Le gouvernement est suspecté de vouloir dissimuler ses intentions quant à la tenue prochaine des élections municipales ou générales. Les mesures qui seront annoncées dans le Budget 2023-24 pourraient fournir des indices, alors que les spéculations sur les élections à venir sont à leur comble.
Le discours tenu par le Premier ministre à l’occasion des 55 ans d’indépendance de Maurice et l’annonce de la gratuité des écoles pré-primaires à la rentrée 2024 est, pour beaucoup, significatif. Malgré les affirmations du ministre des Finances selon lesquelles le gouvernement ne pourra pas continuer avec des mesures populistes, certains observateurs estiment que la tentation d'en proposer est toujours présente.
Selon Anthony Leung Shing, Country Senior Partner de PwC Mauritius, le gouvernement a tendance à adopter naturellement des mesures populistes en année électorale. De son côté, Clensy Appavoo, CEO & Senior Partner de HLB Mauritius, indique que les actions concrètes entreprises sur le terrain par les politiciens peuvent préfigurer les élections. « Dans cette éventualité, ce sera un budget ‘la bouche doux’. Il y aura des signes avant-coureurs. Le gouvernement est en train de semer pour récolter des votes », fait-il comprendre.
Déficit budgétaire
D'après les prévisions du cadre macroéconomique à moyen terme, ainsi que la stratégie budgétaire et la stratégie de gestion de la dette du ministère des Finances, le déficit budgétaire officiel pour l'exercice 2021-2022 est de 25 milliards de roupies, soit 5 % du PIB. Celui de l’année 2022-23 se chiffrait à Rs 23 milliards, soit 4 % du PIB. Selon Anthony Leung Shing, le déficit budgétaire a été généralement maintenu autour de 3 % du PIB lors des années où le gouvernement gérait bien les finances. Il estime que si le gouvernement parvient à maintenir le déficit budgétaire à 5 % du PIB pour l'exercice à venir, ce sera un niveau acceptable.
La croissance de l’économie locale devrait osciller entre 4 % et 6 % cette année selon les diverses prévisions. Cependant, un budget populiste pourrait avoir des répercussions économiques. Anthony Leung Shing craint qu'un budget populiste aggrave la situation économique du pays, caractérisée par une inflation élevée, une hausse des taux d'intérêt et une dépréciation de la roupie. Il estime que cela pourrait entraîner une diminution du pouvoir d'achat et détériorer les finances de l'État. « Tout dépendra éventuellement de l’envergure du budget populiste, de ses mesures et de l’étendue de l’excès des dépenses », fait-il comprendre.
Clensy Appavoo, CEO & Senior Partner de HLB Mauritius, exprime ses craintes quant à une politique de « après nous le déluge » qui pourrait résulter d'un budget populiste. Il s'attend à ce que le gouvernement cherche à maximiser ses revenus à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC) ou la Contribution Sociale Généralisée (CSG).
Les ministères
Dans une circulaire signée par Dev Manraj, le secrétaire financier, demande aux ministères et départements d’utiliser les fonds publics à bon escient. Il souhaite que ces derniers traitent les questions soulevées par le directeur de l'audit. Ils sont aussi invités à explorer toutes les options possibles pour récupérer les sommes dues. En outre, ils doivent fournir une estimation du montant à recouvrer pour chaque poste de recettes dans leurs soumissions. Cela permettra de mieux évaluer la situation financière actuelle et de déterminer la meilleure façon de récupérer les sommes dues.
Questions à… Kevin Teeroovengadum, économiste : « Pas de problème avec un budget populiste à condition de créer de la valeur »
Certains observateurs estiment que des signes indiquent que les élections municipales ou générales auront lieu bientôt. Dans ce cas, la tentation de proposer un budget populaire pour l'année 2023-24 pourrait être présente. Qu’en pensez-vous ?
La situation est paradoxale. Le ministre des Finances affirme que le gouvernement ne peut plus se permettre des mesures populistes, alors que le Premier ministre annonce la gratuité des écoles pré-primaires pour l'année prochaine. Le mandat du gouvernement prend fin normalement en 2024. À cette échéance, le Premier ministre peut repousser les élections de six mois, soit à mai 2025. Dans cette optique, le ministre des Finances présentera au moins deux budgets supplémentaires. Ainsi, il ne devrait pas y avoir de budget populiste cette année. Par contre, ce serait une tout autre histoire en cas d’élection surprise. Chaque gouvernement a tendance à proposer des mesures populistes à l’approche des élections. Cela pourrait ainsi être une stratégie du ministre des Finances de faire croire que ce sera un budget « margose », mais au final nous aurons droit à un budget « la bouche doux ».
À quel type de mesures populaires pourrait-on s’attendre ?
En 2019, le gouvernement avait ciblé les pensionnaires qui constituent un électorat important. Je ne serais pas étonné de voir qu’à la veille des élections, le prix de l’essence est revu à la baisse et que les subsides sur le gaz ou le riz augmentent.
Ce genre de mesures comportent-elles un impact économique ?
L’impact sera positif sur le plan politique à l’inverse de l’effet sur l’économie. Je n’ai pas de problème avec un budget populiste, à condition d’avoir une économie qui crée de la valeur. Les Mauriciens sont en souffrance, la roupie poursuit sa descente et il n’y a pas de nouveaux secteurs qui émergent.
Faut-il prendre la situation internationale tendue en compte dans l’élaboration d’un éventuel budget populiste ?
Il y avait des signes depuis début 2022 concernant ce qui se passe au niveau du secteur bancaire à l’international avec la Silicon Valley Bank ou le Crédit Suisse. Le Royaume-Uni est en récession et la situation en France et en Belgique est compliquée. Il faudrait que le ministère des Finances prenne en considération ce qui se passe à l’international, surtout sur nos principaux marchés avant d’élaborer le budget 2023-24.
Le gouvernement a-t-il les moyens de financer un budget populiste ?
L’État n’a pas les moyens, mais continue de financer ses budgets à travers la dette et la taxation. Les impôts ont augmenté depuis les deux dernières années. Le prix des carburants a grimpé aussi. En fait, le gouvernement nous met Rs 1 dans la poche droite et prend Rs 3 dans la gauche.
Le déficit budgétaire 2022-23 se chiffrait à Rs 22,9 milliards. Quel niveau de déficit budgétaire pourrait être acceptable pour l’exercice 2023-24 ?
Le déficit budgétaire 2022-23 représente environ 5 % de notre Produit intérieur brut (PIB). À vrai dire, nous avons tous les ans un déficit budgétaire depuis la dernière décennie. Nous ne pouvons plus continuer avec une économie qui compte un déficit budgétaire, un déficit commercial et de la balance des paiements. Le gouvernement propose un budget populaire afin de rester au pouvoir, mais n’engendre pas suffisamment de revenus pour combler ces trois déficits.
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