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Accidents de la route : est-on suffisamment formé aux gestes qui sauvent ?

Un homme renversé et ensanglanté gît sur l’asphalte après un accident. Respire-t-il encore ? Que faire ? Jouer les sauveteurs ou appeler les secours ? Entre-temps, le pronostic vital de l’accidenté est engagé. Chaque seconde compte. Pourtant, on reste passif. Idem pour les badauds. Cela s’apparente-t-il à la non-assistance à personne en danger ?

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C’est le scénario auquel on assiste souvent à la suite d’un grave accident de la route. Au lieu de porter secours aux victimes, ceux présents – y compris le chauffeur impliqué – deviennent souvent spectateurs d’une scène morbide. Ils sont comme pétrifiés. Le premier réflexe d’un automobiliste ayant une formation de base en secourisme d’urgence serait d’apporter les premiers soins aux victimes, avant même de composer le 114 et le 999.

Or, de nombreux Mauriciens n’ont aucune notion des gestes qui sauvent, n’ayant pas été formés. C’est ce que constate Navin Mahadoo, responsable de la Gestion des catastrophes et de la réduction des risques de la branche mauricienne de la Croix-Rouge.

Selon lui, si chaque chauffeur effectuait les gestes de premiers secours avant l’arrivée des services d’urgence, de nombreuses vies pourraient être sauvées. Lorsque survient un accident, certains badauds sont plus occupés à sortir leur téléphone portable pour prendre des photos plutôt que d’aider la victime. D’autres sont incapables de réagir promptement, comptant sur les personnes à côté d’eux pour appeler les secours et apporter de l’aide aux victimes. Ce phénomène psychosocial est connu comme l’effet du témoin (ou bystander effect en anglais).

Effet du témoin

Les badauds concernés par ce syndrome assistent à une situation d’urgence sans pouvoir faire quoi que ce soit pour porter secours. Des utilisateurs des réseaux sociaux admettent leur impuissance face au manque de formation aux gestes de premiers secours. Leurs actions se limitent alors à appeler les services d’urgence. Ou encore à partager les images sur la Toile. Si certains le font uniquement dans le but de faire sensation, d’autres affirment que ce besoin de publier des photos sur le Web vise à avertir ou à sensibiliser les gens.

Nicolas Soopramanien, psychologue clinicien et vice-président de la Société des professionnels en psychologie, est convaincu que la formation aux gestes qui sauvent reste une nécessité. C’est justement parce qu’il a des notions en secourisme que Claude, un quinquagénaire de Pointe-aux-Sables, a pu aider à sauver des vies. Témoin de deux accidents de la route, il a, sans hésiter, utilisé ses connaissances avant l’arrivée de l’ambulance. 

Dans la peau d’un sauveteur secouriste

Claude relate que le premier est survenu à Grande-Rivière-Nord-Ouest, non loin du terrain de foot. « Un homme qui traversait la route a été heurté de plein fouet par une voiture. Il avait une fracture à la cheville. L’os brisé, qui avait déchiré les muscles et la peau, était exposé à l’air libre. Je l’ai remis en place avant l’arrivée des secours », raconte-t-il.

Le second accident, poursuit-il, s’était produit à Cascavelle, sur la route A3 qui mène à Flic-en-Flac. « Un motocycliste avait  été percuté par un 4x4 avant d’être projeté à plus de 50 mètres. Il s’en est sorti avec de multiples fractures à la jambe. Il était en sang. Je ne pouvais rester insensible. À l’aide d’un mouchoir, j’ai stoppé l’hémorragie en attendant l’arrivée ses secours. » Le quinquagénaire avoue qu’être formé aux gestes de premiers secours influence la prise de décision.


Barlen Munusami : « Les policiers ne joueront pas les médecins »

Auteur du Guide complet du conducteur, Barlen Munusami est d’avis que certains blessés graves ne peuvent être manipulés, même par ceux qui ont été formés aux premiers secours. « Parfois quand les témoins voient les policiers arriver, ils pensent que c’est à eux de transporter le blessé à l’hôpital. Mais les agents ne sont pas là pour jouer les médecins. Les gens ne comprennent pas que le rôle de la police est de sécuriser le périmètre pour éviter d’autres accidents, de placer le blessé hors du véhicule et de rassurer les victimes en attendant l’arrivée de l’ambulance.

Si les blessures sont mineures, une personne formée en premiers secours peut adopter les gestes qui sauvent. Je déconseille, en revanche, aux membres du public n’ayant aucune notion en matière de premiers soins d’enlever le casque d’un motocycliste dont la tête est en sang ou de tenter d’aider une personne qui a une fracture au fémur. » Barlen Munusami conseille aux témoins d’appeler la police en premier. « Quand la police fait appel à l’ambulance, c’est beaucoup plus crédible.

La personne au bout du fil doit fournir le maximum d’informations possibles aux autorités, à savoir le lieu de l’accident, l’heure, ainsi que le nombre de véhicules impliqués et de blessés. Si la circulation est dense, ce sont les motards de la police qui intercéderont pour sécuriser le lieu et ouvrir la voie au service d’urgence. »


Nicolas Soopramanien, psychologue : « Certains internautes se sentent l’âme de reporters »

« La formation aux gestes qui sauvent est une nécessité reconnue », estime Nicolas Soopramanien, psychologue clinicien et vice-président de la Société des professionnels en psychologie. Il est d’avis que cette tendance est principalement due au manque de formation. « Je pense que les Mauriciens ne savent pas comment porter secours à une personne qui a besoin d’aide. Lors d’un accident, la victime et les témoins paniquent. Ils oublient que la solution se trouve à côté d’eux. Ils se sentent impuissants et ne savent pas quel bon geste adopter. »

Expliquant le besoin d’informer des internautes, le psychologue explique qu’en partageant des images sur les réseaux sociaux, ils ont l’impression d’être dans le feu de l’action. « Cette perversion de l’information instantanée fait que les utilisateurs des réseaux sociaux se sentent tous reporters. » Nicolas Soopramanien note aussi que l’attitude détermine l’acte. « Il y aurait moins de morts si tout le monde était formé aux gestes de premiers secours. Cela permettrait de gagner du temps. »


La Croix-Rouge de Maurice dispense des cours

« Les Mauriciens ne connaissent pas les gestes qui sauvent. Sinon, ils auraient pu apporter les premiers soins aux victimes avant l’arrivée de l’ambulance », déclare Navin Mahadoo, responsable de la Gestion des catastrophes et de la réduction des risques de la Croix-Rouge de Maurice. Chaque situation nécessite une analyse méticuleuse pour découvrir l’enjeu immédiat. Les bons gestes permettent de minimiser les dégâts et complications chez le blessé. « Il faut donc prendre le taureau par les cornes, en effectuant les gestes qui sauvent.

Selon le constat de la Croix-Rouge, c’est lorsqu’une personne se retrouve face à une situation difficile qu’elle réalise l’importance des premiers soins », précise Navin Mahadoo.

Prendre les mesures adéquates permet de sauver une vie. Si on n’est pas sûr de soi, il faut déclencher la chaîne de secours en appelant les services d’urgence, notamment le SAMU, la police ou les pompiers. Chaque minute perdue aggrave la situation. Il est donc important que chaque Mauricien s’initie aux gestes de secours.

La Croix-Rouge dispense des cours. « Une formation dure 18 heures avec un examen final certifié par la Mauritius Qualifications Authority. L’inscription se fait sur le 670 0276 ou par e-mail sur le training.mrcs@outlook.com. Les cours sont dispensés à notre centre de formation de la Croix-Rouge à Vacoas ou sur place pour les entreprises », indique Navin Mahadoo.


Respect de la vie privée v/s violation de l’image

L’article 22 du Code civil sur le respect de la vie privée stipule que « les juridictions compétentes peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. Ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées par le juge en chambre ». D’autres lois, à l’instar de l’Information and Communication Technologies Act (Icta), font état des autres infractions qui peuvent être commises en utilisant un outil informatique.

Parmi : la transmission ou la livraison d’un message par négligence ou volontairement, l’utilisation de faux messages de même qu’un contenu falsifié. L’article 46 de l’Icta considère également comme un délit l’utilisation d’un service d’information de communication pour transmettre et recevoir des messages offensants, d’un caractère indécent, obscène ou menaçant, ou dans le but de causer préjudice à une personne.

L’article 47 (i) de l’ICTA indique que « toute personne qui commet une infraction à la loi est passible, sur déclaration de culpabilité, d’une amende maximale de Rs 1 million et d’un emprisonnement maximal de cinq ans ». Outre cette peine, le tribunal peut ordonner la confiscation de toute installation ou tout appareil utilisé relativement à l’infraction.


Me Yayia Nazroo, avocat : « Partager n’est pas sans danger »

Plusieurs vidéos et photos sont partagées quotidiennement sur les réseaux sociaux. Les témoins d’un accident ont-ils le droit de partager ces images ? L’homme de loi, Yayia Nazroo, nous éclaire sur les conséquences de cette pratique courante.

Toute personne se sentant lésée par la diffusion de son image en ligne peut réclamer des dommages et intérêts devant une juridiction civile ou elle peut faire une déclaration à la police pour violation de l’Information and Communication Technologies Act (Icta). « La diffusion de l’image de la personne sans son consentement peut mener à des poursuites criminelles. Si vous êtes reconnu coupable, ce délit figurera sur votre casier judiciaire », explique Me Yayia Nazroo.

Une photo peut être partagée uniquement s’il y consentement, comme dans le cas de N. Soornack vs Le Mauricien Ltd & Ors [2013 SCJ 58]. Jurisclasseur, revue des professionnels du droit, note ainsi que : « L’atteinte à la vie privée est justifiée lorsqu’elle est nécessaire à la compréhension d’un événement public, d’un fait actualité ou d’un débat d’intérêt général… avec lequel la personne concernée est en lien direct… Bien que nécessaire, la violation de la personnalité peut être injustifiée lorsqu’elle est disproportionnée en ce qu’elle se double d’une atteinte au principe de dignité… » (Notarial Répertoire, 2011 Fasc. 15 )

La non-assistance à personne en danger alors que le témoin se permet de partager des images sur les réseaux sociaux est punissable sous l’article 140 de la Road Traffic Act, paragraphe (2). « La loi prévoit une pénalité pour une telle infraction et pourrait entraîner un emprisonnement maximal de trois mois et une amende ne dépassant pas Rs 5 000. La loi stipule qu’il faut prendre toutes les mesures possibles pour apporter une aide raisonnable à toute personne blessée dans un accident et si nécessaire, prendre les dispositions pour qu’elle soit transportée à l’hôpital le plus proche pour un traitement médical, à moins qu’elle souhaite autre chose. Si le partage de ces images est d’intérêt public, la question fera alors l’objet de dispositions dans le Code civil. Il doit y avoir un juste équilibre. »

La publication d’images de personnes décédées ne sont pas non plus autorisées sans l’aval des proches. Ainsi, concernant la publication d’une photo de I. H, bâillonné et enchaîné, la Cour de cassation, civile (Chambre civile 1, 1 juil 2010) avait statué que la démarche « dénotait une recherche de sensationnel, n’était nullement justifiée par les nécessités de l’information… constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors à la vie privée des proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction à la liberté d’expression et d’information… »


Témoignages

Vanila Soobrayen admet son impuissance à pratiquer les gestes de premiers secours. Elle dira toutefois se rabattre sur les services d’aide.

Jean Luc Rancier suggère, quant à lui, que tous les chauffeurs bénéficient gratuitement d’une formation en first aid. Il avoue avoir partagé des images d’accident sur les réseaux sociaux pour sensibiliser les internautes aux erreurs commises sur nos routes. 

Faute de formation aux gestes qui sauvent, Pravisha Ramphul se fie aux secours pour aider les victimes.

 

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