
- Une réforme profonde du système de recrutement public réclamée
Le recrutement de 1 765 employés par la Local Government Service Commission entre janvier et octobre 2024 soulève des questions sur la transparence et la régularité des procédures. Face aux critiques, des réformes et une refonte du système de recrutement s’imposent avec urgence.
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Le scandale des 1 765 embauches politiques qui secoue actuellement la fonction publique mauricienne n’est que la partie visible d’un iceberg de dysfonctionnements institutionnels qui gangrène depuis trop longtemps le pays. Au-delà de ces nominations controversées, c’est tout un système de recrutement opaque, clientéliste et dépassé qui exige une refonte radicale et immédiate, commentent plusieurs observateurs.
Dans un pays où les relations personnelles priment souvent sur la compétence et le mérite, les révélations récentes concernant la Local Government Service Commission (LGSC) soulignent des pratiques qui sapent non seulement la confiance du public, mais aussi l’efficacité même des institutions censées servir l’intérêt général. Comment Maurice peut-elle prétendre à la modernité économique, tout en perpétuant un système de recrutement public digne d’une autre époque ?
Entre le 1er janvier et le 3 octobre 2024, la LGSC a procédé à 1 765 recrutements, dont 599 sans dotations budgétaires adéquates, générant un coût mensuel supplémentaire estimé à Rs 10 millions. Plus troublant encore, 998 de ces embauches ont été effectuées dans le mois précédant les élections générales, entre le 3 septembre et le 3 octobre 2024, soulevant de sérieux soupçons quant à leur motivation politique.
L’ex-président de la LGSC, Bhanoodutt Beeharree, aurait pris des décisions de recrutement de manière unilatérale dans 1 731 cas sur 1 765, une pratique jugée juridiquement invalide par l’Attorney General’s Office. Cependant, le gouvernement du Changement a réagi, mais avec un retard notable - les premières mesures concrètes n’ayant été prises que le 10 décembre 2024, près de deux mois après l’identification du problème. Cette lenteur administrative a permis au flou de perdurer jusqu’à la reconstitution de la LGSC, le 28 mars 2025.
Enquête de la FCC
Entre-temps, les agissements de l’ancien président de la LGSC ont attiré l’attention des autorités compétentes, notamment la Financial Crimes Commission (FCC), qui a été alertée sur de possibles détournements de ressources publiques à des fins politiques. Le ministère des Collectivités locales a confirmé que l’ex-président de la LGSC pourrait être prochainement interrogé par la FCC, qui a la responsabilité de mener des investigations approfondies sur les irrégularités constatées.
Absence de consultation
En conférence de presse vendredi, le ministre des Collectivités locales, Ranjiv Woochit, a réaffirmé que ces recrutements étaient, selon lui, totalement illégaux, mettant en avant l’absence de consultation du Board de la LGSC dans ce processus. Il a également précisé que le gouvernement du Changement préparait un nouveau processus de recrutement, qui sera annoncé à partir de mercredi prochain. Ce processus devrait être transparent et respectueux des principes de bonne gouvernance, a-t-il insisté.
Les employés concernés, quant à eux, contestent vigoureusement la remise en cause de leurs contrats. Ils soutiennent que leur embauche, ayant eu lieu avant l’émission du writ électoral en avril 2024, reste légitime. Cette résistance s’est manifestée par des protestations dans divers conseils de district et mairies à travers le pays.
Laura Jaymangal, Executive Director de Transparency Mauritius, lance un appel fort pour une réforme en profondeur du système de recrutement public à Maurice. Selon elle, il est impératif d’avoir des critères clairs et transparents lors des recrutements au sein des institutions publiques. « Il est important de voir à la tête des institutions des personnes crédibles et non celles qui, à un moment ou un autre, ont rendu service et qui sont récompensées », déclare-t-elle.
Pour Laura Jaymangal, la pratique des nominations politiques reste un obstacle majeur à la transparence et à l’efficacité du secteur public. « La plupart de ceux qui assument des postes de responsabilité au sein des institutions sont des nommés. Il faudrait enlever le système de nomination », insiste-t-elle, soulignant que cette méthode a été abusée par de nombreux gouvernements successifs. Elle critique la tendance à privilégier des relations personnelles au détriment du mérite et de la compétence.
L’Executive Director de Transparency Mauritius insiste sur l’importance d’adopter une véritable culture de responsabilité. « Avec les réseaux sociaux, tout peut être vérifié. Si on a une volonté réelle de mettre en place un système d’accountability, l’important c’est que la société prime », ajoute-t-elle. Si l’intérêt individuel continue de dominer, prévient Laura Jaymangal, le pays risque de ne jamais évoluer dans la direction d’une gouvernance transparente et efficace.
Révision du Local Government Act
Le besoin urgent de réformes structurelles au sein des collectivités locales est devenu une priorité indiscutable. Le Local Government Act, législation régissant ces institutions, est actuellement en pleine phase de discussions. L’objectif ? Adopter des changements significatifs pour améliorer la gestion, la transparence et l’équité des services publics locaux. Les aménagements envisagés visent à instaurer un nouveau cadre législatif, plus adapté aux exigences actuelles.
Au niveau du ministère des Collectivités locales, les propositions reçues dans le cadre de cette révision sont en cours de compilation. Le dossier complet sera soumis au State Law Office pour étude et validation. Un consultant indépendant pourrait également être désigné pour accompagner la rédaction de ce projet de loi. Ce processus, qui se veut transparent et inclusif, s’articulera autour des principes de bonne gouvernance et de réorganisation des collectivités locales, apprend-on.
Les réformes ne se limiteront pas à l’adoption de nouvelles lois. Une partie essentielle du changement, apprend-on, concernera la revalorisation des différents métiers au sein des administrations publiques, en particulier les travailleurs manuels.
Reeaz Chuttoo, de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), souligne l’importance de revoir la catégorisation des postes au sein de la fonction publique. Depuis plus de dix ans, dit-il, la CTSP demande au Pay Research Bureau (PRB) de mettre en place une nouvelle structure qui reconnaît correctement le travail des General Workers et Handy Workers, des catégories longtemps ignorées. Ce manque de reconnaissance sociale et salariale, dit-il, a un impact sur la qualité du service rendu aux citoyens.
Un autre point soulevé par Reeaz Chuttoo concerne les travailleurs temporaires, souvent précaires, qui occupent des postes depuis plusieurs années sans obtenir de statut permanent. « La situation de ces employés est jugée intenable, d’autant plus que certains d’entre eux sont en fonction depuis huit ans, dans une situation qui semble inadaptée à leurs besoins et à ceux de la collectivité », déplore-t-il.
De son côté, l’avocat et constitutionnaliste Parvez Dookhy rappelle les implications juridiques des contrats de travail au sein des collectivités locales. Selon lui, les 1 765 employés recrutés sur une base journalière représentent l’équivalent de 1 765 familles, un nombre significatif d’individus affectés par des conditions de travail instables. Il souligne que, bien que certains aspects de ces contrats puissent être jugés illégaux, ils restent néanmoins opposables, d’après les engagements internationaux de Maurice auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Recrutement équitable
En conférence de presse vendredi après-midi, le ministre des Collectivités locales, Ranjiv Woochit, a annoncé que 3 000 postes seront bientôt ouverts au sein des collectivités locales, appelant les employés licenciés à postuler de nouveau. Il a précisé que le processus de recrutement inclura une période de probation de six mois avant l’établissement permanent des employés.
Le syndicaliste Radhakrishna Sadien, qui est négociateur auprès de la Free Democratic Union Federation, insiste sur la nécessité de garantir un recrutement équitable à l’échelle nationale, en évitant les déséquilibres régionaux et en assurant une représentation dans toutes les circonscriptions. Afin de renforcer la transparence, poursuit-il, les entretiens d’embauche doivent être enregistrés.
Reeaz Chuttoo, pour sa part, réclame une meilleure visibilité sur les critères de sélection, demandant à la LGSC de publier une liste détaillée des 3 000 postes à pourvoir. Il plaide également pour la mise en place d’une fast track afin que les 1 765 employés licenciés puissent être intégrés rapidement dans le programme Workfare. Il est d’avis que les employés licenciés devraient bénéficier d’un système de points afin de favoriser leur réinsertion dans le cadre de ce processus.
La situation actuelle à Maurice illustre parfaitement les défis liés à la gouvernance publique et à la transparence dans les processus de recrutement. Une réforme profonde du système s’impose pour garantir l’équité, la transparence et l’efficacité des institutions publiques mauriciennes.
Cette réforme nécessitera non seulement des changements législatifs, mais aussi un changement culturel profond, plaçant l’intérêt collectif au-dessus des intérêts particuliers pour assurer l’avenir d’une gouvernance publique véritablement transparente et efficace à Maurice.
Bien que ce système soit profondément ancré dans la culture politique mauricienne, Laura Jaymangal croit fermement qu’un changement est possible. « C’est très difficile à Maurice d’avoir quelqu’un qui n’est pas familier avec l’autre. C’est clair. Mais réformer tout un système découle d’une volonté politique », explique-t-elle. L’avenir de la fonction publique mauricienne dépendra de cette volonté de transformer des pratiques enracinées au profit d’un modèle où la compétence et la transparence primeront enfin sur les relations personnelles et les allégeances politiques.
Le rôle de la LGSC
La LGSC, créée par le Local Government Service Commission (LGSC) Act No. 37 de 1975, est responsable des recrutements, promotions, sanctions et résiliations au sein des collectivités locales. Son rôle est crucial pour maintenir le fonctionnement harmonieux des mairies et conseils de district. L’organisme est indépendant et ses dépenses sont prises en charge par le Consolidated Fund.Les membres du Board de la LGSC, récemment reconstitué, sont le Dr Sahid Maudarbocus (président) et les assessuers Soobir Sen Sewnath, Vijaye Haulder, Woomadevi Cootthen Iyempermal et Umeshlal Basant Rai.
Paul Bérenger insiste sur l’illégalité des recrutements
« Nous n’avons pas de marge de manœuvre… » a déclaré Paul Bérenger à la presse, le samedi 17 mai, à l’issue d’une visite à Jin Fei. Il réagissait à la vague de licenciements intervenue, le vendredi 16 mai, dans les conseils de district et les municipalités à travers le pays.
Au total, environ 1 765 travailleurs ont été remerciés. Selon le Premier ministre adjoint, ces personnes avaient été embauchées « de manière illégale » sous le précédent gouvernement. « Li ilegal ‘all over the way’ ! » a-t-il martelé, dénonçant une situation qu’il juge « irrégulière » tant dans la forme que dans le fond.
Revenant sur ce dossier sensible, Paul Bérenger a affirmé que plusieurs candidats plus compétents et méritants n’avaient pas eu leur chance à l’époque. Ces recrutements irréguliers sont, selon lui, « à la fois injustes et en dehors du cadre légal ».
Interrogé sur la possibilité de créer 3 000 nouveaux postes dans les collectivités locales, il a précisé que tout dépendra du budget national : « Je ne suis pas responsable du Budget. Tout dépendra de la décision du ministère des Finances à cet effet. »
Pourquoi ces recrutements sont jugés illégaux
Timing suspect
998 recrutements (56,5 %) ont eu lieu juste avant les élections (3 sept. – 3 oct. 2024)
Soupçon de clientélisme électoral
Décisions unilatérales :
1 731 recrutements ont été faits par le seul président de la LGSC
Sans validation du comité, en violation de la loi
Aucun budget prévu
599 postes n’avaient aucune dotation budgétaire
Coût : Rs 10 millions de plus par mois pour l’État
Illégalité confirmée
Le State Law Office et l’Attorney General déclarent ces embauches nulles juridiquement.

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