Interview

Ambal Jeanne, directrice de SOS Femmes: «Peu importe la situation, rien ne justifie la violence»

Notre invitée accueille favorablement les amendements à la Protection from Domestic Violence Act. Elle estime que la prochaine étape devrait être la reconnaissance du viol marital et la criminalisation de la violence domestique par le Code pénal.

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La Protection from Domestic Violence Act sera amendée une quatrième fois pour élargir les délits punissables sous cette loi. Qu’en pensez-vous ? J’accueille cette démarche avec satisfaction. C’est un pas dans la bonne direction, car notre association ne cesse de militer pour que certains types de violence soient reconnus, et donc punissables par cette loi. Il y a, certes, les violences physiques qui laissent des séquelles visibles. Mais quid des séquelles psychologiques qui affectent les femmes violentées ? Il y a les violences verbales, économiques, le harcèlement… Les amendements proposés cette fois-ci élargissent la définition même de la violence domestique. Les pénalités aussi sont plus sévères et, plus important encore, il y a le pouvoir d’arrestation confié à la police. Il faut envoyer un signal fort à l’agresseur. La violence domestique, quelle que soit sa forme, est un acte qui porte atteinte aux droits fondamentaux de la femme.

Quatre séries d’amendements en dix ans, autant venir avec une nouvelle loi… Pas nécessairement. On abroge une loi et on vient avec une nouvelle quand elle ne sert plus à rien. Or, la Protection from Domestic Violence Act contient de bonnes dispositions pour la protection des victimes. Le ministère de tutelle est en train de parfaire cette loi. Rien n’est statique, toute chose évolue. Cette loi date de 1997 et depuis, les différents amendements apportés ont comblé certaines lacunes. Si cela se trouve, dans quelques années, il faudra venir avec d’autres amendements encore. Vous militiez aussi pour que la violence domestique soit criminalisée. Est-ce toujours le cas ? Oui, mais cela tombe sous le Code pénal. Mais je suis convaincue que cela va arriver un jour, car cette recommandation a aussi été faite par le rapport Domingue et par la Coalition nationale contre la violence domestique. La criminalisation de l’acte permet à une victime de réclamer réparations.
[blockquote]« L’intensité et la gravité de la violence domestique sont en hausse. »[/blockquote]

Vous estimez que les amendements proposés sont, pour le moment, suffisants pour protéger les victimes de violence domestique ? Il faudrait que le viol marital soit reconnu dans notre loi. Mais cela tombe, encore une fois, sous le Code pénal. C’est un sujet tabou qui suscite pas mal de lobbies, y compris ceux des religieux, entre autres. Nous allons, de notre côté, continuer à plaider en sa faveur. Les actes de violence domestique ne cessent de faire des victimes. La dernière en date, une femme, selon l’enquête policière, tuée dans son sommeil et brûlée par son mari. N’est-ce pas un aveu d’échec des campagnes menées par les autorités et la société civile ? Pas du tout. Les amendements qui seront bientôt votés sont la preuve que les campagnes de sensibilisation portent leurs fruits. Ce qui est arrivé est malheureux mais il ne faut pas occulter l’aboutissement de certaines initiatives. Il faut quand même pouvoir expliquer ces dérives… La société mauricienne aujourd’hui reconnaît que la violence domestique touche une majorité de femmes. Mais les lois les plus dissuasives ne pourront jamais changer la mentalité, l’attitude et le comportement des gens. Que faut-il faire alors ? Il faut venir avec des campagnes d’éducation dans les écoles. Je ne sais pas ce que nous réserve le Nine-Year Schooling, mais j’aimerais qu’il prenne en considération la promotion des valeurs humaines chez l’enfant. La course vers un certificat ne doit pas être la seule considération du système éducatif. Elle doit pouvoir inculquer des valeurs humaines, le respect de l’autre et des bonnes manières, car il n’y a pas de droits humains sans les droits de la femme. Au final, il faut produire une société civile qui prenne conscience de sa responsabilité et qui dise non à la violence. Il faut arrêter de se gargariser de mots ; il est temps d’agir. Les dernières statistiques soutiennent que la violence domestique serait en baisse ? Vous êtes d’accord ? Non. Ces chiffres font référence aux cas rapportés. Mais la réalité est tout autre. Un rapport des Nations unies soutient que pour chaque cas de violence domestique rapporté, il y a 8 autres qui ne le sont pas ! Donc les statistiques mentent ? Ce que je dis, c’est qu’en compilant des statistiques, il faut prendre en compte tous les paramètres. Une analyse de données sur la violence domestique ne peut rester figer sur les cas rapportés. Il faut aussi prendre en considération les cas qui ne sont pas rapportés aux autorités. Quid des initiatives des autorités compétentes pour trouver des solutions à ce problème ? Personne n’a une baguette magique pour changer les mentalités. Le ministère fait sa part, la société civile la sienne. Et pour ce qui est de la nature des violences perpétrées ? Je constate que l’intensité et la gravité de la violence domestique sont en hausse. On a maintenant affaire à des attaques à l’arme blanche, des agressions violentes qui s’avèrent fatales. Peu importe la situation, rien ne justifie la violence. La violence n’a jamais résolu aucun problème. D’après votre expérience, y a-t-il un profil type d’un agresseur de femme ? Non. Il peut très bien être un haut cadre et un gentleman. C’est entre les quatre murs de la maison que cela se passe. La violence domestique transcende les barrières sociales et ethniques. Qu’en est-il du profil de la femme battue ? Là aussi, je peux dire qu’il n’y a pas de profil type. Par contre, il y a un rajeunissement des victimes.  


   

SOS Femmes

Fondée en 1989 par la regrettée Rada Gungaloo, SOS Femmes offre un service 24/7. Parmi les aides qu’accorde l’association : la réhabilitation des victimes et la recherche d’un emploi et d’un logement. L’abri offre une présence permanente durant et après leur séjour, ainsi qu’une assistance extrascolaire et une garderie pour celles qui travaillent. SOS Femmes dispose de plusieurs chambres pouvant accueillir jusqu’à 60 femmes et enfants.

 

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