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Sorties d’un shelter à 18 ans : les jumelles Santa et Seela seront bientôt à la rue

Santa et Seela Chandra et ses filles lancent un appel à la générosité des Mauriciens.

Santa et Seela n’avaient que 11 ans quand elles ont été enlevées de la garde de leur mère puis placées dans un shelter. Cette dernière, victime de violence domestique, dit avoir tenté de récupérer ses enfants, en vain.

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Aujourd’hui âgées de 18 ans, les jeunes filles aspirent à une vie meilleure. Mais ce n’est guère facile. Si l’État les considère comme des adultes aptes à se débrouiller, c’est loin d’être le cas. Elles seront bientôt à la rue.

Nous rencontrons Seela et Santa, deux jumelles qui ont fêté leurs 18 ans le 19 novembre dernier, dans la maison où elles vivent en ce moment, avec leur mère. Nous empruntons un escalier pour nous retrouver dans de grandes pièces, mais elles sont vides… C’est alors qu’on nous explique que le propriétaire des lieux a décidé de louer uniquement trois pièces de la maison aux jumelles et à leur mère.

Elles disposent d’une cuisine, d’une chambre avec pour seul meuble un lit, une salle de bains et des toilettes. Une autre pièce, mise à leur disposition par le propriétaire,  sert de débarras. Elle contient des affaires entassées sous des draps et sur lesquelles veillent jalousement les jumelles car elles les ont obtenues à la sortie du shelter. Il n’y a aucun autre meuble à part le lit.

Montant du loyer : Rs 5 000. La mère et ses filles sont aujourd’hui dans l’incapacité de payer cette somme. Elles ont pour seuls revenus la pension de vieillesse de la mère et le salaire de Rs 4 000 que touche Santa chaque mois en travaillant de 8 h 30 à 16 h 30 par jour.

Depuis quelques jours, le propriétaire leur a demandé de vider les lieux. Toutes les trois risquent donc de se retrouver à la rue. Elles placent leur espoir en de bons samaritains qui pourraient les aider à prendre leur envol. Les jumelles recherchent également du travail.

« On rêvait d’une vie de famille… »

Lorsqu’elles ont quitté le shelter, les jumelles étaient loin de se douter que ce serait aussi dur de démarrer dans la vie. Pourtant, quand elles ont fêté leur anniversaire, elles se faisaient une joie de quitter le shelter où elles ont vécu pendant pratiquement toute leur enfance. Le jour de leurs 18 ans, elles ont patiemment attendu, bagages en main, l’arrivée de leur mère. « Nous rêvions d’une belle vie à l’extérieur. Nous n’avions que 11 ans quand nous avons été placées au shelter. Comme tous les autres enfants, nous attendions patiemment le jour de nos 18 ans pour sortir et avoir une vie de famille, un peu comme celle qu’on voit en rêves », explique Seela.

Si les jumelles sont alors remplies d’espoir, les choses ne se déroulent pas comme prévu. Leur mère Chandra, une sans-docimile-fixe habitait temporairement chez une cousine. « Je vivais chez elle mais je devais en contrepartie faire le ménage et lui remettre ma pension de vieillesse. » Quand elle est retournée chez sa cousine dernière accompagnée de ses filles, une dispute a éclaté. Chandra raconte : « Le soir même, ma cousine m’a annoncé que je devais partir et trouver un toit où vivre avec mes enfants. »

Esseulées et désemparées

C’est ce que Chandra et ses filles ont fait. « Nous nous sommes rendues à Providence où nous habitions auparavant avant le décès de mon père. Mon oncle nous a chassées. Nous avons constaté qu’il avait éliminé l’escalier donnant accès à ladite maison », raconte Santa.

La nuit commençait à tomber. Mère et filles étaient toujours dans la rue. Esseulées et désemparées, elles ne savaient pas quoi faire. Les jumelles ont décidé d’appeler leur sœur aînée qui a accepté de les accueillir. L’époux de la sœur aînée explique : « Chandra a déposé ses jumelles et elle est par la suite retournée chez la cousine avec laquelle elle a eu des ennuis. Puis elle s’est retrouvée dans un centre d’accueil. Ce n’est que dix jours plus tard que nous l’avons retrouvée ». Il explique que ce n’est pas facile de trouver à manger pour tout le monde et qu’il n’a malheureusement pas les moyens de les héberger plus longtemps.

C’est alors que la mère et ses jumelles ont cherché une maison à louer. Elles l’ont trouvée. Mais elles sont aujourd’hui dans l’incapacité de payer le loyer…

La gérante du Gayasing Ashram : « Elles méritent d’être aidées »  

Contactée, la gérante du Gayasing Ashram, où ont vécu les jumelles, dit ne pas être au courant de la situation difficile de ces deux sœurs. « C’est la Child Development Unit (CDU) qui place les enfants et qui s’occupe de leurs départs. Quand ils atteignent l’âge de 18 ans, ils ne sont plus sous notre responsabilité. De temps à autre, nous essayons de les aider comme on peut. Malheureusement dans ce cas qui nous concerne, nous ne savions pas qu’elles avaient des problèmes, car personne ne nous a rien dit. Leur maman venait les voir régulièrement et les filles sont allées avec elle le jour de leurs 18 ans. C’est la CDU qui s’est chargée de contacter la mère.  Ce sont des enfants disciplinés et très joviales. Ce qui leur arrive est triste. Elles ont été scolarisées. On leur a donné des formations, mais ce qui se passe en dehors du shelter n’est pas de notre ressort. »

Chandra : « On m’avait enlevé mes cinq enfants »

C’est une maman en larmes qui témoigne. Chandra revient sur les jours fatidiques où elle a perdu ses cinq enfants : « Mon mari, qui était porté sur la bouteille, me frappait. J’ai dû demander un Protection Order contre lui alors que mon dernier enfant n’avait même pas deux ans. Je ne travaillais pas. Mon époux a commencé à boire de plus belle. Il n’achetait plus rien pour la maison. »

Sa fille aînée ajoute : « Souvent, il me faisait l’accompagner au travail et en retournant à la maison, il me demandait de l’attendre devant une boutique. Puis il en ressortait sans un sou en poche. Une fois arrivé à la maison, il battait violemment ma mère. »

Chandra explique qu’elle s’est alors tournée vers les autorités pour obtenir de l’aide. « On n’avait plus rien à manger. J’ai dû mendier pour nourrir mes enfants. Les autorités, au lieu de m’aider, me les ont enlevés. On m’avait dit que ce serait temporaire, mais cela n’a pas été le cas. J’ai quitté mon mari. J’ai fait de nombreux va-et-vient pour qu’on me rende mes enfants, en vain. J’ai sombré dans une dépression. J’ai même souffert d’amnésie temporaire durant un certain laps de temps », indique Chandra.

Quelques années plus tard, quand elle a déposé une requête à la Cour pour récupérer ses enfants, elle a essuyé un nouveau refus. Elle nous a montré le rapport social rédigé par les autorités où il est indiqué que sa demande a été refusée parce qu’elle habitait dans une seule chambre à coucher et qu’elle souffrait de dépression. Dans ce rapport, l’officier préconisait que les enfants ne soient pas rendus à leur mère.

Mais Chandra n’a pas baissé les bras. Elle a demandé un droit de visite qui lui a été accordé. Tous les mois, elle allait voir ses enfants, sauf son petit dernier. « On m’a dit qu’il avait été placé quelque temps après dans une famille d’accueil et que je n’avais pas le droit de le voir. Dernièrement j’ai été informé que la famille d’accueil l’a adopté légalement et que je n’ai plus droit de le voir. »

Santa et Seela : « Nous voulons revoir notre petit frère »

Santa et Seela

Séparées de leur frère depuis que la Child Development Unit a fait placer les enfants, Santa et Seela confient qu’elles ne l’ont plus jamais revu. « Nous avions d’abord étaient placés au shelter La Colombe avant d’aller au Gayasing Ashram, mais mon frère n’était pas avec nous. »

Selon le rapport des autorités, le garçon, qui est aujourd’hui âgé de neuf ans, a été placé dans une crèche avant d’aller habiter chez un couple enregistré comme famille d’accueil pour une période renouvelable de deux mois. « Nous avons maintenant appris qu’il a été adopté par cette famille. S’il est bien chez eux, tant mieux. Mais c’est notre petit frère. Nous l’aimons et nous voulons le connaître et voir à qui il ressemble. »

Les jumelles ont cherché les coordonnées du couple pour leur faire part de leur intention. À l’autre bout du fil, une voix sympathique leur a fait comprendre que le petit garçon est sage et qu’il va à l’école. Elles lui ont demandé de leur donner la permission de le voir. « Nou finn dir li pa neseser li fer li kone ki nou so ser. Nou zis anvi trouv li. » Le père de famille a promis d’en parler avec sa femme et de revenir vers les jumelles.

L’Alternative Care Unit du ministère de l’Égalité des genres

La responsable de l’Alternative Care Unit (ACU) du ministère de l’Égalité des genres explique que des 557 enfants placés dans les shelters, une cinquante ont été réintégrés dans leurs familles biologiques depuis juillet dernier. « Soixante-neuf enfants sont dans des familles d’accueil en ce moment et 29 personnes attendent d’accueillir des enfants. Nous travaillons en ce moment à professionnaliser le Foster Care Programme. »

En ce qui concerne, les enfants qui quittent les shelters à l’âge de 18 ans, elle avance que cela se fait après une étude sociale menée par la Child Development Unit : « Deux conditions doivent être réunies : un parent accepte d’accueillir l’enfant et l’environnement dans lequel il vit est correct. Par la suite, la décharge se fait au poste de police et à partir de ce moment-là c’est le parent qui est responsable de ces enfants. Dans le cadre du Back-to-Home Programme, nous privilégions la réunification familiale ou le placement dans des half-way homes. »

Cependant il s’avère qu’en ce moment, selon un autre préposé du ministère, il n’y a pas de half-way homes pour ces jeunes. « Nous travaillons actuellement sur un nouveau programme pour ces jeunes. »

ANOU ED SEELA E SANTA
Les jumelles lancent un appel à toute personne qui pourrait leur venir en aide, que ce soit pour trouver un emploi, une maison, du travail ou des provisions. Si vous pensez pouvoir les aider, envoyez un message via SMS ou WhatsApp sur le 5 256 5154.

Kavita, une des sœurs, est décédée

Santa et Seela

Elle était âgée de 20 ans lorsqu’elle est décédée. Kavita, l’une des sœurs des jumelles, habitait aussi dans le shelter. Quand elle a atteint ses 18 ans, on a demandé à sa mère de venir la chercher. « Nous habitions dans une bicoque en tôle dont le toit fuyait. C’était insalubre. Plus tard, nous avons appris qu’elle a eu un cancer du poumon. Malheureusement les conditions dans lesquelles nous vivions lui ont été néfastes », déplore la mère.

Rita Venkatasawmy, Ombudsperson for children : « Difficile de faire des half-way homes, car ceux qui ont 18 ans ne veulent pas être contrôlés »

Sollicitée pour une déclaration, Rita Venkatasawmy, l’Ombudsperson for Children, explique que même si, selon la loi, les enfant deviennent adultes à l’âge de 18 ans, il faut tenir compte du fait qu’ils sont fragiles et qu’ils ont besoin de soutien. « Mais il est de plus en plus difficile de faire des half-way homes, car les enfants de 18 ans ne veulent pas être contrôlés. C’est donc plus difficile d’instaurer la discipline. Il faut pouvoir leur offrir un bon encadrement. »  

En ce qui concerne la préparation des enfants qui quittent les shelters à l’âge de 18 ans, elle avance : « Nous ne sommes clairement pas satisfaits, mais nous ne voulons pas généraliser. Il y a des shelters qui font un travail formidable et qui, en opérant de petites structures, arrivent mieux à encadrer les enfants. Malheureusement d’autres shelters ont un grand groupe d’enfants et n’arrivent pas à s’occuper d’eux comme
il se doit. »

Alain Muneean : « Il faudrait travailler davantage avec la famille biologique »

Alain Muneean, directeur de la Fondation pour l’enfance-Terre de Paix, explique que l’ONG avait mis sur pied une half-way home mais cela n’a pas marché. « On se rend rapidement compte que ce type de structures ne fonctionne que pour un court instant car de nombreuses contradictions surgissent par la suite. » Une half-way home est une institution permettant à des personnes d’acquérir les connaissances et les aptitudes nécessaires pour intégrer la société et voler de leurs propres ailes.

« C’est un sujet complexe. Quand un enfant est placé dans un shelter, c’est parce qu’il y a eu un ordre de la Cour en ce sens. Il est obligé de s’y rendre. Durant son séjour au shelter, il exprime souvent le désir de retourner chez sa famille biologique. Sa laz 18 an-la enn laz mazik pou zot ek zot atann sa ek inpatians. Maintenant, quand vous leur demandez de continuer à vivre dans une maison d’accueil, ce n’est pas ce qu’ils veulent. C’est pour cela que les structures post-18 ans n’ont pas la cote. »

Puis, poursuit Alain Muneean, chacun a des besoins différents. « Nou poz nou lakestion eski enn half-way home li pli viable ki enn institision ki kapav donn enn ankadreman reel ek fer swivi ek bann zanfan. » Selon lui, il faudrait plus s’appuyer sur des programmes de travail avec la famille biologique. « Dabor, avan plas zanfan-la dann shelter, bizin gete si pena okenn lot manb lafami ki kapav akeyir li. »

Alain Muneean dit qu’il est important de bien préparer les enfants des shelters avant leurs 18 ans : « Ce n’est qu’à la veille des 18 ans de l’enfant que les autorités courent dans tous les sens pour trouver quelqu’un pour l’accueillir. Cet accompagnement devrait débuter plus tôt. Quand les ONG décident de faire un suivi avec les enfants au-delà de leurs 18 ans, on ne reçoit pas de soutien. Au niveau de Terre de Paix, nous avons plusieurs centres d’éveil et un programme pour proposer des formations concrètes visant à rendre les enfants autonomes afin qu’ils soient prêts pour le monde du travail. »

Gilbert L’Hébreux : « Il faut une structure pour les acueillir jusqu’à leurs 21 ans »

Gilbert L’Hébreux a lui aussi essayé de mettre sur pied une half-way home au sein de L’Étoile du Berger qui n’a pas été un succès. Mais il ne perd pas espoir. Il est convaincu que les jeunes ont besoin d’une structure qui puisse les encadrer jusqu’à 20 ou 21 ans. « Je pense que les autorités s’y prennent trop tard pour reprendre contact avec la famille et travailler ensemble pour la réintégration de ces jeunes. À notre niveau, nous essayons de continuer à aider l’enfant lorsqu’il a 18 ans à poursuivre ses études ou à trouver un logement. Les half-way homes pourraient aider, mais il faut imposer des conditions aux jeunes. S’ils ne les respectent pas, ils doivent assumer. Il faut de la volonté de leur part. »

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