Interview

Swadicq Nuthay, économiste : «Le ciblage de l’État providence est inévitable»

Il faut arrêter de jouer au Père Noël avec la population. L’économiste Swadicq Nuthay est pour la prise de décisions fortes, comme l’introduction du ciblage de l’État providence afin d’éviter l’émergence d’une population assistée et partisane du moindre effort.

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« Un transport de masse et fiable est une nécessité dans le long terme. Cependant, le métro ne va pas décongestionner le trafic »

Est-ce que la Negative Tax est une bonne décision ?
La Negative Tax est une mesure fiscale visant à allouer une subvention à des personnes, afin de les aider à améliorer leur niveau de vie. Cependant, c’est un couteau à double tranchant, car ce type de stimulus peut engendrer ce que les économistes appellent les ‘poverty traps’- ce qui n’encourage pas les pauvres à prendre des mesures pour améliorer leur situation. Aussi, il faut prendre en considération le coût à l’État et en termes de quantum de subvention à payer et les coûts administratifs à la Mauritius Revenue Authority (MRA). Il faut donc contrebalancer l’effet de la ‘Negative Tax’ sur les coûts de l’État et la croissance contre l’amélioration du niveau de vie et de la productivité, ce qui reste à voir.

Comment s’assurer que cette manne ne finira pas dans le financement de pacotilles, comme le jeu, l’alcool, les amusements ?
Je vous cite cet adage : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. » Le combat contre la pauvreté ne va pas se faire s’il n’y a pas une volonté et la détermination de ceux qui sont les plus vulnérables à faire l’effort nécessaire pour améliorer leur situation. À travers l’éducation et la formation et l’aide sociale, ils pourront s’en sortir.

Cette Negative Tax ne va-t-elle pas encourager le patronat à ne pas accorder une augmentation salariale aux employés rien que pour que ceux-ci restent en-dessous du plafond d’éligibilité ?
Un tel scénario est très difficile, surtout que la MRA est très à cheval sur tout ce qui est de revenus. Il y a aussi les auditeurs qui respectent les réglementations en vigueur. Le risque est trop élevé pour récolter des ‘peanuts’.

Quel impact cette taxe aura-t-elle sur les finances publiques ?
Selon le ministère des Finances, cette mesure budgétaire devrait coûter Rs 1,3 milliard à l’État. Une telle mesure contribuera à augmenter le déficit budgétaire si les revenus de l’État n’augmentent pas. L’estimation de notre déficit budgétaire pour 2017/18 est de Rs 15,5 milliards. Déjà que les finances publiques sont au rouge. Les dépenses courantes de l’État sont de Rs 103 milliards, alors que les revenus sont de Rs 94 milliards. On emprunte pour financer les dépenses courantes qui sont de 2% de notre PIB. On vit au-dessus de nos moyens.

Comment renverser la vapeur ?
Le seul moyen est de réduire nos dépenses et optimiser nos ressources. Sinon, on s’achemine vers un appauvrissement de l’État. Actuellement, la dette per capita est de Rs 220 000.

Et les causes de ces dépenses ?
Nos dépenses courantes ont augmenté de 28 % en trois ans. Il faut arrêter de jouer au Père Noël et conscientiser la population que rien n’est gratuit. L’État, c’est nous. « There’s no such thing as a free lunch ». Notre population devient assistée et est partisane du moindre effort.

Venons-en à l’introduction du Exchange Rate Support Scheme censé compenser les pertes des exportateurs jusqu’à Rs 2.50 par dollar. Est-ce un subside déguisé ?
Cette mesure ressemble à une subvention aux exportateurs pour leur venir en aide. Il y a, selon moi, une politique de deux poids, deux mesures par rapport aux exportateurs. Ce n’est pas la solution. Il faut aller à la racine du problème. L’appréciation de la roupie face aux devises découle d’un excès de liquidités de devises sur le marché depuis ces dernières années dû à la conversion en roupies des emprunts contractés en devises.

Malgré l’effort de la Banque centrale pour éponger cette liquidité, la situation ne s’est guère améliorée. Avec l’absence de demandes pour le crédit. Le gouvernement aurait dû travailler de concert avec la Banque de Maurice pour éponger cette liquidité qui se monte entre Rs 12 et 15 milliards. Il faut souligner qu’un excès de liquidités rend le mécanisme de transmission de la politique monétaire inefficient.

Le projet Métro Express est-il un mal nécessaire, qui coûte quand même Rs 18 milliards ?
Un transport de masse et fiable est une nécessité dans le long terme. Cependant, le métro reliant Curepipe et Port-Louis ne va pas décongestionner le trafic routier. Il faudrait améliorer la connectivité et éliminer les ronds-points et construire davantage de bretelles et introduire le péage aux heures de pointe. Le Métro Express n’est qu’une pièce d’un puzzle. Le projet sera financé à travers des dettes publiques, sans la participation du secteur privé

Un autre sujet qui inquiète est la réforme de la retraite qui peine à s’activer. Pourquoi ?
Il faut comprendre qu’avec le vieillissement de la population, le pourcentage de la population qui a atteint  60 ans va augmenter de 15%, maintenant, à 30% en 2050. La Basic Retirement Pension n’est pas raisonnable et, d’ici 2050, le nombre de personnes éligibles va doubler, alors que la population ne va augmenter que de 0.5%. Il y a aussi le Pay as You Go pour les fonctionnaires, une pension qui est non-contribuable.

Et la NPF ?
Sans une réforme, ce fonds sera déficitaire en 2050.

Que faire ?
Il faut un langage de vérité de la part de tous. La pension de retraite doit être ciblée.

Pourquoi ne pas faire payer un minimum pour les services de l’État, comme la santé ?
Certainement, l’État ne dispose pas de mille solutions. Les fonds publics démontrent qu’on a atteint un seuil insoutenable et on sera dans un état critique en 2050. Le ciblage de l’État providence est inévitable.

Le principe du salaire minimal est agréé par le patronat, le gouvernement et les syndicats. À votre avis quel serait le quantum raisonnable ?
Le salaire minimal est défini comme le montant minimum de la rémunération que l’employeur est tenu de payer les salariés pour le travail effectué pendant une période donnée, qui ne peut être réduite par convention collective ou un contrat individuel. Ceci est généralement une proportion du salaire médian, méthode adoptée par tous les pays ayant un salaire minimal.

Le patronat avance que si le chiffre est trop élevé et que cela pourrait occasionner des pertes d’emplois. Partagez-vous cet avis ?
Il est vrai qu’un salaire minimal trop élevé peut avoir pour résultat des pertes d’emplois ainsi qu’un passage des employés de l’économie officielle à l’économie informelle, surtout dans les pays émergents. Pour que le salaire minimal soit efficace, il faudrait qu’il soit accompagné par des mesures économiques visant à encourager la productivité et la valeur ajoutée dans l’économie.

Dans quelle mesure la baisse du prix du sucre sur le marché mondial affectera-t-elle notre économie ?
En sus de la baisse du prix du sucre sur le marché mondial, nous faisons face aujourd’hui à de nouveaux défis – l’abolition complète du filet de protection pour le sucre avec la libéralisation des quotas en Europe au profit des betteraviers, le retour au protectionnisme et le nouvel ordre mondial. Face à ce nouvel ordre, il faut diversifier notre marché, aujourd’hui, notre principal marché est le  Common Market for Eastern and Southern Africa (Comesa). On dispose de raffineries où on peut importer le roux et le convertir en sucre raffiné et réexporter vers les pays d’Afrique.

 

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