En cas de victoire lors des prochaines législatives, l’Alliance Lepep promet le versement d’un 14e mois (bonus) pour tous les employés, qu’ils soient du secteur privé ou public, en décembre 2024. Comment cette nouvelle est-elle accueillie dans le milieu des affaires ? Qu’en est-il pour les entreprises qui n’ont pas la capacité de payer ? Le point.
L’annonce d’un 14e mois de salaire est perçue par beaucoup comme une mesure populaire, visant à séduire un large éventail d’électeurs. Pour certains employés, cette promesse pourrait apporter un soulagement, notamment à l’approche des fêtes de fin d’année. Néanmoins, pour les dirigeants d’entreprises, cette mesure soulève de sérieuses préoccupations.
« Cette mesure sera sans doute bien accueillie par les salariés. Cependant, le gouvernement devra considérer les implications financières pour les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises », déplore Maya Sewnath, la vice-présidente de la SME Chamber.
Elle affirme que, ces dernières années, les PME ont toujours subi les conséquences des promesses gouvernementales. « Cela a commencé avec l’introduction de la Contribution Sociale Généralisée. Puis, il y a eu les hausses constantes de la compensation salariale, le salaire minimum, et tout récemment, l’entrée en vigueur de la relativité salariale », indique-t-elle. Bien que le gouvernement apporte son soutien pour le paiement des salaires, cela reste insuffisant, ajoute-t-elle. « D’ailleurs, pour le paiement de la relativité salariale, nous attendons toujours le soutien de l’État », fait-elle ressortir.
Sombre avenir
Pour Maya Sewnath, une chose est certaine : à un mois de la fin de l’année, la majorité des entreprises ne seront pas en mesure de payer un 14e mois. « Si cette mesure est appliquée, je crains la fin du secteur des PME à Maurice. L’avenir se montre déjà sombre à court terme », prévient-elle.
Si les PME se retrouvent dans l’incapacité de verser un 14e mois, les grandes entreprises pourraient également avoir des difficultés malgré leur santé financière stable. D’ailleurs, le CEO d’une compagnie qui compte 300 employés, explique que cette mesure électorale leur coûterait environ Rs 6 millions. « C’est une somme assez conséquente à débourser, surtout du fait que nous n’avions pas envisagé cette dépense additionnelle en fin d’année », déplore-t-il.
Vu que c’est une annonce populiste, doit-on s’attendre à ce que le GM paie le 14e mois pour le secteur privé"
Il souligne d’ailleurs que le salaire minimum a déjà fait grimper la masse salariale de 30 à 40 %. En outre, il ajoute que le paiement du 14e mois affectera directement les coûts opérationnels. « Alors qu’on prévoit d’innover, de se développer davantage et de contribuer à l’économie mauricienne, on se retrouvera à faire un pas en arrière avec ce paiement », soutient-il.
Un professionnel des ressources humaines, pour sa part, avance qu’il manque des détails précis sur cette mesure, et les acteurs du monde des affaires espèrent des clarifications sur les modalités d’application. « Vu que c’est une annonce populiste dans le cadre des élections, doit-on s’attendre à ce que le gouvernement paie le 14e mois pour le secteur privé ?
Quelles seront les modalités de ce paiement ? Quelle sera la formule ? » se demande-t-il. En effet, il rappelle que la formule pour le 13e mois est déjà inscrite dans la loi. « C’est le revenu total de l’année divisé par 12, mais nous n’avons aucune indication pour le 14e mois », déplore-t-il.
Reste à voir si cette promesse électorale, en cas de l’Alliance Lepep, se concrétisera. Et si c’est le cas, comment trouver un équilibre qui permette à la fois de satisfaire les employés et de soutenir les entreprises ?
Business Mauritius
« Aucune consultation avec la communauté des affaires »
Au sein de Business Mauritius, on indique qu’aucune consultation n’ait été menée avec l’instance avant l’annonce du paiement d’un 14e mois. Les entreprises, dans leur ensemble, ne seront pas préparées à effectuer ce paiement supplémentaire. Cela, prenant aussi en compte le fait que de nombreuses entreprises éprouvent déjà des difficultés à respecter le paiement de la relativité salariale.
Il faut compter quelque 450 000 employés à temps plein dans le secteur privé qui devraient recevoir leur 13e mois en cette fin d’année. Quid du coût que cela représente pour les employeurs ? Business Mauritius souligne la difficulté de le quantifier, vu que chaque entreprise ou chaque secteur a des échelles salariales différe
Dans la fonction publique
Quelque 85 000 salariés concernés
Radhakrishna Sadien, président de la State Employees Association, indique qu’il faut compter un total d’environ 85 000 employés dans la fonction publique qui devraient toucher leur bonus en cette fin d’année. « Parmi eux, on compte quelque 45 000 fonctionnaires. Les autres travaillent dans les collectivités locales et les organismes parpublics », précise-t-il. Selon lui, « le paiement d’un 14e mois aux employés du secteur public peut être bien accueilli, mais il ne faut pas oublier que chaque augmentation de revenu est toujours accompagnée de hausses des prix des produits. Du coup, cela n’améliore pas le pouvoir d’achat ».
Ainsi, il se demande à quoi sert un 14e mois si le coût de la vie continue d’augmenter. Pour lui, la correction des distorsions salariales aurait été plus appréciée. D’ailleurs, le dernier rapport du Pay Research Bureau (PRB) date de 2021, avec une révision en 2022. « Entre-temps, il y a eu plusieurs révisions du salaire minimum, mais le rapport du PRB n’a pas été mis à jour. Ce n’est pas juste », fait-il remarquer.
Selon les informations recueillies auprès du ministère des Finances, l’État a déboursé plus de Rs 1,8 milliard (précisément Rs 1 844 196 582) pour le paiement des bonus des fonctionnaires en décembre 2023.
La question soulevée lors d’une PNQ en novembre 2023
La question du 14e mois avait été soulevé au Parlement le 21 novembre 2023. Lors d’une Private Notice Question, le leader de l’opposition d’alors, Xavier-Luc Duval, avait demandé au ministre du Travail Soodesh Callichurn si le gouvernement accepterait de légiférer pour le paiement d’une prime de 14e mois pour tous les employés des secteurs privé et public dont le salaire mensuel est inférieur à Rs 50 000. Et si, un mécanisme pour aider les employeurs confrontés à des difficultés financières, « compte tenu de la hausse substantielle du coût de la vie au cours des années 2022 et 2023 », serait prévu. Soodesh Callichurn avait alors répondu qu’il faudra « des consultations élargies pour examiner la soutenabilité » d’une telle mesure, si jamais elle était mise en application. Dans sa réponse, le ministre avait également fait ressortir que toutes les entreprises n’avaient pas la même capacité de payer.
Le 14e mois
Vers une pression inflationniste en cette fin d’année
Les économistes s’interrogent également sur l’impact qu’un 14e mois de salaire pour l’ensemble des salariés pourrait avoir sur l’économie mauricienne. Azad Jeetun, par exemple, estime que cette annonce a été faite sans considération des répercussions économiques. « Tout d’abord, le versement d’un 14e mois augmentera considérablement le coût de production des entreprises, surtout que cette dépense supplémentaire n’était pas prévue », souligne-t-il.
Bien que cette mesure puisse stimuler la consommation, elle risque aussi d’entraîner une pression inflationniste si elle n’est pas accompagnée d’une augmentation correspondante de la productivité. « En cette période de fin d’année, avec le paiement d’un 14e mois, une grande quantité d’argent circulera dans l’économie, ce qui entraînera inévitablement une hausse de l’inflation », explique-t-il.
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