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Économie mauricienne : un premier semestre sous tension, un second sous incertitude

À mi-parcours de l’année 2025, le bilan économique de Maurice révèle des signaux préoccupants : hausse du chômage, flambée des prix alimentaires, ralentissement de la croissance, et dette publique à 90 % du PIB. Les six prochains mois s’annoncent tout aussi délicats. Entre incertitudes macroéconomiques et réformes budgétaires, les économistes appellent à des actions urgentes pour contenir l’inflation, stimuler l’emploi et soutenir la croissance.

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Croissance

Bilan

  • Chandan Jankee, économiste : « Ces dernières années, la croissance tournait autour de 5 à 6 %, mais depuis le début de cette année, on observe un ralentissement. Plusieurs secteurs clés de notre économie affichent des signes négatifs ».
  • Sudesh Lallchand, économiste : « Il n’y a pas de grands changements concernant les facteurs macroéconomiques. Le nouveau gouvernement est en rodage et il peine à honorer ses promesses électorales. Le public est déçu. L’absence de mesure pour réduire le prix de l’essence et la réforme de la pension font sourciller ».

Perspective

  • Chandan Jankee : « La croissance sera inférieure à 3 %, un taux déjà anticipé par la Banque mondiale et le FMI. Cela s’explique par le fait que la majorité des secteurs productifs comme la construction, les PME et le textile sont au ralenti. Par ailleurs, le budget ne propose pas suffisamment d’incitations pour relancer la croissance. Il faut donc s’attendre à une contraction de l’économie ».
  • Sudesh Lallchand : « C’est mal parti. La croissance passe par la consommation. Pour cela, il faut que le salaire suive. La pension va baisser et certains en seront privés. Ajouter à cela, la hausse des prix. Il faut mettre en place des mécanismes pour apporter la croissance dans le moyen et long terme. Cela requiert de l’investissement ».

Dette publique

Bilan

  • Chandan Jankee : « Durant les six premiers mois de l’année, la dette publique a continué de grimper, passant de Rs 540 milliards à Rs 640 milliards. Une dette représentant 90 % du PIB est assez inquiétante ».
  • Sudesh Lallchand : « Je ne suis pas surpris du fait que le niveau de la dette publique a augmenté. Une bonne partie de notre dette vient des précédents gouvernements. Le remboursement de ses dettes est prévu selon les négociations. Le remboursement de la dette est un engagement de l’État. Dans certains cas, il faut contracter des emprunts pour s’acquitter des prêts et intérêts ».

Perspective

  • Chandan Jankee : « Avec la réforme de la pension de vieillesse mise en place par le gouvernement et d’autres mesures budgétaires visant à réduire les dépenses publiques, la dette publique devrait diminuer. Je pense qu’elle pourrait s’établir à moins de 80 % du PIB d’ici la fin de l’année. Nous sommes sur la bonne voie pour réduire le niveau d’endettement ».
  • Sudesh Lallchand : « Il faudra attendre au moins une année pour voir le vrai impact des mesures visant à réduire la dette publique et il est possible que son niveau se creuse davantage. Ceci dit, le gouvernement est venu de l’avant avec une série de mesures pour réduire ses dépenses, notamment eu égard de la pension ».

Lorsque la croissance ralentit, la quantité d’argent en circulation dans l’économie diminue.»

Emploi 

Bilan

  • Chandan Jankee : « Il est clair que le chômage a augmenté selon les derniers chiffres. De nombreuses entreprises ont procédé à des licenciements, même dans la fonction publique. C’est très inquiétant, surtout parmi les jeunes. Nous sommes dans une situation difficile. Le principal problème reste le décalage entre l’offre d’emploi et les compétences recherchées ».
  • Sudesh Lallchand : « C’est paradoxal et c’est une énigme à éclaircir. Il y a d’un côté des pertes d’emploi et de l’autre côté la présence prononcée de travailleurs expatriés dans certains secteurs. Il faut se demander la raison du nombre de permis de travail octroyés par le gouvernement aux employés étrangers. Pourquoi les Mauriciens ne peuvent-ils pas être employés là où les étrangers sont en poste ? ».

Perspective

  • Chandan Jankee : « Le chômage va continuer à augmenter. Environ 1 700 personnes issues des collectivités locales ont été retenues temporairement. Si elles venaient à être licenciées dans un avenir proche, cela aurait un impact significatif sur le taux de chômage. Par ailleurs, les mesures budgétaires, notamment les taxes imposées aux PME, pourraient entraîner de nouveaux licenciements. Pour remédier à cette situation, le gouvernement doit offrir des incitations aux entreprises afin de favoriser l’emploi. Il est également essentiel de renforcer la formation pour résoudre le problème de l’inadéquation entre les compétences disponibles et celles requises sur le marché du travail ».
  • Sudesh Lallchand : « Il faut distinguer le taux du chômage et le chômage volontaire. Le chômage local va augmenter, notamment celui lié aux départs volontaires. Il y a beaucoup de demandes pour les travailleurs expatriés. Un salarié étranger coûte plus cher qu’un employé mauricien si l’on tient compte du frais d’hébergement et de sa nourriture entre autres. Il faut réformer la main-d’œuvre locale ».

Inflation

Bilan

  • Chandan Jankee : « Le taux d’inflation était en baisse en début d’année, mais avec la flambée des prix des produits alimentaires ces derniers mois, il a commencé à remonter. L’annonce, dans le budget, d’un fonds de stabilisation de Rs 10 milliards, dont Rs 2 milliards pour l’année financière en cours, a poussé certains commerçants à réagir. Anticipant cette mesure, ils augmentent déjà les prix pour maximiser leurs marges. Au final, ce sont les consommateurs qui en subissent les conséquences ».
  • Sudesh Lallchand : « Le plus gros souci du gouvernement est l’incapacité du ministre du Commerce à faire baisser les prix. L’inflation peut être vue de différentes façons. Toutefois, il convient de souligner que la baisse du taux d’inflation ne signifie pas que les prix ont arrêté d’augmenter ».

Perspective

  • Chandan Jankee : « L’inflation devrait continuer à augmenter, mais de manière modérée. En effet, lorsque la croissance ralentit, la quantité d’argent en circulation dans l’économie diminue. Avec la réforme des pensions, les revenus disponibles vont baisser, ce qui entraînera une réduction de la consommation. Cela contribuera à contenir le taux d’inflation dans le pays, toutefois, son évolution dépendra fortement de l’ampleur des conflits géopolitiques et du coût du fret. Si la situation s’aggrave, les prix des produits importés grimperont, ce qui alimentera davantage l’inflation ».
  • Sudesh Lallchand : « Les prix vont continuer de prendre l’ascenseur. À Maurice, il est systématique que les prix soient revus à la hausse sur une fréquence trimestrielle. Les commerçants se justifient par l’appréciation du dollar et le coût de la main-d’œuvre. Il n’y a pas de contrôle sur les prix et le ministre du Commerce semble dépassé ».

Questions à…Paul Baker, CEO de l’International Economics Consulting : «Nous pourrions assister à un certain désinvestissement à Maurice avec un impact sur le PIB»

Le second semestre 2025 s’annonce déterminant pour l’économie mauricienne. Paul Baker, CEO de l’International Economics Consulting, prévoit un désinvestissement progressif, pesant sur le PIB. Entre pressions inflationnistes internes et incertitudes mondiales, les choix budgétaires récents pourraient freiner la croissance et accroître les déséquilibres macroéconomiques du pays.

Les six premiers mois de l’année se sont écoulés marqués notamment par une nouvelle ère sous le régime de l’Alliance du Changement et le premier Budget de celui-ci. À quoi peut-on s’attendre sur le plan économique à Maurice pour le second semestre 2025 ?
Le second semestre se déroulera avec le nouveau Budget en place. On peut s’attendre à ce que celui-ci incite certaines entreprises à repenser leur stratégie et à envisager d’autres opérations (à l’étranger). Ainsi, nous pourrions assister à un certain désinvestissement à Maurice, ce qui aura un impact sur le PIB. Les dépenses de consommation devraient être robustes, mais les rigidités de l’offre augmenteront, ce qui entraînera des pressions inflationnistes.

Quels sont les facteurs externes qui sont susceptibles d’influencer la croissance à Maurice ?
Les perspectives économiques mondiales restent volatiles et imprévisibles, avec des hausses tarifaires attendues et le réacheminement des chaînes d’approvisionnement, Maurice étant prise entre deux feux. Le commerce extérieur de biens devrait diminuer pour le pays, les importations devraient augmenter et creuser le déficit du commerce de biens, tandis que les exportations de tourisme renforceront la balance du commerce de services. Dans l’ensemble, on peut s’attendre à un affaiblissement du déficit de la balance courante. Les investissements étrangers dans les secteurs industriels resteront anémiques.

Comment s’assurer que tous les éléments en interne soient présents pour une progression du PIB de Maurice pour ces six mois restants de 2025 ?
Repenser le Budget pourrait être un moyen d’apporter une certaine cohérence aux fondamentaux macroéconomiques. Je pense que le Budget supprime les incitations pour le travail, favorise la fuite des capitaux à long terme et provoquera des fuites fiscales. Il s’agit d’un Budget dramatique, qui partait d’une bonne intention, mais qui a été exécuté de façon draconienne, ce qui freinera la croissance et entraînera une spirale régressive.

Maurice doit agir rapidement pour garantir l’accès au commerce des services et supprimer les restrictions à sa capacité d’être compétitif sur les marchés étrangers, y compris pour le commerce numérique. L’Afrique évoluera trop vite et les marchés de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est devraient être privilégiés.

Entre ralentissement et reprise : le point sur trois piliers de l’économie

Les secteurs économiques affichent des dynamiques contrastées. La construction tire la sonnette d’alarme face au manque de projets publics, tandis que le tourisme enregistre un bon début d’année. Le secteur financier, lui, s’inquiète des nouvelles mesures fiscales qui pourraient nuire à la compétitivité du pays.

Construction 

Une année charnière marquée par l’inquiétude

Le secteur de la construction exprime son inquiétude face aux mesures annoncées dans le Budget 2025/26. Ravi Gutty, président de la Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA), déplore une quasi-absence de nouvelles commandes publiques pour 2025-2026, menaçant la survie de nombreux entrepreneurs locaux. « Il y a un risque de ralentissement brutal de l’activité, public comme privé, notamment avec la fin des incitations fiscales à l’investissement immobilier », fait-il ressortir. 

Le secteur, qui représente 5,75 % du PIB et 47 000 emplois directs, appelle à des réformes urgentes, un programme clair de projets, et un soutien renforcé à la main-d’œuvre locale pour assurer sa pérennité.

Tourisme 

Un premier semestre encourageant, des perspectives prometteuses

Le bilan des six premiers mois de l’année est globalement positif pour le secteur du tourisme à Maurice. C’est ce qu’affirme Christian Lefèvre, président de Friends in Tourism (FIT). « Nous avons observé une reprise, avec une fréquentation soutenue, en particulier de la part des marchés traditionnels, mais aussi des progressions notables du côté d’autres marchés », indique-t-il. 

Pour les six prochains mois, il se montre optimiste. « La haute saison, qui débute en octobre, devrait permettre de consolider les acquis. Nous nous attendons également à une augmentation des arrivées régionales, notamment en provenance de La Réunion et de l’Afrique australe », soutient notre interlocuteur.

Secteur des services financiers 

Les opérateurs face à un climat d’incertitude

Les nouvelles mesures fiscales annoncées dans le budget, en particulier la hausse du taux d’imposition effectif à 34 %, suscitent des préoccupations parmi les opérateurs du secteur financier. Dans un contexte où plusieurs juridictions concurrentes maintiennent une fiscalité plus légère, Maurice pourrait perdre en compétitivité. Certains craignent un ralentissement des flux d’investissement et une réorientation des choix de domiciliation. Bien que ces mesures soient temporaires, elles envoient un signal d’incertitude. 

En parallèle, l’introduction d’un cadre réglementaire pour la gestion de patrimoine et les « family offices » est perçue comme une avancée stratégique attendue de longue date.

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