Après des jours de rumeurs sur une rupture entre le Parti travailliste et le MMM, la crise semble apaisée. Mais les analystes politiques estiment que cette réconciliation fragile cache des divergences profondes qui pourraient resurgir à tout moment.
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Le Parti travailliste (PTr), et plus particulièrement le Mouvement militant mauricien (MMM), ont offert au pays un spectacle préoccupant ces derniers jours, avec la rumeur persistante d’une cassure au sein de l’alliance gouvernementale. Ces tensions, alimentées par des désaccords internes, rappellent un « déjà vu ".
Pour certains observateurs, ces derniers jours ont ressemblé à un nouvel épisode du jeu politique « on-off ». Pour d’autres, cette crise évoque plutôt une accalmie après une période de tensions, un répit temporaire. Mais pour combien de temps ?
Le politologue, Dr Avinaash Munohur estime que « la situation tenait à un fil ». « Certains ministres faisaient déjà leur bilan hier après-midi, alors qu’un bilan se fait normalement à la fin d’un mandat », souligne-t-il. Selon lui, le simple fait que le MMM ait envisagé de quitter le gouvernement, alors qu’il n’existe aucun enjeu politique majeur actuellement, démontre que « les choses ne sont pas au beau fixe ».
Il s’interroge surtout sur les raisons d’une telle crise : « Nous ne sommes pas face à un désaccord idéologique, comme sur la réforme électorale promise par l’Alliance du Changement. Si tel avait été le cas, une rupture aurait été compréhensible. » Pour le politologue, la tension est donc réelle et relève davantage d’une « guerre froide » que d’un débat de fond.
La sociologue Sheila Bunwaree n’est pas surprise par ces remous. Selon elle, l’Alliance du Changement n’a jamais été solide dès le départ. « Ces deux partis dominants sont déconnectés de la réalité. Leur victoire est avant tout le résultat d’un vote sanction contre le précédent gouvernement », soutient-elle.
Le Dr Munohur relève, pour sa part, des signes manifestes de malaise : « Le fait que Paul Bérenger tienne régulièrement des conférences de presse pour critiquer un nominé du PTr en l’absence du Premier ministre est révélateur. » Il s’interroge : « Pourquoi le leader du MMM doit-il passer par les médias pour faire passer un message au chef du gouvernement ? Ne se parlent-ils plus directement ? » Pour lui, « laver son linge sale sur la place publique » fragilise durablement le gouvernement. Il précise toutefois qu’il est normal et sain d’avoir des divergences dans une coalition, à condition qu’elles ne soient pas exposées ainsi.
Qualité de La Gouvernance
Sheila Bunwaree estime que cette crise, même si elle a été temporairement réglée, a laissé des brèches profondes : « Ces tensions affecteront la qualité de la gouvernance, et donc la population. » Elle évoque déjà « de l’inefficience et du népotisme » au sein du gouvernement et souligne que « certains ministres militants préféreront rester au pouvoir malgré tout, attirés par les privilèges de leur fonction ».
Selon Avinaash Munohur, les Travaillistes pourraient désormais se méfier davantage de leur allié. Des informations suggèrent que Paul Bérenger aurait reculé au dernier moment, réalisant qu’il risquait de se retrouver avec à peine quelques fidèles en cas de rupture. « Dans ce scénario, le MMM aurait implosé », dit-il. Pour d’autres, cette crise n’était qu’un moyen de pression pour obtenir certaines concessions du Premier ministre, notamment des changements dans les nominations. Dans les deux cas, estime le politologue, « le MMM apparaît extrêmement fragile ».
Faizal Jeerooburkhan, de Think Mauritius, partage ce constat. Selon lui, cette crise laissera des traces et pourrait affaiblir durablement l’alliance. Il pointe aussi « l’influence de certains conglomérats et groupes socio-culturels » dans les tensions internes. Il estime que cet épisode pourrait néanmoins profiter au MMM en termes d’image : « Le parti sera perçu comme celui qui pousse au changement, tandis que le PTr apparaîtra comme trop lent. » Mais, nuance-t-il, « le poids électoral du PTr reste largement supérieur, ce qui limitera l’impact global ».
À plus long terme, Faizal Jeerooburkhan prédit que l’alliance ne tiendra pas cinq ans : « Les différences de personnalité et de style entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger finiront par créer de nouvelles crises. » Il décrit l’un comme « calculateur et lent dans ses décisions », et l’autre comme « autoritaire et impulsif ».
Toutefois, une rupture pourrait aussi renforcer l’opposition parlementaire et favoriser des débats plus équilibrés, selon lui. D’où cette situation paradoxale : « Les deux partis se tiennent par la barbichette. Chacun a besoin de l’autre, tout en craignant une séparation. »
Le constitutionnaliste Parvez Dookhy abonde dans ce sens. Pour lui, l’alliance ne tient qu’à un fil : « Le MMM s’accroche au pouvoir, mais une nouvelle crise pourrait précipiter sa chute. » Il estime que Navin Ramgoolam a besoin de Paul Bérenger pour maintenir la stabilité gouvernementale. « Les divergences sont simplement mises sous le tapis, mais elles referont surface », prévient-il.
Jean Claude de l’Estrac : « L’histoire se répète toujours »
Avant de répondre directement à la question de savoir si la cohésion au sein de l’Alliance du Changement restera solide ou si elle ne tient plus qu’à un fil, Jean Claude de l’Estrac a tenu à apporter une précision.
« Ceux des analystes politiques qui n’arrêtent pas d’anticiper une rupture de l’Alliance ne sont pas forcément en faveur de cette cassure. Aucun Mauricien sensé ne souhaite revivre l’instabilité politique qui s’ensuivrait. Cette Alliance, plébiscitée il y a à peine un an, est peut-être la dernière chance du pays d’entreprendre les réformes majeures dont nous avons désespérément besoin, en particulier les réformes impopulaires », dit-il.
Mais force est de constater qu’entre le Ptr et le MMM, il existe un fossé de culture politique. L’un et l’autre protagonistes le savent, mais ils ne sont pas toujours prêts aux compromis indispensables pour maintenir la cohésion, souligne-t-il. « Pour l’instant, les brèches ont été colmatées. Seulement colmatées. J’ai vécu cela en 1983, je sais comment ça finit. L’histoire se répète toujours », soutient-il.
Il ajoute que ce n’est pas seulement cette dernière crise, mais la succession de « crises » impulsées par Bérenger — et pas toujours à tort. Selon lui, les prochaines décisions, ou parfois indécisions, du Premier ministre continueront à irriter un Bérenger perfectionniste, irascible et intolérant face à un Ramgoolam velléitaire, colérique et accommodant. « Il leur faudra beaucoup d’efforts sur eux-mêmes pour faire durer leur cohabitation. Bérenger dit souvent qu’il n’en peut plus, les Travaillistes aussi », ajoute-t-il.
À savoir si le MMM sortira affaibli de cette joute, Jean Claude de l’Estrac fait remarquer que tout dépendra de la suite des événements. « La crise est en mode pause, elle n’est pas finie, loin s’en faut. Le MMM est vraiment à la croisée des chemins. Son leader maximo a vieilli, il est fatigué, il est déçu par son partenaire, il sent que ce qui reste du parti commence à lui échapper », explique-t-il.
Il estime probable qu’à un moment ou à un autre, Bérenger se retirera du gouvernement, tandis que les autres ministres MMM, sauf deux ou trois, resteront. « Ce sera une énième cassure du MMM, peut-être la dernière », prédit-il. Quant à la possibilité de croire encore à la stabilité de l’Alliance du Changement jusqu’à la fin du mandat, Jean Claude de l’Estrac estime qu’il pourrait subsister une forme de stabilité au sein d’une alliance recomposée, sans Bérenger dans les pattes de Ramgoolam.
« Le Premier ministre est dans un dilemme : il est très irrité par les revendications sans fin de Bérenger, mais il pense qu’il vaudrait peut-être mieux qu’il reste au gouvernement, plutôt que d’avoir à lui faire face en opposant radical s’il devait passer dans l’opposition », conclut-il.
Dr Munohur : « Les deux partenaires ont besoin l’un de l’autre »
Est-ce que ce serait un mal pour un bien que le MMM se retrouve dans l’opposition afin de rendre le Parlement plus équilibré ? Une question délicate, selon le politologue Avinaash Munohur, qui pourrait heurter la sensibilité des militants. Il reconnaît néanmoins que le MMM s’est bâti dans l’opposition : « C’est un parti qui s’est forgé dans l'opposition, sa création même s'inscrivant dans l'impératif d'une force d'opposition au PTr de SSR. Depuis 1969, le MMM n’a passé que neuf années au gouvernement. »
Pour lui, le parti a souvent prouvé l’importance de sa présence dans l’opposition, agissant comme un véritable garde-fou pour la démocratie. Cela est à mettre au crédit de Paul Bérenger, qui a su garder une ligne claire malgré les tentations du pouvoir. Mais cette longue expérience a aussi façonné une culture politique davantage tournée vers la critique que vers la gouvernance.
La sociologue Sheila Bunwaree se montre plus nuancée. Elle estime qu’une opposition forte est indispensable à la démocratie et qu’elle favorise la transparence. « L’équilibre peut aussi se créer à l’intérieur du gouvernement, à condition que les ministres et députés du MMM jouent le jeu de la démocratie et non de la démagogie », affirme-t-elle. Elle rappelle qu’un Parlement sans opposition, comme lors d’un 60-0, illustre les failles de notre système électoral.
Sheila Bunwaree estime également que le MMM dans l’opposition pourrait relancer le débat public. « On manque aujourd’hui de vraies questions pour amener plus de transparence », déplore-t-elle, tout en soulignant que la Freedom of Information Act, promis depuis longtemps, se fait toujours attendre.
Avinaash Munohur partage ce constat, estimant que cette « habitude de l’opposition » peut effectivement amener à se demander si le MMM ne serait pas plus utile en dehors du gouvernement. Il rappelle que le parti, affaibli sur le plan national, ne dispose plus que d’une assise solide dans quatre ou cinq circonscriptions. Même en cas de cassure, l’Alliance du Changement conserverait 43 sièges, de quoi gouverner confortablement, selon lui.
Cependant, ajoute-t-il, les deux partenaires ont actuellement besoin l’un de l’autre. « Si le MMM quitte l’alliance, cette dernière perdrait la majorité des trois quarts nécessaire aux amendements constitutionnels, ce qui remettrait en question la raison d’être du 60-0. Mais le PTr peut poursuivre des réformes sans changer la Constitution. Le MMM, lui, a davantage besoin du PTr pour rester au gouvernement », indique-t-il.
Le politologue souligne aussi que cette dépendance est mutuelle. « Sans le MMM, le PTr gagne une plus grande marge de manœuvre sur les ministères et nominations, tandis que le MMM a besoin du PTr pour exister politiquement », observe-t-il.
Sheila Bunwaree estime pour sa part que si le Parti travailliste veut mener à bien son programme, il en a les moyens, avec ou sans le MMM. « Il y a d’autres partenaires dans le gouvernement, même s’ils sont moins importants numériquement. La vraie question est de savoir si c’est la suprématie de Ramgoolam qui prime ou la volonté de transformer le système pour redonner espoir aux jeunes Mauriciens », avance-t-elle.
Pour conclure, Avinaash Munohur estime que le MMM n’a guère d’alternative réaliste pour l’instant. « Nous sommes dans un entre-deux politique : le MMM ne peut pas encore rompre sans se décrédibiliser, et le PTr a intérêt à le garder à ses côtés, ne serait-ce que pour faire passer ses réformes ou disposer d’un bouc émissaire au moment opportun. »
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