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Critiques sur la manière de procéder des limiers : au cœur des enquêtes policières 

La police est régulièrement critiquée par les tribunaux en raison d’enquêtes mal ficelées. La police mène plusieurs types d’enquêtes, la plus simple concernant les contraventions.

La police essuie souvent des critiques quant à la façon dont les enquêtes sont menées. Comment se déroulent-elles ? Quels sont les facteurs à prendre en considération ? Pourquoi certains cas prennent-ils plus de temps que d’autres ? Tour d’horizon.

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«La police mauricienne compte de fins limiers. » Du côté de la cellule de presse de la police, la compétence des enquêteurs ne fait aucun doute. Et pourtant, la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth a récemment qualifié d’« incompréhensible » et de « déraisonnable » l’omission de la police d’enquêter sur les allégations de Me Akil Bissessur contre des membres de la Special Striking Team. C’était le 28 mars dernier, lorsque l’accusation provisoire de trafic de drogue dont faisait l’objet l’homme de loi a été rayée devant la cour de Bambous.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des reproches sont faits à la police quant à la façon dont des enquêtes sont menées. Des cas mal ficelés, incomplets, voire non élucidés (cold cases) depuis plusieurs années ont été signalés. La magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth avait même évoqué « a new level of incompetency » de la police dans son rapport, à l’issue de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen en 2022. Cette situation finit par mettre en doute le professionnalisme des policiers chargés d’enquêter sur des dossiers brûlants, ainsi que la qualité des enquêtes menées.

Justement, comment se déroule une enquête policière ? Cela dépend de plusieurs facteurs, apprend-on : la nature du crime commis, la gravité de l’infraction et également le nombre de preuves disponibles (voir encadrés). En règle générale, avancent de fins limiers basés au Central Criminal Investigation Department (CCID) des Casernes centrales, l’enquête policière débute au moment où la police est informée d’un délit. 

Les dépositions sont généralement faites par la victime, un témoin ou n’importe quel individu au courant de l’infraction. Des preuves et autres éléments (empreintes digitales, témoignages ainsi que des images de caméras de surveillance CCTV ou du dispositif Safe City) sont collectés et ensuite analysés par des experts. 

« Bien souvent, les premiers suspects potentiels sont arrêtés, puis interrogés dans les heures qui suivent. Chaque enquêteur ou équipe d’enquêteurs chargée d’une affaire a sa façon d’opérer. Certains cas nécessitent un travail minutieux et requièrent des compétences spécialisées pour la collecte de preuves. C’est souvent le cas dans les affaires de trafic de drogue ou de meurtre. C’est pourquoi certaines enquêtes prennent plus de temps que d’autres », fait-on comprendre.

Un ancien haut gradé de la police, qui a fait ses preuves en tant qu’enquêteur, souligne que diverses techniques modernes de collecte de preuves sont utilisées (reconnaissance faciale, caméras de surveillance, analyses ADN et autres enregistrements téléphoniques) afin de rassembler des éléments pouvant identifier les suspects. L’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu) ou encore la brigade pour la protection des mineurs, poursuit notre intervenant, sont souvent sollicités pour traiter des cas spécifiques. 

L’ex-limier précise toutefois que « les droits de tous les suspects sont respectés et que toutes les preuves sont collectées de manière appropriée et légale ». Cela, afin de garantir que le système de justice fonctionne de manière équitable et juste pour tous les citoyens vivant sur le sol mauricien. 
Qu’est-ce qui explique alors les critiques contre la police de la part des magistrats ? Selon des renseignements, certaines failles seraient courantes dans des enquêtes policières. Il arrive parfois que certains enquêteurs omettent de recueillir certaines preuves et évidences, ou les collectent de manière inappropriée, ce qui affaiblit l’affaire. 

Puis, certains enquêteurs commettent parfois des erreurs d’identification des suspects lors des opérations. Autrement dit, ils procèdent à l’arrestation – parfois musclée, avec le concours des commandos du Groupement d’intervention de la police mauricienne (GIPM) – d’individus innocents. « Parfois, nous sommes appelés à travailler sur des cas qui sont hautement politisés, c’est-à-dire des affaires sensibles susceptibles de faire tomber un politicien, voire un gouvernement. Des pressions politiques ou des pressions de la communauté peuvent affecter notre objectivité et notre impartialité lors de l’enquête », fait-on comprendre au niveau du CCID. 

Un autre facteur pouvant perturber le cours d’une affaire est le manque de ressources telles que des équipements permettant la collecte de preuves ainsi que des formations pointues et spécialisées à l’étranger, comme en Inde ou encore en Europe. « De telles formations peuvent nous aider à approfondir nos enquêtes. Surtout concernant les cas de trafic de drogue où les trafiquants usent d’ingéniosité », souligne-t-on.

Différents types d’enquêtes

Les enquêtes policières sont menées à plusieurs niveaux à la suite de contraventions, de délits considérés comme étant des « misdemeanors » (dont les peines d’emprisonnement oscillent entre 30 jours et 10 ans et les amendes sont moins de Rs 10 000), et de crimes (dont les peines d’emprisonnement sont entre 3 ans et 40 ans, et les amendes vont jusqu’à Rs 10 000). 

Un enquêteur expérimenté basé aux Casernes centrales de Port-Louis précise, sous le couvert de l’anonymat, que seul le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) peut décider de la suite à donner aux enquêtes criminelles. « Les enquêtes les plus simples concernent les contraventions. Pour les délits mineurs, comme une affaire de coups et blessures impliquant plusieurs individus, par exemple, une interrogation est menée. Les éléments de preuve (exhibits) sont conservés et présentés en cour de justice », explique-t-il.

Dans une affaire de drogue, poursuit l’enquêteur, les substances nocives sont envoyées au Forensic Science Laboratory (FSL) à des fins d’analyses. « L’accusé doit impérativement être confronté au rapport pour la suite de l’enquête policière », indique-t-on.

« Devir lanket »

Les allégations de « devir lanket » par des enquêteurs de la police reviennent souvent. Est-ce possible ? Selon notre source, il y aurait quatre moyens possibles : le non-respect des droits de l’homme lors des opérations, lorsque le présumé accusé n’a pas été informé de ses droits, les confessions forcées et l’obtention illégale de preuves. 

Pourquoi cela tarde autant ?

Divers facteurs peuvent retarder la durée d’une enquête policière. Tout d’abord, il y a l’attente du rapport du Forensic Science Laboratory (FSL). Ensuite, il y a l’attente d’un rapport médico-légal (MLR), suivi de l’attente d’un document provenant d’un expert en écriture manuscrite basé au CCID. Enfin, il peut y avoir l’attente d’une certification pour un billet de banque provenant de la Banque de Maurice, entre autres.

Une fois ces rapports obtenus, les accusés sont de nouveau confrontés aux documents. « Il y a également les parades d’identification, ainsi que les screen identifications dans les délits impliquant des mineurs », explique-t-on. 

Une reconstitution des faits est menée dans le cadre des délits où il y a mort d’homme, coups et blessures, entre autres, ajoute-t-on. « Les experts du Scene of Crime Office (SOCO) se déplacent sur le lieu pour des prélèvements. Des images sont capturées et des plans sont dressés. » 

Dans les milieux concernés, on précise que plus les pénalités sont graves, plus l’enquête doit être rigoureuse. « Chaque détail compte dans une enquête criminelle. Dans la plupart des cas, les accusés plaident non coupables, car ils savent qu’ils risquent de purger une lourde peine », indique-t-on.

Prouver l’intention

Selon notre intervenant, les délits de trafic de drogue seraient les plus difficiles à prouver en cour de justice. Pourquoi ? « L’action de l’accusé peut être facilement prouvée. Mais le plus important, voire le plus difficile, c’est de démontrer l’intention de commettre le délit. Prenons, par exemple, un cas de complot (NdlR : ‘conspiracy’). C’est l’un des délits les plus difficiles à prouver en cour de justice. L’essentiel est de démontrer l’intention. Bien souvent, les présumés accusés plaident non coupables. C’est là que la police doit rassembler toutes les preuves possibles, qui doivent être présentées en cour », indique-t-on. 

Ces cas non élucidés

Soopramanien Kistnen : Soopramanien Kistnen était un activiste du MSM dans la circonscription n°8 (Moka/ Quartier-Militaire). Le corps calciné de ce père de famille de 55 ans a été découvert dans un champ de canne dans la région de Telfair, Moka, le 18 octobre 2020. Ses meurtriers courent toujours. La Major Crime Investigation Team peine à remonter jusqu’aux assassins de l’activiste, voire du/des commanditaire/s.

Helene Lam Po Tang : Sanjeev Nunkoo avait été arrêté, puis acquitté dans le cadre du meurtre d’Hélène Lam Po Tang, survenu à son domicile à Baie-du-Tombeau en octobre 2010. Son avocat, Me Rama Valayden, avait mis en évidence des failles dans l’enquête policière.

Nadine Dantier : Juin 2003. Le corps de Nadine Dantier, étudiante à l’université de Maurice âgée de 21 ans, est retrouvé sur un terrain en friche dans la région d’Albion. L’autopsie conclut à une asphyxie par strangulation. Marcelin Azie, un maçon domicilié dans la région, est arrêté, puis relâché. Près de 20 ans après, le coupable court toujours.

Tagoresing Sandooram et Hanshee Ittoo : L’enquête policière sur le drame de Bassin-Blanc, où les corps de Tagoresing Sandooram et de Hanshee Ittoo avaient été retrouvés ligotés dans le cratère en novembre 2002, reste au point mort. L’affaire a fini par être classée au fil du temps. Les proches des défunts n’obtiendront jamais les réponses à leurs interrogations.

Cellule de presse de la police 

La compétence des limiers mise en avant

La cellule de presse de la police met en avant la compétence des enquêteurs, soulignant leur expérience et leur professionnalisme dans la résolution de nombreux cas. Cependant, certains points ne sont pas toujours pris en compte pendant les enquêtes, ce qui conduit parfois à une révision des dossiers par le bureau du DPP. « Les préposés du DPP sont chargés d’analyser les détails des enquêtes et de renvoyer les dossiers à la police pour de plus amples investigations », explique-t-on. 

Questions à…Ranjit Jokhoo, ancien enquêteur de la MCIT : «Parfwa ena lanket kot napa pou gagn nanye»

ranjitComment se déroule une enquête policière ?
Une enquête policière est avant tout une expédition d’exploration. Bizin kone ki pe rode. Les enquêteurs vont explorer toutes les pistes pouvant permettre d’élucider l’affaire. Parfwa ena lanket kot napa pou gagn nanye. 

Quels sont les facteurs qui font qu’une enquête piétine ?
Les témoignages sont l’un des facteurs principaux. Certains témoins ont tendance à se contredire. Ce qui retarde l’enquête. La police doit ainsi avoir recours aux résultats scientifiques afin de pouvoir poursuivre l’enquête.

Vous êtes toujours d’avis qu’il faut tout éponger lors d’une enquête ?
J’ai passé 35 ans de ma vie à mener des enquêtes. Toute enquête policière doit être menée comme il faut. D’où l’importance d’explorer toutes les pistes. Bizin pa perdi letan ek zafer initil. Il faut analyser tous les motifs. Pa nek krwar dan bann zistwar. Ce n’est qu’une fois tous les éléments en main qu’on peut tirer des conclusions. Parfwa ena inosan paret pli koupab ki seki koupab. Parfwa ena koupab paret pli inosan ki seki inosan.

Une enquête policière prend combien de temps ?
Tout dépend de la nature de l’affaire. Mais généralement une enquête est élucidée dans une période de deux à trois mois. Les cas d’assassinat prennent généralement plus de temps, soit entre cinq et sept mois, car il faut procéder à l’analyse de toutes les preuves. 
Une affaire de meurtre prend du temps. Des dossiers peuvent rester pendant deux ou trois ans au bureau du DPP. Lerla zot dir « no further action ». 

 

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