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Sheila Ujoodha : «La diversité sous toutes ses formes est un atout précieux pour la gouvernance d’entreprise»

Sheila Ujoodha

La bonne gouvernance au sein des entreprises privées n’est pas une coquille sans substance ou une simple rhétorique à Maurice. Dans les faits, le pays a accompli des avancées remarquables pour que prévalent les bonnes pratiques dans ces entreprises. C’est aussi à travers la parité que s’exprime cette avancée. Depuis sa mise sur pied en 2008, le Mauritius Institute of Directors (MIoD), a, entre autres, pour objectif de remplir cette mission. « Le leadership féminin existe, les femmes leaders sont là (…) il faut tout juste créer un environnement de travail qui valorise et encourage les femmes à occuper des postes de responsabilité », fait ressortir Sheila Ujoodha, CEO de Mauritius Institute of Directors dans l’interview qui suit.

De quelle manière concrète, depuis son lancement en 2008, le MIoD a veillé à la mise en pratique des normes de bonne gouvernance. Est-il satisfait d’atteindre cet objectif ?
Il faut d’abord se rappeler que le Mauritius Institute of Directors est né de la volonté du secteur privé de disposer d’une institution capable de consolider la bonne gouvernance d’entreprise à Maurice. Le MIoD s’est révélé un élément essentiel dans la création d’un cadre opérationnel intègre et éthique. En 15 ans, l’institut est devenu un partenaire reconnu du secteur privé pour la bonne gouvernance d’entreprise. Nous comptons aujourd’hui 1 607 membres, et au fil de ces 15 années, la pertinence de l’institution s’est imposée sans conteste. Le MIoD ne se contente pas de promouvoir la bonne gouvernance d’entreprise de manière théorique, mais il travaille en étroite collaboration avec les entreprises et les stakeholders pour la concrétiser.

Nous animons quatre forums spécialisés qui servent de plateformes de dialogue et d’apprentissage pour les dirigeants et directeurs, sur des sujets allant de l’audit, le Company Secretaries Circle, la parité ou le recrutement de directeurs. L’Audit Committee Forum, animé en collaboration avec KPMG, renforce les comités d’audit en fournissant les dernières directives sur les exigences légales et réglementaires. Notre Directors Forum, en partenariat avec PwC, offre des conseils précieux aux administrateurs. Le Company Secretaries Circle agit comme une ressource technique de pointe, et enfin, le Women’s Directors Forum vise à promouvoir une meilleure représentation des femmes dans les conseils d’administration. 

Le MIoD soutient également activement ses partenaires à travers ses programmes de formation, notamment l’Applied Directorship Programme ou le Path to Boardroom du Women’s Directors Forum qui encadrent les candidates souhaitant accéder à de plus hautes responsabilités. Ces programmes visent à renforcer les compétences des administrateurs et des dirigeants, en les dotant des connaissances et des outils nécessaires pour mettre en pratique les principes de bonne gouvernance d’entreprise.

Comment les entreprises ont-elles réagi face à la nécessité de mettre en place ces normes ?
Les dirigeants d’entreprises ont réagi de manière très positive aux normes de bonne gouvernance promues. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, avec une adhésion au MIoD qui continue de croître d’année en année. Cette réaction positive souligne l’importance et la pertinence de l’institut dans le paysage économique de Maurice pour faire de la bonne gouvernance d’entreprise une normalité. Le secteur privé a activement soutenu la création et le fonctionnement du MIoD en fournissant les ressources nécessaires. Nous ne pouvons que remercier nos 13 membres fondateurs et 35 patrons qui continuent aujourd’hui de nous soutenir. Cette réaction proactive montre l’engagement du monde des affaires mauricien à promouvoir une culture de gouvernance d’entreprise solide et à respecter les normes internationales. Cela a contribué à créer un environnement propice à l’adoption des normes de bonne gouvernance, renforçant ainsi la réputation de Maurice en tant que destination attractive pour les affaires.

Le MIoD se félicite de la parité de son conseil. Quelle est la différence que revêt l’apport féminin et comment s’exprime celui-ci en termes de bonne gouvernance que les hommes, eux, ne peuvent pas accomplir ?
La question de la diversité au sein du MIoD est en effet un aspect essentiel de notre approche en matière de bonne gouvernance d’entreprise. Le MIoD est déjà un exemple. Notre conseil d’administration est composé de 50 % de femmes et 50 % d’hommes. C’est une réalisation dont nous sommes fiers. Cependant, il est crucial de comprendre que la diversité ne se limite pas à ce que les hommes ou les femmes peuvent ou ne peuvent pas accomplir. Elle transcende ces notions pour inclure une variété de perspectives, d’expériences et de modes de pensée.

Les statistiques et la recherche montrent qu’un conseil d’administration diversifié, où les points de vue ne sont pas uniformes, prend des décisions plus éclairées, adopte une meilleure gestion des risques et obtient de meilleurs résultats. En d’autres termes, la diversité sous toutes ses formes est un atout précieux pour la gouvernance d’entreprise, et c’est ce que le MIoD encourage activement.

Pour favoriser la diversité au sein des entreprises, le MIoD a mis en place diverses initiatives. Nous avons récemment organisé un atelier avec le Stock Exchange of Mauritius pour accompagner les entreprises cotées en Bourse qui doivent désormais atteindre le seuil de 25 % de femmes sur leurs conseils d’administration. Notre programme Path to Boardroom permet de préparer les femmes à siéger aux conseils d’administration et à occuper des postes de direction. Il s’inscrit dans le cadre de notre engagement à atteindre des objectifs de parité et à encourager une participation plus équilibrée des femmes dans les instances de décision.

Comment, dans les faits se positionne le MIoD face aux défis d’ordre économique, sociétal, écologique et technologique ? Quel type d’écosystème ou de politique doit prévaloir afin que ces défis soient traités concrètement ? 
La gouvernance d’entreprise s’est aujourd’hui métamorphosée et ne porte plus uniquement sur les questions de conformité aux exigences légales et réglementaires. La bonne gouvernance d’entreprise se pose aujourd’hui comme une stratégie de création de valeur à long terme. L’on parle désormais de Mindful governance. Le MIoD adopte une approche proactive pour accompagner ses membres qui doivent relever des défis modernes. Au cours de ces 15 années, nous avons évolué pour aborder des questions contemporaines telles que la diversité, la parité, le changement climatique, l’innovation et l’intégration de la technologie. La bonne gouvernance d’entreprise est devenue un élément central de notre réponse aux grands enjeux de notre époque. 

Prenons par exemple le défi climatique. Maurice est vulnérable aux chocs climatiques, ce qui a, nous le voyons bien, un impact sur nos activités économiques. Le MIoD est conscient de cette vulnérabilité et cherche à apporter sa contribution. Nous nous intéressons donc au développement durable, à l’économie circulaire et à l’adoption de bonnes pratiques pour minimiser l’impact environnemental des opérations des entreprises. Une bonne gouvernance d’entreprise est un atout crucial pour promouvoir des opérations plus vertueuses et respectueuses de l’environnement. Un autre exemple serait l’inclusion économique, où nous croyons que les grandes entreprises ont un rôle à jouer dans la création d’un modèle économique qui intègre davantage de personnes. Nous encourageons les chefs d’entreprise à s’engager dans des pratiques de gouvernance d’entreprise qui favorisent l’inclusion, veillant ainsi à ce que personne ne soit laissé pour compte.

Est-ce que les entreprises mauriciennes cotées ou pas en Bourse jouent-elles pleinement la transparence face à toutes leurs catégories d’actionnaires ?
Rappelons que les entreprises mauriciennes cotées en Bourse sont tenues de respecter le National Code of Corporate Governance, comme stipulé dans le Financial Reporting Act 2004. Elles doivent, par exemple, s’assurer d’avoir le bon cadre pour le board evaluation et le corporate governance assessment. Le code établit les normes et les pratiques éthiques que les entreprises doivent suivre pour garantir une gouvernance d’entreprise efficace. Le respect de ces normes de gouvernance est essentiel pour maintenir la confiance des actionnaires, qu’ils soient petits ou grands, et pour assurer la crédibilité et la réputation du secteur des affaires à Maurice. La transparence et la conformité aux normes de gouvernance sont essentielles pour le succès à long terme des entreprises mauriciennes.

Vous évoquez la ‘complexité’ des affaires de nos jours. Comment se présente cette ‘complexité’ ?
La complexité des affaires à l’ère actuelle est souvent décrite par l’acronyme « VUCA » (Volatile, Uncertain, Complex, Ambiguous). Cette complexité découle de plusieurs facteurs, notamment l’évolution des attentes des stakeholders, la gestion des relations avec les employés, et la pression croissante sur les entreprises depuis la pandémie de COVID-19, de la volatilité du monde des affaires et le contexte géopolitique.

Les entreprises sont désormais tenues responsables de leurs actions non seulement sur le plan financier, mais aussi sur le plan social et environnemental. Les attentes en matière de responsabilité d’entreprise sont plus élevées que jamais. Il y a une pression croissante sur les entreprises pour qu’elles assument leur responsabilité dans des domaines tels que le changement climatique, l’inclusion et la diversité. Elles font face à des demandes de plus en plus fortes pour qu’elles jouent un rôle actif sur ces enjeux sociaux et environnementaux.  

La complexité réside également dans le fait que les paramètres du business landscape évoluent en permanence. Les entreprises doivent faire face à des enjeux en constante évolution, des réglementations changeantes et une concurrence accrue.

La bonne gouvernance d’entreprise, qui s’adapte à ces enjeux, est le meilleur moyen pour affronter la complexité du secteur des affaires. Le MIoD s’efforce continuellement d’offrir des programmes de formation, des conférences et des forums qui permettent aux dirigeants et aux administrateurs d’entreprises de rester vigilants, de renforcer leurs compétences et de s’adapter aux nouvelles normes et aux attentes changeantes des stakeholders. 

Un des outils à notre disposition est l’Annual Corporate Governance Conference (ACGC), lancée en 2022 alors que Maurice venait de sortir de la liste grise du GAFI.  Cette initiative contribue de manière significative aux efforts visant à renforcer la gouvernance d’entreprise. Elle a permis de consolider la réputation du pays en tant que juridiction financière de premier plan, engagée sur la transparence et l’adhésion aux meilleures pratiques mondiales. Notre deuxième édition, tenue la semaine dernière, était axée sur le futur de la bonne gouvernance d’entreprise. L’ACGC incarne une plateforme stratégique où les acteurs clés des secteurs public et privé convergent pour discuter, partager et façonner les normes de bonne gouvernance d’entreprise.

Plusieurs entreprises de grande et moyenne envergure ont des racines patrimoniales qui remontent à l’époque précédant l’indépendance ou sont dirigées par des familles. Comment, dans de telles conditions, peuvent s’exercer la bonne gouvernance et la redevabilité publique ?
Un grand nombre d’entreprises, qu’elles soient grandes ou de taille moyenne, ont fréquemment des liens patrimoniaux, que ce soit à Maurice ou ailleurs dans le monde. Il convient de mentionner que notre Directors Forum a publié un Position Paper 6 sur le sujet Effective and sustainable good governance practices of family businesses. Cette publication a été faite dans le sillage de la pandémie qui a entraîné une transition numérique forcée pour de nombreuses entreprises, les obligeant à repenser radicalement leur business models. Les family-run businesses n’ont pas échappé à cela. Elles jouent un rôle clé dans l’économie mondiale et représentent environ 80 % des compagnies dans le monde. Elles constituent la plus grande source d’emplois à long terme dans la plupart des pays. Dans de telles conditions, la mise en œuvre de la bonne gouvernance d’entreprise peut sembler complexe, mais c’est essentiel pour leur pérennité.

Ces grandes entreprises d’origine familiale, et qui sont aujourd’hui des conglomérats, ont pris conscience de l’importance des pratiques de bonne gouvernance pour assurer leur pérennité. Dans les faits, certaines d’entre elles, comme IBL, Terra et Rogers, ont été parmi les premières à soutenir la création du MIoD. La bonne gouvernance d’entreprise n’est pas seulement une question de conformité, mais aussi une stratégie pour garantir la transparence, la responsabilité et la continuité des entreprises.

Comment le MIoD se positionne-t-il dans cette période post-Covid marquée par la reprise à Maurice ?
Nous avons adopté une approche agile et flexible pour maintenir notre soutien à tous nos membres, même pendant la pandémie de Covid-19. Nous avons rapidement migré toutes nos formations en ligne et organisé des webinaires pour continuer notre travail de plaidoyer. Cette flexibilité est toujours d’actualité, car nous nous adaptons constamment aux besoins changeants de nos membres afin de les soutenir de manière optimale. Dans cette période post-Covid marquée par la reprise à l’île Maurice, le MIoD se positionne en tant que catalyseur pour le monde des affaires. La pandémie a entraîné des changements fondamentaux dans la façon dont les entreprises opèrent et interagissent avec leurs stakeholders. Le MIoD offre une gamme diversifiée de programmes et de ressources pour s’adapter et répondre au monde post-Covid. L’institut continue de promouvoir les meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise, mettant l’accent sur la résilience, l’agilité et la durabilité des entreprises.

La question de l’inadéquation entre le nombre de réussites entre filles et garçons aux examens et l’absence de reflet de ce résultat - plus favorables aux filles-, aux postes de responsabilité reste toujours posée. Où se situent les blocages ?
En effet, il est un fait que les femmes constituent 52 % de la population et, par conséquent, 50 % de la main-d’œuvre économique du pays. De plus, elles affichent des résultats académiques supérieurs. Les blocages liés à l’inadéquation en matière d’accès à des postes de responsabilité se situent en majeure partie au niveau des opportunités au sein des entreprises. Il y a la question de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, qui est souvent un défi pour les femmes et la question de la volonté de changement au sein des entreprises. Les dirigeants doivent être déterminés à promouvoir la diversité et l’inclusion au sein de leur organisation. Cela nécessite un engagement fort à tous les niveaux de l’entreprise pour créer un environnement de travail qui valorise et encourage les femmes à occuper des postes de responsabilité.

Pour surmonter ces blocages, il est essentiel de mettre en place des politiques et des pratiques qui favorisent l’égalité des sexes, de sensibiliser aux biais inconscients et de promouvoir activement la diversité et l’inclusion au sein des entreprises. Cela nécessite un engagement soutenu de la part de tous les acteurs de l’entreprise. Ainsi, il s’agit de créer un environnement de travail plus ouvert, où les opportunités sont accessibles indistinctement aux hommes et aux femmes. Le leadership féminin existe, les femmes leaders sont là. La question essentielle réside dans l’accès aux opportunités et la volonté de la direction générale d’inclure ces femmes leaders. Si une entreprise se retrouve avec une équipe de direction entièrement composée d’hommes, il est impératif qu’elle se pose des questions, qu’elle s’interroge sur cette situation. C’est une question cruciale, car cela revient à priver l’entreprise d’une richesse intellectuelle et d’un point de vue précieux, dont les bénéfices sont indéniables.
 

 

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