Faire le ménage, la lessive et les courses, préparer le repas ou encore emmener les enfants à l’école… C’est un fait que les femmes, qu’elles travaillent ou pas, consacrent plus de temps aux tâches ménagères et aux soins de la famille que les hommes. Quel est le poids et le coût de ce travail invisible, non rémunéré et largement inconsidéré ? Et quel impact sur le parcours professionnel des femmes actives ? Le point !
Sources : rapport de Statistics Mauritius intitulé « How Mauritians spend their time? » (publié en 2021) et rapport de Business Mauritius intitulé « Situational diagnostic: gender inequalities in the workplace » (publié en 2022).
La femme assume la responsabilité principale de la garde des enfants
Quelle que soit leur situation professionnelle, la majorité des femmes déclarent assumer la responsabilité principale de la garde des enfants, y compris les activités scolaires et extrascolaires. Toutefois, en moyenne, les responsabilités liées à la garde des enfants sont
- 30 % des jeunes parents déclarent être confrontés à des problèmes de garde d’enfants.
- Un tiers des enfants de moins de trois ans sont gardés dans des crèches. Un tiers est gardé par des membres de la famille, le reste par leur mère.
Ces principales problématiques liées à la garde des enfants
- Quand les enfants sont malades
- Les heures d’ouverture des garderies
- Le coût des garderies
- Le temps passé dans le transport et la sécurité des enfants
Source : Business Mauritius
Quels coûts ?
Plus de Rs 90 milliards
La valeur totale des services domestiques est estimée à Rs 71,24 milliards, selon les calculs de Statistics Mauritius. Ce qui équivaut à environ 14 % du produit intérieur brut (PIB) de 2019. À quel montant peut-on s’attendre en 2024 si tout le travail domestique était rémunéré et si on le mesurait avec la richesse nationale ? « Il faudrait prendre en compte divers paramètres tels que l’inflation, la croissance, le niveau des salaires et d’autres données pour avoir une estimation plus précise. Si c’est toujours à 14 % du PIB, la valeur de ce travail serait de l’ordre d’environ Rs 99 milliards », avance le Dr Myriam Blin, Gender Economist. « Je ne serais pas étonnée que le pourcentage en termes de PIB est au-delà des 14 % de nos jours. D’autant plus qu’il devient de plus en plus difficile de trouver du personnel de maison », renchérit l’économiste Manisha Dookhony.
Eric Ng, économiste
« Si les tâches ménagères étaient rémunérées, elles le seraient par leur conjoint/e. Donc le revenu du ménage n’augmente pas. De toute façon, le/la conjoint/e reçoit une somme d’argent de son conjoint à la fin du mois. Sinon, ce qui est pertinent pour le PIB, c’est de déclarer au fisc les salaires qu’on paie à une personne externe de faire le travail domestique du ménage. »
Madhavi Ramdin-Clark, présidente de la Social Capital Commission de Business Mauritius*
« La garde des enfants est typiquement soit l’entière responsabilité de la femme, soit une responsabilité partagée entre homme et femme. Par contre, il est beaucoup plus rare de voir une famille où cette responsabilité tombe entièrement sur l’homme. La crise sanitaire avait d’ailleurs fait ressortir de manière indéniable ces inégalités. Les besoins des familles – qu’ils soient par rapport à l’éducation, à la santé, ou au ménage – ont été grandement pourvus par les femmes pendant les périodes de confinement. C’est pour cela, en effet, que beaucoup d’entreprises au lendemain de la pandémie ont développé des plans de travail flexibles, cela
non seulement pour alléger le fardeau des femmes, mais aussi pour encourager les hommes à partager ces responsabilités. »
*Extraits d’une interview accordée au Défi Media Group.
Si les tâches ménagères étaient rémunérées, combien y gagnerait-on ?
Dr Myriam Blin, Gender Economist : « C’est une étude complexe. Tout dépend de combien est rémunéré une femme de ménage, un garde d’enfants, une personne responsable des soins des personnes âgées... Ce sont des tâches essentiellement entreprises par les femmes et faiblement rémunérées même sur le marché du travail. Les tâches traditionnellement féminines sont souvent bien moins rémunérées que les tâches masculines. Si l’on prend en ligne de compte le salaire minimum qui est de Rs 16 500, on verra que ce montant n’est pas représentatif de toutes les tâches non rémunérées des femmes. Au-delà des tâches ménagères, les femmes assument la gestion du foyer. Elles s’occupent aussi des enfants : les emmener à l’école, chez le médecin, etc… Ce sont des tâches que nous pouvons difficilement mesurer en termes de rémunération. »
Manisha Dookhony, économiste : « Ces tâches sont considérées comme faisant partie des terms of reference des femmes. De ce fait, elles ne sont même pas considérées comme une contribution économique à la famille. Outre le ménage, la femme doit s’occuper des enfants et des grands-parents. Certaines femmes prennent une demi-journée de congé pour emmener les grands-parents à leurs visites médicales. Il faut qu’il y ait une appréciation de ces tâches. Les femmes n’ont pas la considération qu’il faudrait et touchent zéro rémunération. Il a tout un travail de conscientisation à faire. »
Lillka Cuttaree, directrice du KIP Center for Leadership : « Le coût des tâches ménagères dépend du type de foyers. Évidemment, une famille ayant des revenus élevés a la possibilité de faire appel à des services de nettoyage, de jardinage, de baby sitting, entre autres. Mais, sachez qu’en moyenne pour le ménage, cela ne représente que 1 % du budget total de la fille comparativement aux dépenses liées à l’alimentation ou le transport (y compris les prêts pour acquérir une voiture) qui représentent plus de 40 % du budget. C’est une petite élite qui peut se payer ces services. »
*L’étude publiée dans l’American Journal of Sociology s’intitule « Getting a Job: Is There a Motherhood Penalty? »
Selon une étude de Business Mauritius, il ressort que la réussite professionnelle de la femme est entravée par les tâches ménagères et la garde des enfants. Vos commentaires ?
Lillka Cuttaree : « Oui, c’est vrai. Beaucoup d’études le montrent, surtout au niveau du middle management. J’ai moi-même piloté une étude sur les écarts de genre dans le secteur financier connu comme étant un grand employeur de talents au féminin. Et la tendance est la même. Sauf que dans ce secteur, les femmes professionnelles ont les moyens de payer des employés de maison pour les tâches ménagères et la garde des enfants. Pour les autres, il faut souvent revoir le plan de carrière ou opérer en flexitime, surtout avec des crèches qui ferment trop tôt. Il faut ajouter à cela aussi le silver care avec les parents vieillissants et cette tâche en termes de temps reste souvent à la charge des femmes. »
Dr Myriam Blin : « C’est vrai ! Le temps consacré aux tâches ménagères, aux enfants et aux personnes âgées est en compétition directe avec le temps et l’énergie dévoués au travail rémunéré. Nous avons aussi une barrière, notamment dans nos entreprises aujourd’hui, c’est l’idée conçue qu’un travailleur typique doit se dédier 100 % à son travail. Cette idée n’est pas en équation avec la réalité des femmes qui travaillent. On a, en effet, des environnements et des systèmes professionnels qui ne sont pas adaptés aux réalités des femmes. Une autre raison qui constitue un obstacle est que souvent les employeurs présument que les mères sont moins engagées ou disponibles. Du coup, on ne les met pas sur certains projets ou on ne leur accorde pas des promotions. On suppose que certaines responsabilités professionnelles ne sont pas adéquates aux femmes qui sont mères. C’est un des préjugés les plus forts. D’après une étude internationale*, il ressort que les mères ont 79 % moins de chance d’être embauchées et 100 % moins de chance d’être promues. Elles sont soumises à des normes de performance et de ponctualité plus élevées. Tout simplement parce qu’elles sont mères. C’est pourquoi la courbe de participation des femmes dans la vie active diminue quand elles sont en âge de parentalité. Il n’y a pas de doute que la maternité soit une barrière à la participation de la femme et à son évolution sur le marché du travail et aussi à avoir des postes à plus haute responsabilité. »
Manisha Dookhony : « Absolument ! Dans une étude que nous avons faite sur le secteur financier, il ressort que les femmes refusent de postuler pour des postes à responsabilité en raison de leurs engagements à la maison. De même, quand il y a une progression de carrière et une augmentation salariale, les femmes ne se retrouvent pas dans cette liste. Et c’est vrai aussi dans d’autres secteurs … Souvent, il y a une partie du travail qui se fait en dehors des heures de travail, car Maurice travaille beaucoup avec des pays de l’Union européenne. Or, les femmes n’ont pas ce luxe, elles ont besoin de s’occuper des enfants et des grands-parents... Quand une entreprise va accorder une promotion, elle va donner à l’employé le plus dédié, le plus présent. Il y a une préférence pour les hommes qui paraissent plus présents dans l’entreprise que les femmes. Ils peuvent aller prendre un verre après le travail. Pour la femme, c’est mal perçu qu’elle soit mariée ou qu’elle vit chez ses parents…. De même, cela prend plus de temps pour une femme de devenir partenaire dans une entreprise. Quand elles vont avoir des enfants, elles doivent faire des career breaks. Elles doivent alors redistribuer leur portefeuille de clients. À leur retour, elles doivent reconstituer leurs portefeuilles. En termes de timing, les hommes deviennent partenaires plus vite que leurs collègues femmes. »
À l’étranger comme à Maurice, ce sont les femmes qui passent plus de temps à faire le ménage comparativement aux hommes. De même, le travail domestique demeure largement inconsidéré. Est-ce que les mentalités ont changé depuis la pandémie ?
Manisha Dookhony : « Je pense que oui. Les gens ont changé leur façon de faire et se sont habitués à faire des tâches ménagères. À la maison, il y a plus de compréhension des besoins. Autre élément important : les parents mettent aussi l’accent sur la contribution des garçons également aux tâches ménagères. Ce qui n’était pas le cas auparavant. Cette mentalité est en train de changer. »
Lillka Cuttaree : « Le temps des « unpaid chores » est trois fois plus élevé pour la femme que pour l’homme. C’est une tendance globale, pas seulement locale. Par contre, ce qui est intéressant c’est que Business Mauritius avait fait une étude après la pandémie et il s’avère que le ratio est resté identique, même quand les hommes étaient à la maison. Donc, on est loin d’un changement de mentalité et la charge mentale pour les femmes, elle est réelle. »
Dr Myriam Blin : « La pandémie a mis en lumière la tâche ce que cela représentait. À travers le monde et y compris à Maurice, des femmes devaient travailler à domicile tout en s’occupant du ménage et des enfants. La pandémie a causé un choc au système car une partie de ces femmes ne pouvaient plus faire appel aux femmes de ménage. Après la pandémie, il n’y a pas grand-chose qui a changé. La pandémie a juste permis d’intensifier les discussions sur l’égalité des genres, mais les femmes restent fondamentalement responsables de ce travail non payé. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte où la plupart des ménages ont besoin de deux revenus par foyer et où l’économie a besoin de pouvoir exploiter tout le potentiel de son capital humain. Dans un contexte où l’on demande à la femme d’exploiter tout son potentiel, cela rentre en compétition avec ses besoins. »
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