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Arrestation arbitraire : une injustice qui perdure  

Me Rubna Daureeawo et Me Ravi Rutnah.

La question de l’arrestation arbitraire et injustifiée revient sur le tapis. Le Directeur des poursuites publiques, Me Satyajit Boolell, Senior Counsel, l’a abordée dans le podcast de son bureau (https://youtu.be/r-J9UVkIVXk) pour le mois de juillet. Le thème choisi : la liberté, le combat de l’humanité. Que se passe-t-il lorsqu’on prive une personne de sa liberté de façon illégale ? Quid de l’arrestation arbitraire ? Quels sont les recours possibles pour une personne arrêtée injustement ? Deux légistes abordent le sujet.

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La liberté d’un individu

Selon Me Rubna Daureeawo, toute personne possède des droits, non seulement en tant que citoyen mais aussi en tant qu’humain. Ces droits doivent néanmoins être exercés dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des autres. 

Une arrestation arbitraire et injustifiée 

« On comprend naturellement les critiques émises à l’encontre des arrestations arbitraires, étant donné que c’est une violation grave des droits de l’homme », souligne Me Rubna Daureeawo. À Maurice, les arrestations arbitraires résultent, dans bien des cas, de la pratique des « accusations provisoires ». La police peut, en effet, arrêter quelqu’un  et déposer une accusation provisoire contre lui avant même d’avoir mené une enquête approfondie et recueilli un dossier à charge complet. Ce système, soutient l’avocate, favorise les erreurs et l’abus de pouvoir. 

« Notre Constitution protège chaque individu à cet effet et énumère les libertés individuelles et les divers droits fondamentaux d’une personne, tels que le droit à la vie privée, le droit de la propriété, la liberté d’expression, la liberté individuelle, entre autres. La Constitution stipule que nul ne peut être privé de sa liberté à moins que la loi ne le permette », précise-t-elle.

Or, le fait est que « de nombreuses personnes ont perdu leur liberté à la suite d’une accusation provisoire (provisional charge). Elles sont détenues pendant plus de deux ou trois ans sur la base d’une ou plusieurs accusations provisoires », observe Me Ravi Rutnah. Et de faire remarquer, dans la foulée, qu’« il est intéressant de noter que c’est le bureau du DPP qui s’oppose à leur libération sous caution devant la Bail and Remand Court ».

L’avocat demande ainsi au bureau du DPP de revoir sa position de manière juste et raisonnable dans les cas où des personnes ont été détenues des années durant, sur la base d’une accusation provisoire. Me Rutnah suggère aussi au DPP de s’associer aux avocats des droits de l’homme pour faire campagne pour l’abolition complète des accusations provisoires.

« La liberté est une lutte perpétuelle que chaque génération doit mener. À une époque où la technologie a fait de la surveillance un jeu d’enfant, et que de nouvelles pressions sont exercées sur la liberté d’expression, cela n’a jamais été aussi important », martèle Me Ravi Rutnah. Cela, notamment en mobilisant les ressources, l’imagination et les expériences « pour négocier de nouvelles protections ». 

Mais attention, prévient l’homme de loi. « Cela ne fonctionne pas lorsque les politiciens rejettent le plaidoyer pour la liberté comme non pertinent. Cela ne fonctionne pas non plus lorsque le public est fataliste. La dernière fois que le prolétariat mauricien s’est battu pour ses libertés sur de nombreux fronts, c’était dans les années trente. Par la suite, en particulier, après notre indépendance, nous avons été une nation endormie. Nous avons cessé de valoriser la liberté. »


Comment remédier à cette situation ? 

Me Rubna Daureeawo ne passe pas par quatre chemins. Il faut, dit-elle, abolir le système des « accusations provisoires » dans son ensemble. Elle opte pour un projet de loi autorisant la police à procéder à une arrestation uniquement si une enquête a été menée et qu’il y a matière à poursuite. 

« Cette décision doit avoir la participation de l’institution responsable d’entamer des poursuites, notamment le bureau du DPP. Cela permettra d’accroître le contrôle judiciaire et ainsi de s’assurer que l’accusation provisoire n’est pas détournée ou utilisée comme prétexte pour placer une personne en détention », fait-elle ressortir. 

Ce n’est pas tout. Elle préconise l’introduction de la Police and Criminal Evidence (PACE) Act ainsi que « le Code of Practice », comme établi en Angleterre. « Les services de police devraient avoir des protocoles bien définis par rapport à la détention d’une personne pour les besoins de l’enquête, assujettis à de stricts contrôles administratif et judiciaire. » Autre condition primordiale : « que la police et les institutions concernées fonctionnent correctement avec justesse, discipline, en toute indépendance et transparence ». 

Le judiciaire, ajoute Me Rubna Daureeawo, a aussi un rôle prépondérant à jouer en indemnisant de manière conséquente les victimes d’arrestation arbitraire, vu les graves préjudices que cela peut avoir sur leur vie. Elle pense également que cela enverrait un signal fort aux institutions et contribuerait à faire diminuer de tels cas.

Me Ravi Rutnah plaide, lui aussi, pour une réforme au sein de la police et de la justice. Seule une réforme, insiste-t-il, pourrait permettre que l’on ait des enquêteurs formés qui n’utiliseraient ni la ruse, ni la manipulation ni la contrainte pour obtenir des aveux afin de justifier la détention et éventuellement la condamnation d’une personne. « Les magistrats ont aussi besoin d’une formation approfondie pour comprendre et se familiariser avec la réalité sur le terrain. L’ensemble du processus de recrutement doit être examiné », affirme-t-il.


Les recours

La personne peut, par le biais de ses représentants légaux, saisir la Cour suprême pour une demande de « writ of habeas corpus » ; elle sera traduite devant un juge afin de contester son arrestation, explique Me Rubna Daureeawo. Elle peut aussi réclamer des dommages pour préjudice subi. « Elle devra saisir le tribunal afin de réclamer une indemnisation pour dommage moral et matériel. La réparation allouée est à la charge de l’État. »

En vertu de la loi actuelle, renchérit Me Ravi Rutnah, une victime peut poursuivre l’État pour des dommages et intérêts dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle elle a été privée de sa liberté. Une plainte peut également être déposée auprès de l’Independent Police Complaints Commission si la privation de la liberté d’une personne a été motivée par l’inconduite ou la mauvaise foi de la police.

Dans la foulée, il propose d’amender la Public Officers' Protection Act (POPA) afin d’étendre le délai de prescription pour poursuivre l’État de deux ans à dix ans. De plus,  ajoute Me Rutnah, les victimes devraient avoir la possibilité de poursuivre personnellement les policiers.

Qu’advient-il des responsables ?

Selon Me Rubna Daureeawo, il incombe au commissaire de police d’initier une enquête et de prendre des sanctions contre les responsables, surtout lorsqu’ils ont commis des fautes graves. 

Des cas d’arrestations sans mandat 

Il n’est pas nécessaire de se munir d’un mandat pour procéder à une arrestation dans certains cas, précise Me Rubna Daureeawo. Cela, ajoute Me Ravi Rutnah, en vertu de la District and Intermediate Courts (Criminal Jurisdiction) Act.  

Les exemples sont nombreux ; (1) si un délit est commis en présence d’un policier ; (2) en cas d’agression ; (3) si la police soupçonne qu’un délit a été commis ou va être commis par une personne (par exemple dans des cas de vols), trouble à la paix publique, entre autres. 

Faut-il introduire la PACE Act ?

« En effet, il est grand temps que cette loi soit introduite. Celle-ci va définir les paramètres dans lesquels la police doit opérer dans le cadre de l’enquête, l’arrestation et la détention. La PACE Act va ainsi aider à trouver le bon équilibre entre les pouvoirs de la police et les droits et la liberté des citoyens », affirme Me Rubna Daureeawo.

« Je prône l’introduction d’une telle législation depuis 2010, lorsque je suis venu exercer le droit à Maurice », avance, pour sa part, Me Ravi Rutnah.

Les lois sur la liberté

Selon Me Bibi Razia Jannoo-Jaunbocus, Acting Senior Assistant du DPP, « nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé », précise l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948. Ce document, dit-elle, a été traduit dans 500 langages et est devenu une source d’inspiration. Elle se réfère également à l’article 9 de l’International Covenant on Civil and Political Rights, qui stipule que « chacun a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être soumis à une arrestation ou à une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf pour les motifs et conformément à la procédure établis par la loi ».

  • LDMG

 

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