, Old Grand Port) : Activités d’élevage de singes. Capital : Rs 11 987 880. Actionnaires : Biolink Limited et Charles River Laboratories Inc. (majoritaire). Chiffre d’affaires 2022 : Rs 971,9 M, profit : Rs 1 Md.
- Les Campeches Ltée (incorporée en 1999, Ébène). Capital : Rs 17 M. Actionnaire unique : LCL Cynologics Ltd. Chiffre d’affaires 2024 : Rs 246,2 M, profit : Rs 110,5 M.
- LCL Cynologics Ltd (incorporée en 2013, Ébène) : Holding et investissement. Capital : Rs 183 966 102. Chiffre d’affaires 2024 : 0 (holding), profit : Rs 372,4 M (dividends).
- Biosphere Trading Ltd (incorporée en 2001, Ébène) : Agriculture mixte, import/export, incluant bananes et légumes, mais liée à l’élevage. Capital : Rs 100 000. Actionnaire : Institute of Beijing Xieerxin Biology Resource Co. Ltd (Chine). Chiffre d’affaires 2023 : Rs 147,6 M, profit : Rs 105,4 M.
Ces entités, souvent interconnectées via des actionnaires étrangers comme Charles River (actionnaire direct ou indirect de Bioculture, de Noveprim et de Le Tamarinier) ou Biolink, illustrent un marché oligopolistique où les revenus proviennent majoritairement de l’export vers des laboratoires mondiaux. Les bilans montrent une rentabilité élevée, avec des actifs biologiques (singes) valorisés à des dizaines de millions de roupies pour chacune des six entreprises.

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