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Anil Gayan : «Le MSM ne sera pas jeté dans la poubelle de l’histoire avec une alliance PTR-MMM-PMSD»

Ancien ministre et dirigeant du Muvman Liberater (ML), Anil Gayan porte un regard très critique sur la politique et ne ménage pas son ancien leader, Ivan Collendavelloo. Selon lui, la composition du « front bench » serait le plus gros « macadam » sur lequel bute la concrétisation de l’alliance PTr-MMM-PMSD. Il ne pense pas que celle-ci pourra « jeter le MSM dans la poubelle de l’histoire. » Par ailleurs, il souhaite qu’un terrain d’entente soit trouvé entre le bureau du commissaire de police et celui du Directeur des poursuites publiques.  

Ce 1er-Mai, il n’y a pas eu de guerre des foules entre les principaux partis politiques. Est-ce que l’alliance au pouvoir est vainqueur de facto par forfait ?
Les meetings du 1er-Mai et la guerre des foules font partie du folklore mauricien. Ce qui est cependant triste, malgré les dépenses conséquentes consenties par le parti au pouvoir pour l’organisation de ce meeting, je me demande combien de personnes ont fait le déplacement. Au mieux, on pourrait dire environ 10 000. Mais avec un électorat de 600 000 à 700 000, que représentent réellement ces 10 000 personnes ? Ena dimoun ankor kontan sa tamtam-la. Mais la grande majorité accomplira son devoir civique dans l’isoloir… et en silence !

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Dans l’opinion publique, est-ce que le MSM a pris un sérieux avantage sur ses adversaires en vue des prochaines élections ?
Je considère que c’était un événement purement MSM, si l’on se fie aux banderoles placardées un peu partout à travers l’île. Les autres leaders de l’alliance étaient certes présents, à l’instar d’Ivan Collendavelloo qui d’ailleurs, selon moi, a perdu sa dignité. Car bien qu’il ait été humilié par le Premier ministre, il continue à le soutenir. C’est un mauvais signal, surtout à la jeunesse. Et que représente réellement le ML actuel, le parti de Ganoo et celui d’Obeegadoo ? Donc c’était l’événement du MSM. Banla ti stepney zot. 

Décidemment, le divorce semble consommé entre vous et votre ancien leader…
En tant que président du ML - techniquement je le suis toujours car je n’ai reçu aucune correspondance officielle indiquant le contraire - je trouve que le parti, aujourd’hui, est complètement dénaturé. C’est pour cette raison qu’à Rose-Hill, où se trouve la base du ML, il y a un mécontentement. Les membres ne veulent plus accepter cette humiliation. Il y a d’ailleurs un projet de certains « camarades » pour relancer le ML car Ivan Collendavelloo ne représente plus rien aujourd’hui. 

Pensez-vous que c’est en l’absence de l’aboutissement des négociations que le PTr, le MMM et le PMSD n’ont pas organisé de meeting du 1er-Mai ?
Je ne peux pas répondre pour eux mais tout le monde s’attend à la concrétisation de l’alliance PTr-MMM-PMSD, et des partisans attendaient un meeting qui n’a finalement pas eu lieu. Je pense cependant qu’il y en aura dans le cadre des élections générales qui devront se tenir au plus tard l’année prochaine. Car je n’entrevois pas l’organisation des élections municipales, à un peu plus d’un an des élections générales d’une part, mais aussi en raison d’une résurgence des cas de Covid-19. Sans compter le coût derrière. 

Au MMM, on pense qu’une alliance PTr-MMM-PMSD va « jeter le MSM dans la poubelle de l’histoire ». Est-ce aussi simple que ça ?
Je ne suis pas de cet avis : cette alliance ne va pas jeter le MSM dans la poubelle de l'histoire. Je pense qu’une des raisons expliquant que l’alliance de l’Espoir tarde à se concrétiser, c’est la composition du « front bench ». Je pense qu’il y a beaucoup de discussions autour de ce sujet que je ne considère toutefois pas d’une extrême priorité. Au lieu de perdre du temps là-dessus, venez plutôt avec un programme car il est grand temps de donner au public un choix. Si MSM for, li a gagn eleksion, si lopozision for li a gagn. C’est le jeu démocratique. 

Est-ce qu’un regroupement des partis extra-parlementaires autour de Nando Bodha comme candidat au poste de Premier ministre aux prochaines élections peut jouer les trouble-fêtes pour les partis traditionnels ?
Je pense que Nando Bodha a manqué sa chance. Lorsqu’il a quitté le MSM, il aurait pu se présenter comme un leader qui a eu le courage de son opinion mais il a plutôt joué un rôle effacé. Aujourd’hui, je ne le vois pas émerger comme un challenger. Mo pa trouv sa ditou. Peut-être qu’en fin de compte, ce n’est pas dans sa personnalité. C'est-à-dire qu’il est plus à l’aise de faire partie d’une équipe que d’être un meneur. C’est triste parce que je l’apprécie vraiment. S’il avait pris des positions claires, fermes et musclées après son départ, peut-être le public lui aurait-il fait davantage confiance. 

Partagez-vous l’opinion selon laquelle Roshi Bhadain est un élément difficile à accommoder dans une alliance ?
Je pense qu’il n’est pas un « team player ». Il suffit de voir ses meetings et ses conférences de presse pour le constater. Il ne permet pas aux autres membres de son parti d’émerger. Peut-être que c’est la jeunesse. Il doit cependant réaliser qu’au sein d’une équipe, chacun a un rôle à jouer. Enn sel zwer napa kapav zwe pou onz dimoun… ou swasant.

Est-ce que le tandem Sherry Singh - Bruneau Laurette pourra faire long feu en dehors d’une alliance ?
Je ne crois pas. Je ne connais pas les possibles complications que ces deux-là pourraient rencontrer dans leurs cas respectifs devant les autorités mais si j’étais à leur place, j’aurais opté de « clear » en priorité et au tribunal tous les cas en suspens le plus rapidement possible. C’est d’ailleurs un conseil que je leur donne. Une fois que ce sera fait, c’est à ce moment-là qu’ils pourront venir avec un « clean slate » et faire ce qu’ils ont à faire. Car sinon, à la veille du Nomination Day, ils risquent de se voir arrêter par la police. Car ceux au pouvoir n’auront aucun mal à le faire.  

Dans l’affaire d’allégations de pot-de-vin pour l’octroi d’un terrain de l’État, l’opposition réclame la démission de Maneesh Gobin comme ministre. Cependant, il bénéficie toujours du soutien du Premier ministre. Est-il en sursis ?
Cela dépend de quelles informations dispose le Premier ministre. Je crois savoir qu’il a fait comprendre qu’il n’avait aucun rapport liant l’Attorney General à ce cas. Nous n’avons aucune raison de ne pas le croire. Attendons voir ce qui ressort de l’enquête de l’Icac. 

Le soutien du Premier ministre à Maneesh Gobin contraste avec sa position sur l’affaire Saint-Louis qui a conduit à la révocation d’Ivan Collendavelloo. Y a-t-il un parallèle ?
C’est vrai que le Premier ministre a révoqué un Premier ministre adjoint sur la base d’un morceau de papier. Je pense que Pravind Jugnauth peut demander de mettre sur un « fast track » l’enquête sur les allégations de pot-de vin et demander à Maneesh Gobin de « step down » en attendant. 

Vu que l’enquête de l’Icac semble traîner la patte, pensez-vous qu’Ivan Collendavelloo est voué à être hors-jeu électoralement pour encore longtemps ? Ou est-ce que sa carrière politique est tout bonnement terminée ?
Il est déjà hors-jeu ! Tous les membres importants du ML l’ont déjà abandonné et je vous annonce qu’il y aura d’autres développements dans les jours à venir. Politiquement il est fini. En politique, il est important que vous soyez respecté. Ce qu’Ivan Collendavelloo n’a pas aujourd’hui, que ce soit de la population, des membres de son parti ou du PM. 

Pensez-vous que les scandales présumés risquent de plomber le gouvernement de Pravind Jugnauth aux prochaines élections ?
Je ne peux vous dire car chaque campagne a sa propre dynamique. Et chaque jour dans une campagne apporte son lot de révélations et de problèmes. C’est évident que ces scandales présumés pèseront de tout leur poids dans la campagne mais j’ai cru comprendre que le gouvernement compte faire encore des cadeaux à l’électorat. Est-ce que ce dernier sera finalement plus intéressé par ce qu’il va obtenir ? Sommes-nous devenus un électorat qui soit toujours à l’affût d’obtenir quelque chose de l’État, comme l’augmentation de la pension de vieillesse ? Si tel est le cas, ces scandales présumés, selon moi, n’auront aucun effet. C’est effrayant mais nous sommes en train de créer une culture d’assistanat alors que la population doit plutôt être encouragée à travailler, à réfléchir et décider de son avenir en connaissance de cause, et non en connaissance de combien d’argent chacun va percevoir à la fin du mois.  

Sir Anerood Jugnauth avait survécu en 1987 malgré les affaires Amsterdam Boys et Mungola, entre autres…
C’est parce que le pays connaissait des développements, il y avait le plein emploi. On ne peut certes pas avoir une société parfaite mais à l’époque, le gouvernement d’alors avait pu « overwrite » ces scandales parce que l’économie était florissante, les gens avaient de quoi dépenser et il y avait la stabilité politique. Est-ce que les gens aujourd’hui vont choisir de se focaliser sur les développements au lieu des scandales ? Peut-être que oui, ou peut-être pas. Sans compter que nous ne pouvons pas savoir ce qui va se passer jusqu’aux prochaines élections. Car il suffit d’un événement ou d’une parole prononcée pour que la donne change complètement. Il faudra aussi voir la position de l’Inde dans la prochaine campagne. Est-ce qu’en cas de souci économique, l’Inde mettra de l’argent à la disposition de Maurice « pou fer labous dou » ? Tout est possible. 

Est-ce qu’au moment du vote, ce ne sont pas d’autres considérations qui entrent en jeu ?
La dimension communale jouera définitivement un rôle. 

Serez-vous candidat aux prochaines élections ? 
(Il hésite) En politique, il ne faut jamais dire jamais. Mais si j’estime que j’ai ma contribution à apporter, je le ferai. Je n’exclus pas cette possibilité. 

Sous quelle bannière ?
C’est encore trop tôt. Mais définitivement pas avec Ivan Collendavelloo. Je serai à des centaines de kilomètres de lui. 

Abordons le volet judiciaire de notre interview. Il y a eu récemment des vives critiques contre le bureau du DPP concernant le fait qu’il a réclamé une révision judiciaire après que la commission de pourvoi en grâce a commué en amende la peine de prison infligée à Chandra Prakashsing Dip (le fils du commissaire de police) et aussi le fait qu’il ne s’est pas opposé à la décision du tribunal de Moka qui a accordé la libération sous caution à l’activiste Bruneau Laurette. Ces critiques sont-elles justifiées ?
Je suis d’avis que le bureau du DPP et celui du CP doivent travailler de concert. Ils ne peuvent pas être « at loggerheads » car il s’agit de deux institutions très importantes pour garantir l’ordre et la paix dans le pays. Lorsque la confiance ne prévaut pas entre les deux, c’est mauvais pour les institutions qui doivent normalement se vouer un respect mutuel.  

On note aussi qu’il y a une guerre actuellement entre le CP et le DPP. Car le CP a critiqué ouvertement le DPP via un communiqué et déposé en son propre nom une demande de révision judiciaire concernant la décision du tribunal de Moka de libérer Bruneau Laurette. Alors que l’un fait des enquêtes, l’autre poursuit. Votre avis sur la position adoptée par le CP dans cette affaire.

Quel que soit le jugement du tribunal, des affaires comme celle-là doivent être réglées en tête à tête entre le DPP et le CP comme cela a toujours été le cas dans le passé. Il peut y avoir une divergence d’opinion entre deux institutions sans que cela ne devienne public. Peut-être qu’à travers des consultations, le CP aurait compris pourquoi le DPP a décidé de ne pas s’opposer au jugement du tribunal de Moka. 

D’un autre côté, le CP dit qu’il a un « solid case » contre Bruneau Laurette. Qu’il loge le « main case » ! Pourquoi veut-il à tout prix maintenir la « provisional charge » ? If you have a strong case, let the court decide. On ne peut pas tenir une personne en otage pendant des mois. Il y a des affaires qui roulent pendant deux ans, alors que la Constitution dispose que « you must be tried within a reasonable time ». C’est bien que les magistrats aient de plus en plus le courage de libérer sous caution des suspects car jusqu’ici, il semblerait que la liberté était l’exception et que la détention était la règle. 

Dans l’affaire Icac contre Chavan Dabeedin, liée à l’affaire Saint-Louis, le commissaire de police, cité dans le procès, a demandé à retenir les services d’un avocat de son choix. Alors que normalement, c’est un membre du bureau du DPP qui le représente. Est-ce que cela peut se faire ? 
Cela peut se faire, certes, mais cela va à l’encontre d’une longue tradition à Maurice où les services juridiques que l’État doit accorder à des départements (de l’État) sont offerts par le bureau du Sollicitor General et celui du DPP. En décidant de retenir les services d’un avocat de son choix, cela peut engendrer un « evil precedent ». Ainsi, à chaque fois qu’il y aura un désaccord, il se pourrait que le CP décide de faire appel aux services d’hommes de loi du privé. Aussi, il y a plusieurs raisons pour lesquelles les services juridiques sont centralisés auprès du bureau de l’Attorney General. Parmi celles-ci, le souci d’une cohérence ainsi que d’un suivi dans le bureau à travers l’ « institutional memory », c'est-à-dire comment des cas similaires ont été traités dans le passé afin qu’il y ait aussi une prévisibilité quant aux avis juridiques. Avec des hommes de loi du privé, il peut ne pas y avoir cette cohérence à travers des appréciations diverses. Ce qui va placer le bureau de l’AG dans une situation délicate. Sans compter qu’ils auront accès à des informations qui pourraient être sensibles et confidentielles. Certes, les avocats sont tenus par le secret professionnel. Mais allons dire que nous empruntons un chemin dangereux. 

Pensez-vous que le DPP ne doive plus désormais représenter le CP dans des procès devant la justice ?
La plupart des cas qui vont à la police pour enquête et ensuite au bureau du DPP sont des cas de routine. Je ne crois donc pas qu’il y aura des problèmes par rapport à ce type de cas. Par contre, pour des cas plus sensibles politiquement ou des « high profile cases » où des institutions sont impliquées, cela pourrait engendrer un dysfonctionnement du système auquel nous sommes habitués. 

Selon vous, quelles sont les conséquences de cette guerre qui s’amplifie de jour en jour entre ces deux postes constitutionnels ?
S’il y a un litige qui est porté devant la Cour suprême, par exemple, celle-ci rendra son jugement à la lumière des faits qui ont été présentés devant cette instance. La Cour suprême n’a aucune obligation d’accepter davantage la version de l’un au détriment de l’autre. Je reste confiant que la Cour suprême prendra une décision qui soit dans l’intérêt de la justice, de la démocratie et de la Constitution. Mais le judiciaire se retrouvera néanmoins dans une situation embarrassante puisqu’il aura à trancher entre deux institutions qui sont importantes pour la démocratie. 

Il y a une perception que le judiciaire met trop de temps pour rendre des jugements dans certains cas. Comment est-ce que cela peut nuire à la qualité de la justice ?
Le Privy Council, qui est la plus haute instance d’appel, met en moyenne trois mois pour rendre un jugement, sauf bien sûr si le cas est complexe. Ce qui est bien pour le « litigant » qui sait alors où il en est et c’est aussi bon pour la justice elle-même. Mais à Maurice, lorsqu’un juge ou un magistrat part à la retraite ou change de tribunal, les cas qui étaient devant lui doivent alors recommencer. Je pense que les juges doivent s’assurer qu’il n’y a plus de cas en suspens lorsqu’ils partent à la retraite. La Constitution prévoit qu’un juge peut se voir accorder un délai additionnel pour rendre un jugement dans une affaire avant qu’il ne parte. Aussi, l’administration judiciaire, qui sait à l’avance quand un juge partira à la retraite, pourrait cesser de lui confier des affaires quelques mois avant son départ. Au cas contraire, c’est le grand public qui souffre. 
 

 

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