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Budget 2023-24 : Padayachy doit éviter le piège du populisme,selon des économistes

Pierre Dinan, Nalini Burn, Sameer Sharma et Roshaan Kulpoo

Le Budget sera présenté dans les semaines à venir. Disposant d’une plus grande marge de manœuvre par rapport à ses précédents budgets, Renganaden Padayachy devra proposer un programme socio-économique solide qui viendra instiller la confiance parmi la population et les opérateurs économiques. Mais en raison des prochaines échéances électorales, la principale crainte est que le ministre des Finances verse dans le populisme. 

 La marge de manœuvre dont dispose le ministre des Finances

Pierre Dinan, économiste : 

« Sa marge de manœuvre est celle-ci : faut-il privilégier la bonne marche de l’économie à moyen et long termes ou bien se cantonner à plaire au plus grand nombre à court terme ? »

Nalini Burn, économiste :

On dira que la marge de manœuvre budgétaire ou l’espace fiscal est restreint. Et dans le même souffle on dira aussi que l’économie est en train de rebondir. Ce discours peu cohérent, on peut l’anticiper. On est aux prises avec plusieurs jeux d’équilibre, tenant compte des protagonistes et parties prenantes et des enjeux. Donc, ce n’est pas la macroéconomie et l’équilibre financier qui priment. Le Budget est surtout politique - de la socio-économie politique. D’abord, peut-on vraiment estimer cette marge de manière fiable ? Il y a des questions à se poser sur le calcul du taux de croissance économique réelle dans un contexte inflationniste et sur la taille de l’économie noire. Ici, je fais référence à la drogue et son insertion dans le circuit économique avec le blanchiment de l’argent. Il y a aussi beaucoup de zones d’ombre sur la soutenabilité économique, si l’on considère le déficit budgétaire par rapport au PIB. Et cet exercice annuel est-il le dernier avant les élections générales ? Car il est plutôt question de la marge de manœuvre qu’un gouvernement – sortant – veut se donner, afin de revenir au pouvoir. Et là, il devra composer avec des mesures populaires, susceptibles de faire basculer des votes, et faisant fi des considérations de stabilisation macroéconomique qui devraient limiter la marge de manœuvre par rapport à la dette publique, les déficits de la balance extérieure courante, etc.  De toutes les façons, il y a des difficultés structurelles à réduire les dépenses publiques, parapubliques quasi fixes. Elles sont liées à une grande frange de son électorat et de sa machine électorale. Il y a aussi les dépenses fiscales, soit les exonérations d’impôts qui limitent la mobilisation des ressources fiscales. On doit ajouter une autre rigidité de taille d’un centre financier offshore, qui est un régime de faible imposition fiscale qui est très lié à l’immobilier de luxe. »

Sameer Sharma, économiste : 

« Le gouvernement continue de s’appuyer fortement sur l’inflation qui augmente les recettes totales. Une part plus importante de la croissance des recettes budgétaires provient de l’inflation que de la croissance réelle, mais le problème de cette stratégie est que l’inflation est une taxe sur les pauvres et la classe moyenne inférieure. Cependant, la plupart des gens ne comprennent pas que les gouvernements peuvent imposer des taxes ou utiliser la ‘stealthy inflation tax’ pour arriver au même résultat.  En ce qui concerne sa marge de manœuvre, si vous voulez dire utiliser l’argent que la Banque de Maurice a imprimé et transféré au gouvernement et qu’elle n’a pas encore entièrement utilisé, la Mauritius Investment Corporation qui est contrôlé de facto par le gouvernement dans la pratique et qui a encore Rs 34 milliards à dépenser, il reste des munitions, mais ce genre d’argent imprimé ne fera rien de bon pour l’économie.  Imprimer de l’argent n’est pas une solution aux problèmes du pays.  L’Argentine, le Zimbabwe et le Venezuela sont des exemples à ne pas oublier.  Si l’on tient compte de l’argent imprimé, la marge de manœuvre est très faible, surtout si l’on considère l’ampleur de la dette publique, tant étrangère que nationale, et surtout, de nos jours, le montant nécessaire pour les pensions de retraite de base et la nécessité de combler l’énorme trou dans les régimes de retraite à prestations définies.  Imprimer de l’argent et le dépenser n’est pas un exploit.  Étant donné que nous n’augmentons pas les facteurs de production locaux et que nous importons la majeure partie de ce que nous consommons (même les logements sociaux sont fortement importés), dépenser de l’argent imprimé en prétendant que tout va bien ne peut que creuser les déficits de la balance des opérations courantes et affaiblir la roupie. »

Roshaan Kulpoo, expert en inclusion financière : 

« Nous sommes arrivés à une fin de cycle économique et financier. Le ministre des Finances a l’obligation morale de dire la vérité à la population concernant les véritables enjeux macro et socio-économiques dans son Budget. L’inflation globale demeure à deux chiffres depuis cinq mois consécutifs et il est grand temps qu’un ministre des Finances responsable ne traite pas le Budget 2023-24 comme une écriture comptable. Sa marge de manœuvre repose sur le fait qu’une bonne partie de la croissance des recettes budgétaires proviendrait de l’inflation. Mais, le problème avec cette stratégie est que l’inflation est une taxe sur les plus démunis. » 


Les priorités des priorités 

Sameer Sharma : 

« La priorité doit être d’avoir des hypothèses plus réalistes pour le déflateur et avoir une image réelle de notre situation par rapport à la prévision de croissance réelle surestimée. Nous devons cesser de compter sur la monnaie imprimée, qui entraîne une dépréciation et davantage d’inflation. Nous devons nous engager dans une consolidation fiscale significative qui nécessite à la fois des mesures d’amélioration de la fiscalité et de réduction crédible des coûts de crédibilité. Aujourd’hui, plus des deux tiers des recettes fiscales proviennent des taxes sur la consommation qui bénéficient également de l’inflation.  Cette situation nuit et est injuste pour les pauvres et la classe moyenne qui consacrent une part plus importante de leurs revenus à la consommation.  Le système fiscal est favorable aux riches et ne fonctionne pas.  Les impôts favorables aux riches n’ont pas non plus entraîné beaucoup d’investissements privés non immobiliers.  Nous devons encourager le travail et la productivité tout en taxant l’économie rentière. Par exemple, nous devrions imposer une taxe sur la valeur foncière pour les terrains dépassant une certaine superficie, ce qui apporterait beaucoup d’avantages à l’économie tout en réduisant l’impôt sur le revenu, en particulier la surtaxe sur les revenus les plus élevés, qui décourage la main-d’œuvre qualifiée de travailler et de venir dans notre pays. Les dividendes des sociétés locales devraient être imposés. Nous devons taxer davantage les riches de manière intelligente. Nous devons réduire l’impôt sur l’inflation qui frappe les pauvres en adoptant une politique monétaire et fiscale plus responsable, en vivant selon nos moyens et en ne comptant pas sur l’impression monétaire. Par ailleurs, l’une des réformes structurelles clés et les plus importantes que nous devons entreprendre dans cette économie pour obtenir une croissance de meilleure qualité est de réorganiser complètement le paysage de la concurrence dans les secteurs privé et parapublic de ce pays. Nous ne pouvons pas avoir autant d’oligopoles et de monopoles qui génèrent un faible rendement du capital. Nous devons libérer le paysage concurrentiel. Notre taux de croissance est freiné par les limites des conglomérats et des organismes parapublics. Tant qu’il en sera ainsi, le pays restera dans le piège des revenus moyens. »

Roshaan Kulpoo :

  Il faut revoir les priorités des dépenses publiques, réduire drastiquement les gaspillages de fonds publics, redynamiser le secteur des PME, recapitaliser la Banque de Maurice pour stabiliser la roupie, augmenter le pouvoir d’achat des Mauriciens au bas de l’échelle, revoir d’urgence le modèle de la Contribution sociale généralisée (CSG) qui est une bombe à retardement et suivre les recommandations de Fonds monétaire international (FMI) concernant la Mauritius Investment Corporation (MIC). Il faut aller dans cette direction car les caisses sont vides, mais aussi parce que la majorité des Mauriciens qui touchent moins de Rs 25 000 souffrent énormément. Par ailleurs, on ne peut avoir une économie inflationniste centralisée sur la consommation. »

Nalini Burn :

« Dans l’immédiat, il faut alléger le budget des ménages ainsi que recadrer le budget annuel.  Il faut se donner les moyens de revoir nos priorités de manière plus stratégique, en même temps qu’assurer la fonction de répartition équitable et solidaire des ressources publique.  Comme notre modèle économique, voire sociétal, cet exercice annuel est dépassé. Ce n’est qu’une performance, avec beaucoup d’effets d’annonces en plus. Avec aucun bilan, pour rendre compte de l’année écoulée, aucun ajustement pour piloter. Juste la contrainte que la loi des finances doit être sujet à l’autorisation parlementaire, dans une démocratie électorale. Les grandes mesures qui ont une incidence et impact économique et sociale et aussi écologique sont hors budget. D’autres sont hors contrôle parlementaire par artifice légale- compagnies privées d’état. Ce qui a plus d’implications stratégiques en termes d’orientations politiques sont enfouis dans les annexes au Budget. On y prête peu et pas assez d’attention. On a un Budget qui fait l’évènement médiatique. Mais pas de plans, ni de politiques publiques énoncés, explicités, évalués, audités priorisés. Or, on doit revoir la notion même de l’équilibre budgétaire pour dépasser le cadre et le champ uniquement de gouvernance macroéconomique -inclure le déficit et non soutenabilité sociale et écologique. Surtout que dans les périodes de crises systémiques ou ‘permacrises’, on assiste aux grands chamboulements sur le plan technologique, notamment avec les rivalités des grosses sociétés dans l’intelligence artificielle. Ce n’est pas dans une année -mais dans une perspective pluriannuelle - qu’on peut revoir le montant, la composition, la qualité des investissements publics ; réduire le gaspillage, assainir les finances publiques et résorber les faibles capacités techniques et de gestion, la prolifération des agences et autres entités publiques et parapubliques. Surtout, il nous faut dépasser une approche technocratique déconnectée de la réalité d’un état captif, clientéliste, depuis longtemps rythmé par le cycle électoral. C’est cette réalité qui pèse sur les choix budgétaires. »

Pierre Dinan :

« La priorité des priorités, c’est de s’assurer que tout soit mis en œuvre pour une utilisation efficace de nos ressources naturelles. Le gouvernement ne peut pas le faire tout seul. Il doit encourager ceux qui exploitent ces ressources naturelles, y compris le secteur privé, à faire pour le mieux. Je pense particulièrement au tourisme et au secteur manufacturier. Par ailleurs, il y a aussi un encouragement fiscal à pourvoir aux propriétaires des terrains agricoles afin de les orienter vers la culture notamment d’une canne produisant davantage de bagasse que de sucre. Tout cela dans le but de réduire à terme notre dépendance du fioul importé. Par ailleurs, il revient au ministre des Finances de persuader le gouvernement en général de chercher les moyens financiers et techniques pour le développement de l’économie bleue. Et en dernier lieu, il faut encourager fortement le déploiement des ressources humaines, c’est-à-dire que chaque Mauricien, qui soit en état par son âge et sa santé, doit contribuer au développement car il faut absolument éliminer cette idée que le développement économique n’est que la responsabilité de l’État. Le développement économique dépend de chacun de nous dans la mesure de nos moyens, mais on a absolument besoin d’un cadre et d’une bonne gouvernance lesquels sont la responsabilité du gouvernement avec bien sûr le ministre des Finances en première ligne. »


Quel doit être le maître-mot du Budget 2023-24 ? 

Nalini Burn : 

« Le maître-mot doit être le budget de consommation des ménages ! Car du point de vue de toutes les classes sociales - sauf les plus fortunées - c’est le coût de la vie qui est à peine soutenable. Et où il n’y a presque plus de marge de manœuvre. Et ce sont en grande partie les consommateurs qui contribuent aux ressources publiques avec toutes les taxes sur la consommation.  Les rentrées augmentent avec la hausse des prix dans un contexte inflationniste. Dans beaucoup d’autres pays, on commence à cerner un phénomène de ‘greedflation’, pas tant l’inflation tirée par la demande, que par les profits gourmands dans un contexte de crise. Et ce, profitant du contexte inflationniste provoqué par les effets induits de la Covid-19, suivi de l’invasion de l’Ukraine et des politiques monétaires pour tenter de gérer l’inflation. La hausse des taux d’intérêt et la dépréciation de la roupie pèsent énormément sur les ménages endettés, accoutumés à un modèle économique et des modes de vie axés sur la consommation importée surtout - synonyme de « feel good ». Vu que le ‘headline inflation’ inclut les indices de prix de l’énergie et de l’alimentation qui sont assez volatiles, toute réduction de ces prix devrait être transmis aux consommateurs. Il faut vraiment donner confiance que les anticipations d’inflation peuvent être gérées et que le fardeau de maîtriser l’inflation soit équitable. » 

Pierre Dinan

« Les objectifs majeurs sont la bonne santé de l’économie et du social. Il faut un bon équilibre entre les deux en évitant de dépenser ce que l’on n’a pas dans l’immédiat. »

Roshaan Kulpoo

« Il faut un Budget réaliste et non politique. Il ne faudrait pas hésiter à mettre en place des mesures impopulaires dans l’intérêt de la majorité des Mauriciens qui souffrent énormément de l’érosion de leur pouvoir d’achat.»

Sameer Sharma : 

« Un Budget vise à optimiser la politique fiscale et à améliorer la capacité de l’économie à croître au fil du temps.  Pour pouvoir déterminer le type de politique budgétaire dont nous avons besoin, nous devons savoir où nous nous trouvons.  En fait, nous ne savons pas exactement où nous en sommes. Lorsque Statistics Mauritius parle d’un taux de croissance réel de 5 % en 2023, que le FMI a déjà ajusté à 4,6 %, il suppose que la variation du déflateur, qui est une mesure plus large de l’inflation que l’indice des prix à la consommation, n’augmentera que d’environ 3 %. Cette hypothèse est tout à fait irréaliste et est sous-estimée de 2 à 3 points de pourcentage. Si nous ajustons la croissance du PIB nominal avec un déflateur plus élevé, la croissance réelle est beaucoup plus faible. Jusqu’à quel point ? Nous ne le savons pas et les prévisions économiques à Maurice souffrent d’interférences politiques et d’une mauvaise qualité des données. Si nous ne savons pas où nous en sommes, nous ne pouvons pas mener une politique fiscale et même monétaire appropriée. Il s’agit là d’un problème majeur. »


Ce que devra éviter le Grand argentier pour cet exercice 

Roshaan Kulpoo : 

« Présenter un Budget populiste serait la pire des erreurs ! »

Pierre Dinan :

« Le ministre des Finances doit éviter de se servir du Budget comme d’un outil à engranger des voix pour la/les prochaines échéances électorales. »

Nalini Burn : 

« Il faut éviter à tout prix un Budget électoraliste ! »

Sameer Sharma : 

« La pire erreur que le gouvernement puisse commettre, c’est de présenter des mesures populistes financées par l’impression d’argent, l’argent qu’il lui reste et l’inflation. »

 

 

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