Interview

Vijay Makhan, ancien Secrétaire aux Affaires étrangères: « La souveraineté ne peut être monnayée »

Vijay Makhan se dit inquiet du manque d’initiative du présent gouvernement dans sa politique économique et diplomatique. « Il faut se ressaisir », conseille-t-il. [blockquote]« Il y a des manquements dans nos règlements fiscaux qu’il faut ajuster au plus vite . »[/blockquote] Question à l’ancien Secrétaire aux Affaires étrangères : Panama Papers - 30 Mauriciens et 97 sociétés clients sont cités. Qu’en pensez-vous? J’ai une lecture très particulière de ce dossier. C’est une question de perception. Maurice est éclaboussé non seulement comme État souverain, mais aussi dans son secteur financier. Je me demande si on n’est pas victime de notre succès. Comment cela? Le fait d’avoir réussi à nous faire un nom sans l’apport de ressources naturelles a peut-être provoqué un peu de jalousie. Il y a eu, dans le passé, un travail énorme abattu pour que nous soyons visibles et présents dans les instances internationales. Le cheminement du pays depuis l’indépendance et le progrès accompli nous a mis dans la ligne de mire. La qualité de l’éducation a produit notre ressource la plus chère : la ressource humaine. Cela nous rend vulnérables. Toutefois, je trouve aberrant que ni les institutions concernées par ce secteur, ni le gouvernement ne pipe mot sur les Panama Papers. Et cela m’interpelle. Quelles sont les conséquences pour Maurice? Déjà le fait que l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pense à remettre en question des accords bilatéraux n’est pas bon signe. Et pour ce qui est de l’image du pays? Notre image a pris un sacré coup. Maurice n’est plus connu comme le paradis, maintenant c’est le paradis fiscal. Il y a des manquements dans nos règlements fiscaux qu’il faut ajuster au plus vite. Il fut un temps où Maurice faisait la fierté de ses citoyens où qu’ils soient. Maintenant on ne peut plus en dire autant. Et cela m’agace car nous allons laisser un bien mauvais héritage aux générations futures. En tant qu’ancien diplomate, quel est votre analyse du dossier Chagos? La souveraineté ne se monnaie pas. Je déplore qu’actuellement on ne voit rien venir sur ce dossier. Êtes-vous pessimiste? Non, je ne suis pas pessimiste. Je suis réaliste. Cela me peine qu’on ne faisse pas ce qu’il faut faire pour valoriser nos droits sur les Chagos. Pourtant le Premier ministre a été très ferme à ce sujet l’année dernière à la tribune des Nations unies. Il a déclaré, entre autres, qu’il était grand temps de compléter le processus de décolonisation de l’Afrique… Moi aussi, je suis d’accord que la décolonisation ne sera pas complète tant qu’on n’aura pas récupéré notre souveraineté sur Tromelin et les Chagos. Mais, cela ne va pas arriver de lui-même. Il faut bouger, il faut faire des efforts, il faut prendre des initiatives. Depuis les jugements favorables sur ce dossier, je n’ai vu aucun mouvement pour pousser l’offensive plus loin. Je n’entends rien à ce sujet. Que fait notre représentant à Londres ? Il y a un nouveau gouvernement depuis 2014 et on ne voit rien venir. La voie diplomatique prend du temps… Une note verbale prend le temps qu’elle prend! Entre-temps les choses évoluent. Il faut maintenir la pression. Il faut prendre avantage de nos contacts dans les instances internationales. Maurice n’a pas d’ennemis à l’étranger. On a de tout temps été aidé depuis notre indépendance. Il y a des pays comme l’Inde, qui est un allié, les pays non-alignés… Estimez-vous que Maurice n’use pas de tous les moyens de ‘pression’ à sa disposition? Si on le fait, elle n’est certainement pas visible. Je ne vois rien dans la presse. Pour moi, la politique étrangère est portée manquante. Pourquoi dites-vous cela? Depuis l’avènement du présent gouvernement, nous semblons pâtir d’une absence totale dans les forums internationaux. Le prestige dont jouissait Maurice dans le concert des nations semble s’effriter de jour en jour. Le passage récent chez nous d’une officielle de haut niveau du département d’état américain a été presqu’un non-event. En cette année 2016, où l’accord entre la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique sur l’archipel des Chagos va être reconduit pour une période de vingt ans, pas un mot n’a été dit sur cette question primordiale pour nous par le ministre en question. Au contraire, à question posée, il semblerait qu’il aurait dit que ce dossier relevait du Bureau du Premier ministre. Quid de la dimension économique de notre politique étrangère? Encore une fois portée manquante ! Je demande à voir le nombre d’investisseurs qui sont venus en 15 mois. Estimez-vous que nos acquis sont en danger? Quels acquis ? Nous en reste-t-il encore ? Si oui, ils sont alors vraiment en danger. Le protocole sucre s’effrite, le flou persiste autour du traité de non double imposition entre l’Inde et Maurice, les quelques 47 traités qui sont en danger… et j’en passe. Tant qu’il n’y aura pas un sursaut de nos dirigeants pour redresser la situation, nous sommes et nous resterons un pays avec un énorme potentiel mais sans plus. Il faut placer des gens capables dans des ambassades et ils doivent savoir quelle est la politique prônée par le pays. Comment voyez-vous les relations entre l’Inde et Maurice ? C’est une relation qui transcende les considérations politiques. C’est une relation émotionnelle, culturelle. Mais il est aussi important de comprendre qu’il n’y a pas d’amitié permanente. Ce qu’il y a, ce sont des intérêts permanents. Maurice a bénéficié beaucoup de ses relations avec l’Inde mais… Est-ce que ces relations sont en péril? Dans nos relations diplomatiques, nous sommes amis avec tous mais il y a aussi un qui reste spécial. Dans notre cas, c’est l’Inde. La perception, c’est qu’on fait peu de cas de cette amitié spéciale. L’Inde peut nous aider dans beaucoup de domaines, même dans notre combat pour les Chagos. L’impression, c’est qu’on ne valorise pas ces relations privilégiées. Nous ne vivons pas dans un monde utopique, il y a des considérations géopolitiques. Il ne faut pas froisser ses amis. Il faut se ressaisir. Pas seulement dans nos interactions avec l’Asie mais aussi avec l’Afrique.

Diplomate et fonctionnaire international

Agé de 68 ans, Vijay Makhan, diplomate de carrière, est un ancien Secrétaire aux Affaires étrangères. Il a aussi été le secrétaire général adjoint de l'OUA et commissaire à l’Union africaine. Vijay Makhan est un membre actif du Mouvement Militant Mauricien, responsable du dossier des relations internationales.

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