[COUP DE GUEULE ] Amendes gonflées, sécurité flouée

Quelle joie de voir notre chère île Maurice se lancer dans une nouvelle croisade pour la sécurité routière ! Plus de trente amendes révisées à la hausse sont fièrement annoncées dans le Road Traffic (Amendment) Bill présenté à l’Assemblée nationale. Oui, oui, vous avez bien entendu. Nous ferons face à des amendes plus salées pour certaines infractions.

Parmi les amendements notables, le non-port de la ceinture de sécurité. Si autrefois les contrevenants étaient punis d’une tape sur le poignet avec une amende de Rs 1 000, ils devront désormais racler jusqu’à Rs 5 000 pour leur insouciance. Pour ce qui est des plaques d’immatriculation non conformes, c’est un saut colossal de Rs 1000 à Rs 25000, finalement réduit à Rs 5 000 « dans le souci d’harmoniser les sept délits aux plaques d’immatriculation », aux dires du ministre du Transport, Alan Ganoo.

La hausse des amendes s’avère nécessaire, selon lui, compte tenu du fait que beaucoup d’accidents sont provoqués par « le non-respect du Code de la route ». Le directeur de la Traffic Management and Road Safety Unit (TMRSU), Dev Nathoo, apporte un éclairage sur cette stratégie : « En augmentant les amendes, cela aura un effet dissuasif. » Mais bien sûr ! Rien de tel qu’un bon coup de massue sur le porte-monnaie pour nous transformer en parfaits petits conducteurs, n’est-ce pas ?

Et comme si cela ne suffisait pas, les Cumulative Road Traffic Offences connaîtront, elles aussi, un coup de pouce : on passe de 11 à 32 infractions cumulatives. Un record digne du Livre Guinness des records. Quatre infractions en deux ans et hop, votre permis peut être suspendu. Voilà de quoi faire réfléchir les plus téméraires d'entre nous !

Pourtant, un petit regard sur les statistiques de 2023 nous fait douter de cette approche miraculeuse : 36 400 accidents de la route, en hausse de 2,5 % par rapport à l’année précédente. Parmi ces incidents, 138 vies tragiquement perdues, dont 57 motocyclistes et 42 piétons. Cette année, ce n’est pas mieux. Au vendredi 21 juin 2024, nous étions déjà à 67 victimes. Et là, une pensée fugace : est-ce vraiment une simple question d’amendes ?

Mais ne soyons pas cyniques. Admettons-le : augmenter les amendes, c’est bien. C’est même très bien, si on veut se donner bonne conscience. Sauf que, et c’est là que le bât blesse, notre vaillante police doit se montrer à la hauteur. Malheureusement, sous tous les gouvernements, ce sont les législateurs eux-mêmes qui freinent l’ardeur des policiers

Quelle douce ironie de voir ceux qui votent les lois pour accroître la sécurité routière s’empresser de protéger leurs agents, leurs partisans et les amis bien connectés de toute sanction contre l’insécurité routière. Et nous parlons même de transferts punitifs pour les policiers intègres qui sévissent contre tous sans parti pris. Quelle farce !

Cette belle hypocrisie a bien sûr ses conséquences : des policiers démotivés, une culture de l’impunité bien ancrée et des citoyens qui se demandent pourquoi ils respecteraient le Code de la route si ceux d’en haut s’en moquent éperdument. Ou encore si un nombre croissant de gens font ce qu’ils veulent sur la voie publique, sans être sanctionnés

Résultat, notre île devient le théâtre quotidien de comportements aberrants et dangereux : feux rouges grillés, zigzags en scooter, véhicules garés n’importe où, sur les doubles lignes jaunes, les boîtes jaunes dans les carrefours, les passages cloutés… Et même sur les arrêts d’autobus, obligeant le débarquement des passagers au beau milieu de la route avec le risque de se faire renverser par des motocyclistes imprudents. Et pire encore, dans les banlieues qui ressemblent à un « Far West ». Un véritable cirque, mais sans le filet de sécurité. Tout cela au vu et au su de tous. Et au nez et à la barbe de la police !

Alors, à quoi bon augmenter les amendes si la police ne s’implique pas avec dévouement et impartialité ? Finalement, ce ne sont pas les montants des amendes qui manquent de hauteur, mais bel et bien notre engagement collectif à les faire respecter.

Ne nous laissons pas berner par des mesures superficielles. Exigeons une réelle application des lois pour tous, sans exception. C’est seulement comme cela que nous pourrons espérer voir une véritable amélioration de la sécurité routière au sein de notre pays

Certes, il est important de prendre des mesures, mais augmenter les amendes sans s’attaquer aux racines du problème semble aussi efficace que peindre des lignes blanches sur des nids-de-poule. Une approche holistique – impliquant une application rigoureuse et équitable des lois, ainsi qu’une éducation continue des conducteurs – pourrait être la clé pour réellement inverser la tendance des accidents mortels.

La sécurité routière est l’affaire de tous, mais avant tout, elle est la responsabilité de ceux qui nous gouvernent. Il est grand temps qu’ils cessent leur hypocrisie et montrent l’exemple.

En fin de compte, chaque accident évité grâce à des mesures réelles vaut plus que mille campagnes de sensibilisation creuses. En attendant, attachez vos ceintures, non seulement pour éviter une amende, mais surtout pour sauver des vies.