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Énergie : levée de boucliers contre le projet de gaz naturel liquéfié 

La réalisation du projet GNL à Maurice est en contradiction avec l’engagement énergétique pris par le gouvernement.

La réalisation du projet de gaz naturel liquéfié génère beaucoup de scepticisme. Plusieurs experts sont d’avis que le gouvernement fait fausse route en explorant la possibilité de faire de ce projet une réalité sous peu. 

Le projet de gaz naturel liquéfié (GNL) fait l’objet d’une série de discussions au plus haut sommet du gouvernement. Jusqu’ici, il suscite beaucoup de scepticisme, et ce à plusieurs niveaux. Il est complexe tant sur le plan financier que technique. Son aspect écologique ne peut pas non plus être occulté, compte tenu des engagements écologiques fermes pris par Maurice afin d’utiliser davantage d’énergie verte. 

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De plus, bien que les lobbyistes à travers le monde présentent le GNL comme une source d’énergie de transition, le fait est qu’il s’agit d’une source d’énergie fossile et que ses implications environnementales posent problème. Sur le plan financier aussi, la réalisation du projet est loin d’être une mince affaire. Raison : les investissements se comptent en plusieurs milliards de roupies. 

Les complexités techniques sont également considérables car elles comportent plusieurs volets. D’abord, au niveau de l’infrastructure qui doit être construite autour. Puis au niveau du modèle de l’appel d’offres. 

Rs 12 milliards d'investissement 

Les premières estimations indiquent que le projet devrait nécessiter un investissement de Rs 12 milliards et que par conséquent, un projet d’une telle envergure ne pourra pas être mis en œuvre à travers un simple exercice d’appel d’offres. Le recours à un « government-to-government agreement » ou encore à un « selective bidding » serait plus approprié, selon plusieurs techniciens du Central Electricity Board (CEB). 

S’appuyant sur les implications environnementales du GNL, l’ancien stratégiste de l’organisation environnementale de Greenpeace, Sunil Dowarkasing considère que le gouvernement fait fausse route avec ce projet. « Il ne faut surtout pas se voiler la face. Le GNL est une source d’énergie fossile qui fait autant de dégâts que le charbon », fait-il ressortir. Il met en exergue la campagne de désinformation menée à travers le monde autour du GNL. 

« La réalité est que l’administration américaine fait un gros lobbying en faveur du GNL en mettant en avant l’argument selon lequel on ne peut se permettre d’éliminer le charbon et de basculer directement vers l’énergie renouvelable. De grosses pointures américaines présentent le GNL comme une énergie de transition. Mais la vérité est que les États-Unis se trouvent être un gros producteur de GNL. Ils s’intéressent donc à leurs propres intérêts », ajoute Sunil Dowarkasing. 

Il souligne qu’il y a en parallèle un gros mouvement anti-GNL qui s’oppose fermement à cette source d’énergie. Il met l’accent sur tout le désastre écologique autour de l’extraction du gaz naturel dans des rochers sous la terre. Le lobby international pro-GNL gagne cependant du terrain à travers le monde. 

Sunil Dowarkasing fait remarquer que la dernière édition de la COP 27 s’est tenue en Égypte, pays qui dispose d’un gros gisement de gaz naturel et qui est exploité par des Italiens. Pour l’ex-député, l’exploitation du gaz naturel ne fait aucun sens. Selon lui, l’énergie éolienne et solaire deviennent de plus en plus efficaces. D’ailleurs, poursuit-il, l’Allemagne, qui est un des plus gros pays industriels au monde, utilise 60 % à 70 % d’énergie renouvelable. « Le modèle allemand est un exemple à suivre », dit-il. 

Argument qui ne tient pas la route en 2022

Khalil Elahee, chargé de cours à l’université de Maurice (UoM), abonde dans son sens. Commentant l’argument que le GNL est présenté comme une source d’énergie de transition, il soutient que cela pouvait être le cas en 2008. « Dans un rapport, j’ai moi-même avancé, durant un working group de Maurice Ile Durable que je présidais en 2008, que le GNL pourrait être utilisé comme une source énergétique de transition. Mais cet argument ne tient plus la route en 2022, compte tenu des avancées considérables réalisées au niveau des panneaux solaires et des batteries de stockage », explique-t-il. De plus, dit-il, si Maurice persiste dans la voie du GNL, on sera condamné à composer avec cette énergie pendant encore de nombreuses années à cause des investissements massifs qui seront engloutis. 

Les grandes lignes du rapport de Poten and Partners 

Le Défi Plus a été en mesure de consulter une partie du rapport de Poten and Partners sur la faisabilité du projet GNL à Maurice. Cette partie du document a établi que le projet était tout à fait faisable. Le rapport a aussi identifié Albion et Port-Louis comme sites favorables pour la mise sur pied des infrastructures pour l’importation et le stockage du GNL. Ces sites étant protégés des alizées venant du sud-est. 

Bras de fer entre Ivan Collendavelloo et le MSM sur le projet 

La réalisation du projet a été fortement contestée au sein du gouvernement de L’Alliance Lepep entre 2014 et 2019. Plusieurs élus du Mouvement socialiste militant (MSM), et pas des moindres, ainsi que des « top advisors » du Premier ministre ont croisé le fer avec l’ex-ministre de l’Énergie et des Services publics, Ivan Collendavelloo. 

La supervision du projet avait même, à un moment donné, été retirée de la responsabilité du CEB et confiée à l’Economic Development Board (EDB) ainsi qu’à la State Trading Corporation (STC). Le projet a aussi essuyé plusieurs revers, notamment en 2018 à la suite d’un appel d’offres lancé par le CEB pour la première phase. 

La société espagnole TSK Electronica Y Electricidad S. A. s’était opposée à l’idée d’allouer le contrat à la firme grecque Mythilineos Holding S. A. L’Independent Review Panel, qui s’était saisi de l’affaire, avait donné raison à la contestation. Il avait ordonné une réévaluation du projet. 

C’était par la suite au tour du ministère des Finances d’ajouter son grain de sel, à travers l’émission d’une circulaire. Celle-ci stipulait que les réévaluations devaient être menées par un comité différent de celui qui avait mené l’exercice. Cette circulaire avait été émise alors que le CEB avait nommé les mêmes personnes pour réévaluer le projet.

Absence de masse critique 

Maurice dispose-t-il de l’expertise nécessaire pour faire du projet GNL une réalité ? La réponse est non, selon Khalil Elahee et le député du Parti travailliste Patrick Assirvaden. Ce dernier soutient que le rapport Poten and Partners, commandité sous l’ère de l’ex-ministre des Services publics Ivan Collendavelloo, évoque une absence de masse critique à Maurice pour veiller au bon déroulement du projet. 

« Procéder à l’acquisition d’équipements n’est pas difficile. C’est au niveau de l’infrastructure à mettre en place qu’il y a un problème. Le GNL n’a rien à voir avec le pétrole et le gaz dont l’importation et le transport sont assez simples. Il s’agit d’un liquide ultra-sensible qui nécessite beaucoup de précaution. Le stockage et les tuyaux qui doivent être installés demandent réflexion », explique le député.

Il souligne aussi l’importance de savoir où la centrale de GNL sera construite. « L’aménager au port pourrait représenter un énorme danger car il n’y a pas suffisamment de place. C’est tout cela qui me rend sceptique », dit-il.

 

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