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Depuis plusieurs années, l'économie bleue est présentée comme un levier de croissance pour Maurice. Pourtant, elle peine encore à devenir un pilier économique majeur. Le gouvernement ambitionne de relancer ce secteur et d’en faire un moteur de développement. État des lieux.
Dans une récente rencontre avec une délégation de l’Union européenne (UE), le ministre de l’Agro-Industrie, de la Sécurité alimentaire, de l’Economie bleue et de la Pêche s’est attardé sur le potentiel immense de l’économie bleue de Maurice.
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Arvin Boolell a souligné la stratégie du gouvernement consistant à envisager l’économie bleue dans un contexte élargi afin d’exploiter pleinement son grand potentiel. « Il y a la nécessité de rendre tous les projets liés à l’océan financièrement viables, tout en mettant en lumière la volonté de l’UE de fournir une assistance financière pour ces initiative », a-t-il dit.
Le ministre Boolell a également évoqué l’importance de mobiliser le soutien des pays voisins en vue de la mise en place d’un port de pêche qui, selon lui, pourrait avoir une dimension régionale.
Concernant l’autonomisation de la communauté des pêcheurs, Arvin Boolell a plaidé pour la formation en sécurité maritime et en pêche hors lagon. Il a souligné que la nouvelle génération de pêcheurs devrait être dotée des moyens nécessaires pour évoluer dans le domaine de la pêche semi-industrielle.
Par ailleurs, en faisant référence à l’abondance de thon dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) du pays, le ministre a qualifié ce produit de ressource extrêmement précieuse qui doit être exploitée à travers un développement durable renforcé dans le secteur. « L’exportation de thon vers l’Europe pourrait constituer un pilier majeur de la croissance économique du secteur », a-t-il affirmé.
À cet égard, le ministre Boolell a appelé à une collaboration avec la Commission Thonière de l’Océan Indien pour garantir un stock durable de thon et éviter son épuisement. Le ministre a déclaré que l’économie bleue est étroitement liée à l’économie verte, tout en mettant en avant que l’économie bleue est bien placée pour dynamiser l’économie mauricienne en favorisant une croissance simultanée dans d’autres secteurs.
Stratégie et durabilité
L’économiste Bhavish Jugurnath explique que l’économie bleue représente une opportunité majeure pour Maurice, à condition qu'elle soit exploitée de manière stratégique et durable. Disposant d'une vaste ZEE, le pays bénéficie d'un accès à des ressources halieutiques abondantes, d'un potentiel en aquaculture et en exploitation des grands fonds marins. Le tourisme côtier et maritime constitue déjà un pilier économique important, offrant des perspectives de développement durable.
Cependant, plusieurs facteurs conditionnent la viabilité de cette économie. Il prévient que « l'exploitation déraisonnée des ressources marines, la pollution et la destruction des habitats naturels pourraient compromettre le potentiel à long terme de l'économie bleue ». Selon Bhavish Jugurnath, l'adoption de pratiques durables est impérative pour assurer la pérennité du secteur.
Outre les enjeux environnementaux, les infrastructures jouent un rôle clé. « Il est essentiel de disposer de ports adaptés, d'institutions de recherche et d'infrastructures en énergies renouvelables pour soutenir ce secteur », avance Bhavish Jugurnath. La formation d'une main-d'œuvre qualifiée est cruciale, englobant les scientifiques marins, les ingénieurs et les techniciens.
L'économiste souligne également l'importance des investissements nécessaires à l'élaboration des infrastructures et des capacités de recherche. Par ailleurs, une gouvernance efficace est indispensable. « Sans réglementation et contrôle rigoureux, le développement de l'économie bleue pourrait entraîner des effets contre-productifs », avertit-il.
Les défis actuels sont nombreux, notamment le changement climatique. La montée du niveau de la mer et l'évolution des conditions océaniques menacent les communautés côtières et les écosystèmes marins. De plus, Maurice doit faire face à une concurrence régionale accrue, plusieurs pays explorant également le potentiel de l'économie bleue.
Pour assurer une viabilité réelle, Bhavish Jugurnath recommande une évaluation rigoureuse et la fixation d'objectifs réalistes. « Le gouvernement doit adopter une vision à long terme plutôt que de chercher des gains immédiats. Une planification stratégique et une collaboration étroite entre l'État, le secteur privé et les institutions de recherche sont essentielles », affirme-t-il.
Bhavish Jugurnath pense que l'économie bleue peut devenir un levier important pour diversifier l'économie mauricienne, créer des emplois et promouvoir un développement durable. Toutefois, sa réussite repose sur une approche globale et durable, nécessitant des actions concrètes et une volonté politique affirmée.
Une opportunité à saisir
L’économie bleue représente un potentiel immense pour Maurice. Selon Vassen Kauppaymuthoo, il est temps de relancer les efforts engagés il y a une décennie. « Il faut faire revivre la Feuille de route de 2013 et venir avec de nouveaux développements dans le secteur », dit l’océanographe.
Face aux défis économiques actuels, la nécessité de réinventer l’économie devient impérative. « Nous devons adopter une approche inclusive où la population fait partie intégrante du projet », insiste Vassen Kauppaymuthoo, soulignant que le développement doit être durable et fondé sur l’innovation.
Pour lui, il est essentiel de voir l’économie bleue au-delà de la pêche. « Il faut penser à d’autres secteurs comme la biotechnologie marine, le développement portuaire et l’énergie bleue. Nous avons tellement de perspectives, mais elles n’ont jamais été réellement exploitées », regrette-t-il.
Aujourd’hui, un changement semble se dessiner avec une volonté politique affirmée. « Le gouvernement est à l’écoute et veut vraiment développer un nouveau secteur », constate l’océanographe. Cependant, il met en garde : « Il faut une vision globale et intégrée, tenant compte des changements survenus depuis 2013 et des expériences des autres pays. »
Le Feuille de route de 2013, selon lui, était en avance sur son temps, mais nécessite une mise à jour prenant en compte les facteurs géopolitiques et financiers actuels. « L’économie bleue est aussi vaste que l’océan qui nous entoure », explique-t-il, rappelant que ce secteur ne se limite pas à la pêche, mais englobe aussi le transport maritime et les biocarburants.
Un tournant semble se profiler avec la récente réorganisation ministérielle. « Pour la première fois, le ministère regroupe l’agriculture et l’économie bleue. Cette intégration, de la terre à la mer, permettra une approche plus cohérente et durable », souligne Vassen Kauppaymuthoo.
Ce changement de stratégie portera ses fruits, selon l’intervenant. « Nous avons de nombreuses opportunités à saisir, et pour la première fois, tous les éléments sont alignés », dit-il, faisant référence à l’inclusion de la Zone Économique Exclusive (ZEE) et du dossier des Chagos dans les perspectives d’avenir. « L’économie bleue sera jugée par les générations futures. À nous de faire en sorte qu’elle devienne un moteur de développement pour Maurice. », conclut l’intervenant.
Pour sa part, l’environnementaliste et ancien activiste de Green Peace, Sunil Dowarkasing, tire la sonnette d'alarme sur l'exploitation des ressources maritimes mauriciennes par les grandes puissances. L'Union européenne, bien qu'ayant adopté un Green New Deal pour aller vers une économie bas carbone et éliminer le charbon d'ici 2050, continue d'exploiter les ressources d'autres régions. Maurice, riche en biodiversité marine, subit les conséquences de cette exploitation intensive.
« Le pays a peu de relations commerciales avec l'Espagne, pourtant c'est cette dernière qui possède la plus grande flotte de pêche dans nos eaux. La France, bien qu'aidant Maurice, exploite également ses ressources. Ces situations doivent être réexaminées lors des prochains accords », explique ce dernier.
Il cite l’exemple du thon jaune, une espèce autrefois abondante dans nos eaux, est aujourd'hui en diminution et devrait être protégé.
Malheureusement, lors des négociations, la question de la pêche illégale par des flottes taïwanaises et srilankaises n'est pas abordée. Lors de ses expéditions avec Greenpeace, Sunil Dowarkasing a été témoin de nombreuses arrestations de bateaux pratiquant la pêche illégale, un fléau qui nécessite une réglementation plus stricte.
Des trésors naturels menacés
« Nos océans recèlent des trésors inestimables, dont un écosystème marin unique au monde. Des rumeurs persistent sur la présence de pétrole à exploiter avec les Seychelles sur le plateau continental, ainsi que sur la présence de nodules métalliques très prisés pour la fabrication de véhicules électriques. Leur exploitation pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur l’écosystème marin », estime-t-il.
Il rappelle que Maurice est signataire de la convention des Nations unies sur le droit de la mer. Ce qui permet de présenter des requêtes au tribunal ITLOS pour contrôler les activités nocives à l’environnement. Cette convention offre un outil juridique pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions arbitraires.
« En juin 2023, Maurice a ratifié le Global Ocean Treaty, qui l'engage à protéger au moins 10 % de son territoire océanique en zones marines protégées, contre seulement 0,01 % actuellement », souligne-t-il.
L’environnementaliste poursuit que le concept d’économie bleue est débattu depuis des années, mais aucune mesure concrète n’a été prise. « Le gouvernement travailliste avait reçu des fonds pour élaborer une feuille de route, mais rien n’a été fait. Il est crucial d’élaborer un plan clair impliquant toutes les parties prenantes avant d’aller de l’avant. »
Sunil Daworkasing ajoute que les océans régulent le climat et produisent 50 % de l’oxygène que nous respirons. Leur protection est donc essentielle à la survie de l’humanité. L’océan Indien est soumis à une dynamique particulière, le « Indian Ocean Dipole », qui influence les précipitations. Toute perturbation majeure de cet équilibre pourrait avoir des conséquences graves.
De plus, il précise qu’avec seulement 1,4 km² de mangroves, Maurice doit renforcer la protection de ces zones essentielles à la biodiversité marine. « Des projets de construction, notamment sous le gouvernement précédent, ont détruit une partie de cet écosystème fragile. La pollution des lagons par les eaux usées et les matières fécales constitue une autre urgence à traiter. Il est temps de revoir en profondeur notre système de gestion des déchets et des eaux usées. »
Sunil Daworkasing préconise une gestion durable de nos ressources marines. L’équilibre entre développement économique et préservation environnementale est précaire, mais essentiel à notre avenir. Il souhaite une approche concertée et des mesures concrètes pour garantir la protection de notre patrimoine marin tout en exploitant ses richesses de manière responsable.
Discours-programme
Mieux explorer et exploiter le potentiel de l’économie océanique
- Le gouvernement entreprendra un projet ambitieux pour développer l’économie océanique.
- Maurice passe du statut d’État insulaire à celui de grand État océanique.
- Le pays possède l’une des plus grandes zones économiques exclusives au monde et un plateau continental environ 1 000 fois plus grand que son territoire.
- Une approche politique holistique sera adoptée pour toutes les activités liées à l’océan, à la fois terrestres et maritimes.
- La transition conceptuelle du cadre de petit état insulaire en développement vers un grand état océanique est nécessaire.
Développement durable et inclusif de l’économie océanique
- La feuille de route de 2013 a été la première étape vers une économie océanique durable, mais elle n’a pas été concrétisée par le gouvernement précédent.
- Le gouvernement actuel s’engage à développer une économie océanique durable et inclusive, en exploitant les ressources océaniques inexplorées tout en garantissant un partage équitable des bénéfices.
Création de nouveaux pôles de croissance
- Plusieurs secteurs économiques dépendent directement de l’espace maritime et de ses ressources.
- Le gouvernement établira de nouveaux « pôles de croissance » dans l’économie océanique.
- Un deuxième dialogue national sur l’économie océanique sera organisé pour actualiser et relancer l’initiative de 2013.
- Ces délibérations permettront de créer un environnement favorable à l’essor de l’économie océanique, qui deviendra un pilier majeur de l’économie nationale.
Renforcement des capacités humaines dans le secteur océanique
- Le gouvernement investira dans la formation et la création d’un large bassin de ressources humaines spécialisées dans divers domaines liés à l’économie océanique.
- Cette stratégie vise à assurer le développement durable du secteur et à maximiser les opportunités économiques offertes par l’océan.
Fabrice David, Junior Minister de l’Agro-industrie, de la Sécurité alimentaire, de l’Économie bleue et de la Pêche : « Notre gouvernement compte relancer et dynamiser l’économie bleue »
![Fabrice David](/sites/default/files/inline-images/Fabrice%20David.jpg)
Quels sont les principaux projets que le gouvernement envisage pour rendre l’économie bleue plus rentable et durable à long terme ?
Notre gouvernement compte relancer et dynamiser l’économie bleue, un secteur crucial pour notre développement durable à long terme. Nous accusons un retard de dix ans dans cette nouvelle économie, car la « Ocean Economy Roadmap » présentée par le Dr Navin Ramgoolam en décembre 2013, n’a pas été mise en œuvre par les deux gouvernements du Mouvement socialiste militant.
Pour rattraper ce retard et garantir une croissance durable, nous allons mettre à jour le plan d’action de l’économie bleue. Dans cette optique, nous organiserons les « assises de l’océan » au cours du premier trimestre 2025. Ce sera un moment clé pour renforcer la collaboration entre les acteurs publics et privés. Il permettra de définir des priorités pour le déploiement de notre économie bleue. Il y a les énergies marines renouvelables, les technologies océaniques, la pêche durable, le transport maritime et les infrastructures portuaires. Concernant ce dernier point, notre port doit retrouver son efficacité et sa productivité et je suis persuadé que la nouvelle direction de la Cargo Handling Corporation Ltd, avec son dynamisme et sa rigueur, contribuera de manière significative à cet objectif.
Comment le ministère prévoit-il de collaborer avec les pays voisins et les organisations internationales, comme l’Union européenne et la commission thonière de l’océan Indien, pour garantir la durabilité des ressources marines notamment le thon ?
Nous sommes pleinement conscients que la gestion durable des ressources marines nécessite une action collective et coordonnée, tant au niveau régional qu’international.
Il y a quelques jours, il y avait la deuxième réunion du comité mixte de l’accord de partenariat de pêche avec l’Union européenne (UE). Cet événement nous a donné l’occasion de faire un état des lieux des projets financés par l’UE en matière d’aquaculture innovante, de Vessel Monitoring System et d’un dispositif électronique pour le Fish Catch Reporting. Nous avons également jeté les bases des négociations à venir pour un nouvel accord concernant la pêche. À la fin de février, une délégation de notre ministère participera à une conférence ministérielle aux Seychelles sur le plan régional de surveillance des pêches. Et en avril, nous assisterons à la réunion de la commission des thons de l’océan Indien qui se tiendra à l’ile de La Réunion. Cette réunion sera capitale pour une gestion concertée et responsable des stocks de thon.
Quelles mesures concrètes seront mises en place pour assurer la transition des pêcheurs traditionnels vers des pratiques semi-industrielles, tout en protégeant leurs moyens de subsistance ?
Nous voulons autonomiser nos pêcheurs pour qu’ils se sentent intégrés et valorisés dans notre grande vision pour le secteur de la pêche. Il nous faut des programmes de formation adaptés pour les pêcheurs, afin de les familiariser avec les nouvelles techniques semi-industrielles et la sécurité en haute mer. Le ministère dispose d’un « scheme » pour des pêcheurs artisanaux qui se regroupent en coopératives pour acheter des bateaux de pêche semi-industrielle. Mais nous devons faire évoluer ce dispositif pour qu’il soit plus attractif et plus efficace. D’autre part, afin de transformer le secteur de la pêche, nous songeons à la construction d’un port de pêche. Et nous réfléchissons sur la question d’une grande entreprise nationale de pêche avec un business plan pour faciliter l’acquisition et l’opération de plusieurs bateaux semi-industriels destinés aux campagnes de pêche sur les bancs.
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