
Intransigeant, ReA l’est, même si ce parti né de la lutte des classes sait qu’il ne peut exiger tout ou rien. Mais le ministre Ashok Subron est catégorique : si le programme sur lequel son parti s’est appuyé pour évincer le MSM n’est pas appliqué sur les points essentiels, il ne lui restera qu’à claquer la porte de l’Alliance du Changement.
Comment vous sentez-vous dans votre nouveau rôle ?
Pour moi, la vie est un combat depuis mon enfance. J’ai été impliqué dans des mouvements estudiantins, de travailleurs et de paix. Ce que je suis aujourd’hui, c’est quelqu’un qui agit avec la conviction et la vision qui ont toujours été les miennes. Maintenant, j’assume un nouveau rôle au sein d’un gouvernement tout en gardant les convictions de notre Papillon, qui guident mes actions depuis plus de 40 ans. Devenir ministre ne m’a jamais effleuré l’esprit.
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Vous sentez-vous un bon ministre à la hauteur de ce poste ?
J’ai toujours eu l’étoffe d’un défenseur des travailleurs avec une dimension sociale et écologiste. Il suffit de regarder nos trois députés Papillons élus qui ont une réelle profondeur de réflexion. Voyez aussi nos militants en action dans les mairies. C’est l’empreinte de ReA. Quand on est activiste chez nous, on se doit d’être performant.
ReA est pour la première fois au sein d’un gouvernement. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Nous avons un leadership collégial. ReA est né en 2004, après une cassure avec Lalit. La première phase de notre combat a été de pouvoir nous porter candidats sans nous catégoriser en « communauté » – une victoire obtenue devant la Cour suprême.
Ce parti a permis la régénération de la General Workers’ Federation, du Joint Negotiating Panel et de syndicats qui allaient mourir ; nous avons relancé les mouvements de grève et nous nous sommes associés aux combats d’Emmanuel Anquetil et Paul Bérenger pour les travailleurs.
Depuis 2010, il y a eu un « revival », sans oublier notre lutte pour la libération des plages publiques, la réforme électorale, la démocratie participative et la vulgarisation de la notion de droit à la nature. Ce sont les grands axes de ReA. Notre entrée au gouvernement sert à faire avancer ces idées.
Je voudrais faire un petit flashback : juste avant les dernières élections générales, il y avait une « mafiosination » du pouvoir sortant, avec des affaires telles que Reward Money qui ont étendu leurs tentacules. Puis il y a eu l’assassinat d’un agent du MSM ou encore l’installation d’un autoritarisme orchestrée par « Lakwizinn ».
Sans oublier l’interdiction d’accès aux réseaux sociaux par le MSM avec l’épisode des « Moustass Leaks », du jamais vu depuis l’indépendance. C’est pour cela que les gens de gauche comme moi ne pouvaient accepter que le MSM reste au pouvoir. Pour moi, 2020 a été l’année du Printemps mauricien. ReA en a été l’incarnation politique.
Pour les élections de 2024, notre parti a transmis cette aspiration et cette vision dans l’accord électoral conclu avec les partenaires de l’alliance. La réforme du système électoral, le « Right to Recall », le droit à la nature, le droit digital, le Public Interest Litigation et la Class action en sont des exemples. ReA a trois élus sur 60 et un ministre sur 24 ; il y a manifestement un certain rapport des forces. Ce n’est pas un gouvernement de ReA, mais un gouvernement de l’Alliance du Changement.
La phase d’adaptation a-t-elle été difficile ou est-elle encore en cours ?
C’est une réalité : ReA évolue dans un nouvel espace et nous apprenons chaque jour avec humilité. ReA a peut-être commis des maladresses et c’est normal dans ce processus. Nous apprenons les rouages de l’Assemblée nationale, du Cabinet et de l’État permanent ainsi que les affaires protocolaires. Il y a eu des doutes certes, mais ReA fait ses dents tout doucement tout en apportant sa contribution par sa vision et son expérience.
Justement, il y a des choses qu’on ne fait pas. Comme le fait de nommer des camarades de ReA pour siéger dans un panel composé de membres de votre parti, alors qu’aucun d’eux n’y avait droit, d’autant plus si l’un des membres est votre compagne. Paul Bérenger a qualifié cela d’erreur dans une volonté de bien faire. A-t-il raison ?
Le leader du MMM a, en effet, dit que ReA, en voulant bien faire, a peut-être trop fait. Pour l’épisode de la National Empowerment Foundation (NEF), ReA a proposé un mode inédit pour une nomination et permettre des candidatures ouvertes à tous. Nous avons lancé une Expression of Interest et nous avons reçu 269 candidatures.
Ce n’était pas le travail des fonctionnaires de faire la sélection. Il s’agissait d’une nomination du ministre selon la loi. Il y a eu tant de candidatures que j’ai déléguées à mon Junior Minister et à des activistes de ReA la tâche de faire un tri, qu’ils ont faite bénévolement.
Pour la NEF, ReA a été tapé « below the belt ». Mais soyez assurés que nous avons tiré des leçons de ce qui est peut-être perçu comme une maladresse. Nous ferons différemment à l’avenir.
Venons-en au dossier de la Basic Retirement Pension (BRP). Comment vous, ministre de la Sécurité sociale, avez-vous pu cautionner cette réforme dans le tout premier Budget de ce gouvernement ?
Il y a deux problèmes centraux : l’ancien gouvernement a utilisé la BRP à des fins électoralistes. De 2014 à 2024, il y a eu une augmentation de 400 %. Le MSM nous a légué une « time bomb ». De Rs 12 milliards annuelles en 2015-16, le coût de la BRP pour l’État est passé à Rs 55 milliards en 2024.
Le MSM a commis un crime en démantelant le National Pensions Scheme (NPS). Cela a créé un basculement historique, car le NPS était appelé à soutenir les pensions des travailleurs après leur retraite. Cependant, le MSM a saboté ce concept.
Puis le pays subit un vieillissement de sa population en raison d’un très faible taux de natalité. Comment répondre à cette problématique ? Lorsque la réforme de la BRP nous avait été présentée, ReA avait proposé de la traiter en dehors du processus budgétaire. Nous avions envoyé un mémo au PM et au DPM, avec des propositions pour les personnes malades, celles physiquement incapables, les PME et les femmes au foyer, parce que nous avons un « healthy concern » pour la vie après le travail.
Le gouvernement est venu avec l’Income Support qui concerne plus de 50 % de la population. Il faut aussi saluer la mise sur pied d’une commission d’experts sur la réforme des pensions dont les Terms of Reference sont à l’étude. ReA souhaite que la participation soit plus large pour élaborer un NPS 2.0.
Pourquoi ne pas avoir prévenu de la réforme de la BRP avant les législatives de novembre 2024 ? La victoire de 60-0 n’aurait peut-être pas eu lieu ?
ReA ne savait pas que la réforme de la BRP était à l’agenda. Personnellement, je ne crois pas que si elle avait été inscrite dans notre manifeste électoral, les résultats auraient été différents. Les élections de novembre 2024 ont empêché que Pinocchio ne devienne Pinochet.
Navin Ramgoolam et son second ont vendu des rêves, mais c’est le contraire qu’on observe. L’attente est palpable. Cela gronde un peu partout. Analyse ?
Des promesses ont été faites pas pour être appliquées en neuf mois mais durant tout un mandat. De bonnes lois ont été votées. Il y a certaines mesures que le gouvernement ne peut pas satisfaire tout-de-go. D’autres l’ont été toutefois. Nous avons hérité d’une situation économique catastrophique avec une dette équivalant à 90 % du Produit intérieur brut. Il fallait éviter que notre pays ne soit « downgraded » par Moody’s.
Ne nous dites pas que le gouvernement ignorait la réelle situation économique du pays en prenant le pouvoir en novembre 2024…
Il y avait des indications, certes, mais pas de cette ampleur.
Hormis 1983, jamais un gouvernement n’a peiné autant à se faire accepter. Êtes-vous allé dans la rue pour écouter la colère populaire, comme le disent les observateurs ?
Je m’incline devant ceux qui se sentent blessés par la décision de réformer la BRP. Cela n’a pas été fait de gaieté de cœur. Cette gronde momentanée envers le gouvernement n’équivaut pas à un nouveau plébiscite pour Pravind Jugnauth, mafia et consorts.
Ressentez-vous que le PM a piégé le ReA en vous offrant le poste de ministre de la Sécurité sociale, sachant qu’il venait avec la réforme de la BRP ?
Ce qui guide ReA, c’est avant tout la mise en œuvre de notre programme inscrit dans l’accord avec l’Alliance du Changement. Certains points ont été réalisés. D’autres sont en passe de l’être, comme le premier amendement de notre Constitution visant à éliminer toute catégorisation communale pour tout Mauricien désireux de se porter candidat à des élections.
Le State Law Office travaille sur ce projet. Sans oublier la Constitutional Review Commission qui arrive. ReA est au sein du gouvernement pour défendre ses idées, pas pour ses intérêts. Si notre accord avec l’Alliance du Changement n’est pas respecté, nos membres décideront de la marche à suivre.
Et sinon ?
Le pays est dans un moment de transition et ReA n’est pas naïf. Nous savons sur quoi repose notre accord et sur quoi il ne repose pas. Nous reconnaissons qu’il y a déjà des choses qui ont été faites, notamment en matière de justice sociale, avec une avancée comme la taxation de ceux percevant plus de Rs 12 millions par an.
Il y a un aspect socialiste dans ce geste et il y a l’empreinte de ReA là-dedans. Mais au fond, si notre accord venait à ne pas être respecté, ce serait normal que ReA quitte le gouvernement.
Les syndicalistes sont furieux contre vous et condamnent vos prises de position. Auriez-vous changé de camp pour un fauteuil ministériel confortable ?
Le capitalisme et la société de classes ne disparaissent pas parce que ReA est au gouvernement et l’Alliance du Changement au pouvoir. La puissance des oligarques économiques, la bourgeoisie d’État et les profiteurs de l’appareil de l’État ne disparaissent pas non plus. Les lobbies pécuniaires sont toujours à l’œuvre.
C’est pour cela que ReA s’est engagé non seulement à faire partir le MSM du pouvoir mais aussi à changer le système, à donner plus de pouvoir au peuple, à défendre les intérêts communs et à protéger l’écosystème dont dépendent les générations à venir. Avec ce 60-0, il faut un changement constitutionnel.
C’est peut-être la dernière chance offerte par le peuple à une alliance électorale qui a promis ce changement de système. Le peuple ne veut pas d’une cassure comme en 1983 ou d’autres qui ont suivi.
J’ai expliqué pourquoi ReA est au gouvernement. Quand la réforme de la BRP est survenue, j’ai demandé à la plupart des syndicalistes ce que ReA devrait faire : démissionner ? Ils m’ont tous répondu non disant qu’ils ont besoin de ReA au gouvernement comme le porte-voix des travailleurs.
Il faut aussi souligner qu’on assiste à un phénomène social et historique : la naissance d’un cinquième pouvoir. Autant l’imprimerie a dessiné la démocratie contemporaine, autant les réseaux sociaux façonnent la nouvelle société. C’est un pouvoir supplémentaire.
Les citoyens peuvent s’exprimer et c’est la démocratie participative digitale qui est en marche. Ce qui s’est passé lors de la campagne électorale de 2024 a démontré la puissance du cinquième pouvoir jusqu’à pousser le MSM à interdire les réseaux sociaux. Ce qui s’est passé récemment autour des nominations démontre également la pertinence de ce cinquième pouvoir.
Le gouvernement dont fait partie ReA est maintenant obligé de composer avec ce cinquième pouvoir. J’ai récemment décrit cela comme « une gouvernance en co-évolution » souvent « en dialectique », en interaction avec les contradictions et les contestations sociales. Le MSM l’avait supprimé alors que le gouvernement actuel compose et co-évolue avec ce cinquième pouvoir.
Parlant des nominations, des postes importants, comme celui d’ambassadeur, ont été attribués à des Seniors « extrêmes », mais aussi à une « junior », la fille d’Ehsan Juman, qui a été très critique envers ReA dans l’épisode de la NEF. Même si la jeune femme a décliné l’offre après un tollé, que lui dites-vous ?
Pour Ehsan Juman, je compatis avec sa fille. En ce qui concerne ce qu’il a dit, c’est du passé. Je le respecte et je ne suis pas rancunier.
On reproche à ReA d’avoir perdu son ADN. Est-ce dû à la gestion de l’État ou au confort de l’État ?
L’ADN de ReA est ce qui fait de nous ce que nous sommes. Nous menons une politique fondée sur des idées programmatiques. Pas un iota de notre ADN n’est parti. ReA apporte ce qu’il peut. Le Cabinet des ministres, par exemple, a décidé de rendre public le rapport sur le Land Drainage Master Plan, pour le « digital elevation model », soit les données topographiques digitales concernant les zones à risque d’inondations. Voilà un exemple de l’ADN de ReA en action au gouvernement.
Le gouvernement a tenu sa promesse concernant les subsides offerts sur cinq produits. Qu’en est-il des autres, tout aussi essentiels, comme les grains secs, les boîtes de conserve, le riz basmati et les céréales, entre autres ?
La hausse des prix assomme les consommateurs. Nous le comprenons. Le gouvernement fait tout pour éviter la dépréciation de notre roupie, pour contrôler le « profit margin » et pour subventionner certaines denrées de base. J’ai aussi discuté avec mon collègue Michael Sik Yuen de l’idée d’introduire la traçabilité des produits, du producteur à l’importateur, distributeur et revendeur, pour voir leurs marges. C’est une forme de contrôle social non étatique des prix.
En cas de remaniement ministériel, viseriez-vous un autre ministère où vous seriez plus à l’aise ?
Cette question est hypothétique car je ne vois aucun signe d’un éventuel remaniement ministériel. Ce que je peux dire, en revanche, c’est que les trois députés de ReA sont tous ministrables. C’est aussi une décision de notre parti. Savez-vous que me poster au ministère de la Sécurité sociale n’était pas la première option proposée par le PM ? Il y avait deux autres propositions.
ReA avait proposé des amendements constitutionnels sur des projets importants qui vous tiennent à cœur. Est-ce toujours d’actualité ? Que feriez-vous s’ils ne voyaient pas le jour ?
Ces amendements sont au cœur de notre accord électoral avec l’Alliance du Changement. ReA, en tant que parti écosocialiste, aspire à beaucoup plus que cet accord électoral. Nous voulons une transformation profonde de la société. Les amendements constitutionnels sur lesquels nous sommes tombés d’accord au sein de l’Alliance du Changement marquent une transition sociale et démocratique.
Ce que l’Alliance du Changement, incluant ReA, veut faire marquera Maurice pour les 50 prochaines années en matière de droits électoraux, économiques, sociaux et écologiques. Si ReA ne réussit pas, ce n’est pas seulement nous qui en pâtirons, mais nos enfants et nos petits-enfants. Ils subiront des préjudices quasi irréversibles.
ReA lance un appel aux Mauriciens pour qu’ils le soutiennent dans sa tâche. Nous affirmons aux mouvements associatifs, aux citoyens et aux syndicats que nous ne sommes ni ennemis, ni adversaires, mais alliés.
Quelles sont vos relations avec le PTr et le MMM ?
Bonnes, cordiales et respectueuses. Ce que j’ai appris, c’est qu’une fois qu’une alliance est au pouvoir, elle devient quasi inopérationnelle. Ce sont le Cabinet et le Parlement qui prennent le dessus. C’est donc l’État qui prend les commandes. Il n’y a pas eu de clash entre ReA et les partenaires de l’Alliance du Changement, même s’il y a des nuances, des différences et des divergences. Nos idées divergent parfois, mais c’est le propre d’une alliance.
Un message à ceux qui s’interrogent sur ce qu’est devenu ReA ?
Notre Papillon continuera de voler. La mission de ReA au gouvernement n’est pas superficielle. Je demande aux jeunes et aux travailleurs de continuer à s’exprimer, contre ou pour le gouvernement. Nous serons à leur écoute.

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