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Souveraineté sur les Chagos : derrière l’accord, secrets et tensions en pleine campagne politique

Le tweet du journaliste britannique Christopher Hope, qui a alimenté la polémique.

L’annonce d’un accord entre Maurice et le Royaume-Uni sur l’avenir de l’archipel des Chagos a soulevé un vif débat, tant sur la scène internationale que nationale. Cette décision étant intervenue à la veille de sa campagne électorale, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer un timing troublant.

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L’annonce d’un accord entre Maurice et le Royaume-Uni concernant l’archipel des Chagos continue de susciter de vives réactions, tant à Maurice qu’à l’étranger. Des révélations provenant de médias britanniques éclairent d’un jour nouveau les coulisses de cette décision et soulèvent de sérieuses interrogations.

En particulier, le journaliste Christopher Hope du Daily Telegraph a révélé que le gouvernement britannique était au courant de la dissolution prochaine du Parlement mauricien. « Le nouveau ministre des Affaires étrangères, David Lammy, a parlé au président de la Chambre des communes, sir Lindsay Hoyle, pour expliquer pourquoi l’annonce sur les Chagos a été faite aujourd’hui (NdlR, jeudi) – une campagne électorale commence demain à Maurice. Une déclaration ministérielle est attendue à la Chambre des communes, lundi », a-t-il tweeté, avant d’ajouter que le Royaume-Uni est sur le point de signer un traité de 100 ans avec les États-Unis pour maintenir la base militaire de Diego Garcia, avec une option de prolongation à la fin de cette période.

Empressement

Ces informations émanant de médias britanniques laissent entendre que le gouvernement britannique était informé de la dissolution du Parlement mauricien bien avant que les Mauriciens n’en soient informés. Cela soulève des doutes sur la transparence du processus, un point central critiqué par plusieurs analystes. D’autre part, ces commentaires laissent planer l’idée d’un empressement de la part du gouvernement mauricien pour conclure cet accord avant les élections, ce qui pourrait potentiellement affaiblir la position de Maurice dans les négociations.

Le constitutionnaliste et ancien diplomate Milan Meetarbhan, parmi les voix critiques, s’interroge sur ce timing troublant. Il note que ces commentaires britanniques font comprendre qu’une décision avait vraisemblablement été prise à Maurice concernant la dissolution du Parlement avant même d’en informer la population. « Pourquoi cette information a-t-elle été communiquée aux Britanniques avant les Mauriciens ? » s’interroge-t-il. 

Il dénonce une opacité troublante et une concentration du pouvoir entre les mains du Premier ministre Pravind Jugnauth. Une situation antidémocratique, dit-il. « Pourquoi ce lien entre la dissolution et l’annonce sur les Chagos ? C’est malsain de procéder ainsi, surtout sur une question d’une telle importance nationale », martèle-t-il.

« Manque de stratégie »

De plus, selon Milan Meetarbhan, cette précipitation à conclure l’accord avant les élections révèlerait un manque de stratégie dans les négociations. « En dévoilant cette information cruciale, le gouvernement mauricien a démontré son urgence à conclure l’accord avant les élections », explique-t-il. Cela a affaibli la position de négociation de Maurice et permis aux Britanniques d’imposer des conditions plus favorables. Milan Meetarbhan attend désormais de voir les détails du traité pour évaluer l’impact réel de cette démarche, mais il craint que Maurice ne soit sortie affaiblie de ces discussions.

Du côté de l’opposition, les accusations de « vente de Diego Garcia aux Britanniques » fusent. Navin Ramgoolam a notamment affirmé que « Pravind Jugnauth a cédé la souveraineté en échange d’argent », qualifiant cet acte de « haute trahison ».

Cependant, pour l’historien Jocelyn Chan Low, ces accusations doivent être replacées dans un contexte plus large. Il rappelle que la présence d’une base militaire américaine sur Diego Garcia n’a jamais été remise en question, excepté par le parti de gauche Lalit. La diplomatie mauricienne a toujours dissocié la question de la souveraineté et celle de la base militaire, affirme-t-il. Toutefois, il met en garde contre les risques liés à cette situation : « Si Maurice conserve la base militaire américaine sur Diego Garcia, comment pourra-t-elle maintenir sa neutralité dans les conflits internationaux ? »

Jocelyn Chan Low insiste également sur la relation spéciale entre le Royaume-Uni et les États-Unis, un partenariat que les Britanniques tiennent à préserver à tout prix. Pour lui, il est clair que la possibilité pour les Britanniques de conserver la base américaine sur Diego Garcia est un élément fondamental de leur diplomatie, visant à renforcer cette relation transatlantique. « Il est hors de question que cette base militaire soit remise en question par les Britanniques », conclut-il.

Pour sa part, Kris Valaydon, légiste et ancien haut fonctionnaire des Nations unies, souligne que « Maurice n’est plus dans le camp des non-alignés ». Le pays, dit-il, s’est aligné aux Américains et aux Britanniques. De ce fait, Maurice n’est plus un acteur neutre sur le plan de la politique internationale : « C’est une île Maurice indépendante qui a pris cette décision concernant le bail de 99 ans. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes une colonie britannique n’ayant pas la souveraineté et le droit de prendre des décisions concernant l’utilisation de notre territoire. Maintenant, c’est consciemment et en tant qu’État indépendant que nous décidons de nous aligner à un camp plutôt qu’un autre. Je n’entre pas dans les détails des implications que cela a sur le plan de la paix ou même sur la dénucléarisation de l’océan Indien. »

Les États-Unis, poursuit Kris Valaydon, occuperont Diego Garcia pour encore 99 ans. Le légiste et ancien haut fonctionnaire des Nations unies craint qu’une partie de l’île n’accommode progressivement une prison similaire à celle de Guantanamo. « Sauf que désormais, nous y consentons, puisque nous avons la capacité de décider en tant qu’État indépendant. Le centre de la guerre pourrait se déplacer vers l’océan Indien. Encore une fois, on nous dira que c’était déjà le cas avant l’accord du 3 octobre 2024. Mais cette fois, c’est fait avec notre consentement en tant qu’État souverain », soutient-il.

La question se pose également pour Agaléga. « Que va-t-on faire de la base navale indienne, un accord qui manque de transparence et dont nous ignorons les détails ? Il est nécessaire de réfléchir à l’état de notre souveraineté et à notre position diplomatique vis-à-vis de la Chine et de la Russie », demande-t-il.

« Souveraineté totale »

Or, fait ressortir Shafick Osman, docteur en géopolitique, Maurice joue une partition complexe. « Et cela a toujours été sa politique d’être ami de tout le monde et ennemi de personne. Le pays n’est pas en froid avec la Russie, il est pleinement dans l’Union africaine, il a des relations de proximité avec la Chine, etc. Donc, même s’il accorde le bail pour la base militaire à Diego Garcia, Maurice reste libre de prendre position contre le Royaume-Uni ou les États-Unis sur des points précis. Je répète : Maurice a la souveraineté totale sur l’Archipel des Chagos, incluant Diego Garcia », commente Shafick Osman.

Comme l’a souligné le gouvernement britannique, l’accord sur la souveraineté des Chagos s’inscrit dans un contexte de coopération et de sécurité régionale, analyse l’avocat-constitutionnaliste Milan Meetarbhan. D’ailleurs, relève-t-il, le communiqué du Foreign Office souligne le rôle des États-Unis et de l’Inde dans l’issue des négociations.

« Déjà dans les années 60, quand les Britanniques ont détaché les Chagos de Maurice et accordé aux Américains le droit d’installer une base à Diego Garcia, ils avaient justifié leur décision par la nécessité de sauvegarder les intérêts du monde libre, c’est-à-dire l’Occident. Aujourd’hui, il tient en fait le même discours, bien que le vocabulaire de la Guerre froide ait changé », explique Milan Meetarbhan.

Ce qui a changé depuis les années 60, poursuit-il, c’est le rôle de l’Inde, qui se trouve maintenant dans le camp américain à la suite de nouvelles alliances. L’Inde, dit-il, est aussi aujourd’hui économiquement et militairement bien plus fort qu’elle ne l’était il y a 60 ans. « De plus l’Inde, sous le gouvernement Modi, a adopté une politique d’envergure par rapport à l’océan Indien. »

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