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Système juridique : le judiciaire mauricien timide comparé à l’Inde

cour supreme Certaines lois coloniales les plus désuètes ont encore cours à Maurice.

La Cour suprême indienne fait des vagues, ces dernières semaines, avec une série de jugements progressistes. Une affaire de culture et de système juridique, estiment les constitutionnalistes. Le judiciaire mauricien pourrait même, dans une certaine mesure, emboîter le pas en tranchant des questions que les politiques n’ont pas le courage de faire.

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Dépénalisation des relations homosexuelles, dépénalisation de l’adultère, l’accès aux femmes à un lieu de culte, l’interdiction du divorce instantané… Ce sont autant d’exemples où la Cour suprême de l’Inde s’est montrée progressiste ces dernières semaines et années en s’attaquant parfois au lourd héritage des lois coloniales. Le judiciaire indien a en conséquence été couvert de louanges par des activistes des mouvements progressistes et observateurs pour sa capacité à prendre le taureau par les cornes sur des sujets que la classe politique évite de toucher.

À Maurice, certaines des lois coloniales les plus désuètes ont encore cours. Et on imagine mal la Cour suprême trancher sur des questions délicates où la classe politique se montre trop frileuse, comme c’est le cas en Inde. Qu’est-ce qui explique la timidité du judiciaire mauricien comparé à celui de l’Inde, ou même de l’Afrique du Sud, qui a légalisé la consommation du cannabis en privé ? Les constitutionnalistes donnent deux explications : les limites procédurales dans le judiciaire à Maurice et une timidité traditionnelle dans les jugements.

Milan Meetarbhan, constitutionaliste, explique qu’en Inde, il y a une culture de « judicial activism ». « C’est une question de conception du pouvoir judiciaire par les juges, explique-t-il.  À Maurice, même si le judiciaire a été très progressiste dans certains cas, dans d’autres, il a été prudent dans son interprétation de l’étendue de la protection constitutionnelle de certains droits fondamentaux. » Selon ce dernier, cette conception s’inscrit dans un débat plus large concernant la capacité d’un juge de transformer une loi en l’interprétant de manière libérale alors que ce pouvoir est normalement entre les mains des législateurs.

Rajen Narsighen, chargé de cours de l’Université de Maurice (UoM) du département de droit, revient également sur le principe de « judicial activism » comparé à la « judicial passivity ». « Dans tout système juridique, il y a une marge de manoeuvre pour le judiciaire, explique le chargé de cours, il est vrai que le rôle de la Cour est d’interpréter la loi, mais elle a le champ pour en créer d’autres. C’est la doctrine du précédent juridique. On peut en être témoins surtout quand il y a un vide juridique. » Selon ce dernier, les juges à Maurice interprètent trop souvent la Constitution et les droits fondamentaux de manière restrictive.

« C’est la différence avec les pays scandinaves également qui ont une approche plus généreuse », explique-t-il. Outre la disposition du personnel, il y a aussi le système, explique Milan Meetarbhan : « Même si notre Constitution prévoit le recours à la Cour suprême dans un cas de violation des droits fondamentaux, il y a des restrictions procédurales très importantes. Seule une personne directement affectée peut aller en Cour. » Si idéalement, il faudrait un amendement de la Constitution pour enlever ces barrières, Milan Meetarbhan estime qu’il est possible que les juges étendent l’interprétation du locus standi de leur propre chef.

C’est le principe de « public litigation », celui qui permet à n’importe quel citoyen de saisir le judiciaire, qui est si importante en Inde, selon Rajen Narsinghen. Sans compter que la Cour suprême n’a pas à attendre une affaire pour agir : « La Cour suprême peut de son propre chef se saisir d’une affaire même si personne n’a porté l’affaire devant elle. » La Cour peut notamment se baser sur un article de presse pour lancer elle-même des procédures. « La définition de locus standi à Maurice est dépassée dans une démocratie moderne, estime le chargé de cours, c’est trop procédural et nous nous calquons trop sur un modèle anglais qui a fait son temps. »

Toutefois, un judiciaire plus aventureux peut présenter des dangers. « L’autre extrême, quand la Cour renverse trop de décisions du Parlement peut être problématique, explique-t-il. Aux États-Unis, on appelle cela un ‘government by judges’. Ce n’est pas un pouvoir légitime. » Le tout, c’est de trouver le juste équilibre.

Le progressisme du judiciaire indien de 2017 à 2018

  • 22 août 2017 : la Cour suprême de l’Inde rend illégale la pratique du triple 'talaq' qui permettait à un musulman de divorcer instantanément de son épouse simplement en prononçant le mot ‘talaq’ à trois reprises, voire en l’envoyant par sms.
  • 24 août 2017 : La Cour suprême indienne reconnaît la vie privée comme un droit inaliénable. Neuf juges statuent que le droit à la vie privée fait intrinsèquement partie de l'article 21 de la Constitution indienne qui régit les libertés individuelles. « The right to privacy is protected as an intrinsic part of the right to life and personal liberty under Article 21 and as a part of the freedoms guaranteed by Part III of the Constitution.»
  • 22 octobre 2017 : la haute Cour de Delhi estime que les haut-parleurs ne sont essentiels à aucune religion.
  • 6 septembre 2018 : décriminalisation des relations homosexuelles par la Cour suprême.
  • 28 septembre 2018 : la Cour suprême renverse une interdiction d’accès à un temple hindou célèbre aux femmes qui ont leurs règles.
  • 28 septembre 2018 : l’adultère sanctionné jusque-là d’une peine d’emprisonnement de 5 ans dans certains cas, est décriminalisé par la Cour suprême.
 

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