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Sateeaved Seebaluck, ancien chef de la Fonction publique : «C’est un fait que les ministres ont aujourd’hui droit à trop de pouvoir»

Sateeaved Seebaluck

Sateeaved Seebaluck, ancien chef de la Fonction publique, commente sans langue de bois le rapport du Pay Research Bureau (PRB), la productivité dans la fonction publique et les relations entre ministre et fonctionnaire, entre autres. 

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« Do more with less » et « Innovate or Evaporate » sont deux slogans utilisés par le Pay Research Bureau pour décrire les nouveaux enjeux de la fonction publique. Est-ce réalisable ?
Il n’y a rien de nouveau. Je me souviens qu’en 2010, le ministre de la Fonction publique d’alors avait lancé ce slogan lorsqu’on parlait de la réforme du secteur avec l’émergence de la technologie. Le slogan « Do more with less » ne veut en aucun cas ajouter une charge de travail mais tout simplement assurer que le travail soit fait avec plus d’efficacité. Si un fonctionnaire apprend à bien  s’organiser tout en s’appuyant sur les nouvelles technologies, il aura un meilleur résultat et peut en même temps mieux gérer son temps. 

Concernant le slogan « Innovate or evaporate », là aussi, il n’y a rien de nouveau. Dans le passé, un ministre avait lancé le slogan « Adapt or perish ». C’est la même chose. Depuis le temps, la Fonction publique innove à sa manière et étant donné qu’elle reste bien présente dans notre système, cela démontre qu’elle ne s’est pas évaporée.

Mais le concept « Do more with less » n’est-il pas un paradoxe pour certains départements et surtout de nombreux corps paraétatiques qui sont en sureffectifs ?
Cette théorie entourant l’‘overstaffing’ est une fausse perception de la part du public et de ceux qui ne sont pas dans le service. Cependant, un problème de déploiement de personnel existe car dans bien de cas, il peut y avoir plus de personnel dans un département alors qu’un autre peut en manquer. Il faut également souligner que le système de Welfare State existe à Maurice, ce qui fait que plusieurs services offerts par l’État sont gratuits et pour pouvoir soutenir cela, le gouvernement a besoin d’employer beaucoup de personnes.

Il faut aussi savoir qu’il est très compliqué voire impossible de mesurer la performance d’un fonctionnaire.»

« Performance-driven remuneration has been the most predominant individual factor that Government wants to encourage and reinforce », écrit le PRB. Est-ce pour palier la carence dans la productivité dans la Fonction publique ?
Toute institution, qu’elle soit publique ou privée, souhaite que ses employés donne le meilleur d’elle-même. Dans le privé, lorsqu’un employé a fait un travail additionnel, il a normalement droit à un bonus. Le concept de ‘Performance Driven Remunation’ que le gouvernement veut mettre en place a pour objectif de motiver les fonctionnaires à faire plus d’efforts. Mais il faut aussi savoir qu’il est très compliqué voire impossible de mesurer la performance d’un fonctionnaire. Il ne faut pas non plus oublier que le gouvernement a, depuis 2013, introduit le ‘Performance Management System’ qui permet d’identifier les failles et les corrections qu’il faut apporter. Mais là encore il y a un long chemin à parcourir pour que ce processus puisse bien fonctionner.
Compliqué voire impossible… dites-vous ?

Contrairement au secteur privé, il y a peu de services offerts dans la Fonction publique qui peuvent être quantifiés. Un fonctionnaire peut par exemple arriver sur son lieu de travail et être appelé à passer la plus grande partie de sa journée dans une réunion. Cette réunion aidera à débloquer certaines choses à travers des prises de décision et aident à avoir plus d’efficacité. Mais comment va-t-on quantifier cela ? Va-t-on affirmer qu’un fonctionnaire qui a participé à une série de réunions est inefficace ?

La publication du PRB s’inscrit dans le contexte de la pandémie de Covid-19 qui pourrait continuer à affecter le monde pour encore de nombreuses années. Le rapport du PRB tient-il suffisammen compte de ce contexte de ‘new normal’ pour permettre une continuité dans la Fonction publique ?
Je dois dire que le rapport du PRB a bien reconnu les efforts des fonctionnaires et des frontliners pendant ce temps de pandémie. Il faut admettre que la Fonction publique a su innover pour aider à combattre la pandémie de Covid-19. Le rapport a par ailleurs reconnu qu’il faut aussi s’engager dans une réflexion afin de mieux permettre à la Fonction publique de se préparer à d’autres catastrophes. Le rapport a laissé le soin au gouvernement de mettre en place un système pour faire plus preuve d’anticipation. Je note cependant que le rapport n’a pas assez fait pour reconnaître et valoriser le travail des frontliners. Je ne dis pas qu’il fallait proposer des rémunérations plus importantes mais des efforts auraient dû être faits afin de revaloriser les frontliners.

Les fonctionnaires ont droit à plus de sécurité d’emploi comparé aux employés du secteur privé.»

Avec la garantie d’emploi et de salaires, la pandémie impacte bien moins les fonctionnaires que les salariés du secteur privé….
C’est un fait. Les fonctionnaires ont droit à plus de sécurité d’emploi comparé aux employés du secteur privé. Mais, en même temps, il ne faut pas non plus minimiser les efforts du gouvernement pour soutenir le secteur privé afin de préserver l’emploi. Le Wage Assistance Scheme en est un exemple.

Pour avoir exercé pendant de nombreuses années dans la Fonction publique et en avoir été le chef, êtes-vous d’avis qu’il faut réinventer ce service ? 
Je suis de ceux qui partagent l’avis que la Fonction publique doit continuer à évoluer. Nous avons eu l’expérience de la Covid-19 où la Fonction publique a su s’adapter. Prenez l’exemple de la reconversion de l’hôpital ENT en un hôpital dédié au traitement contre la pandémie. Il y a aussi eu ces milliers d’infirmiers qui n’ont pas hésité à enchainer des heures de travail pour combattre la Covid-19. Ce sont des signes qui démontrent la capacité de la Fonction publique à s’innover et s’adapter. Mais davantage d’efforts devront être faits pour permettre aux fonctionnaires de développer des qualités d’anticipation. 

Il est souvent question d’ingérences politiques dans la Fonction publique. Est-ce que les lois qui régissent ce service sont-elles suffisamment étoffées pour permettre à un fonctionnaire de résister à toutes formes d’ingérence ?
Des lignes de démarcation existent entre un ministre et un fonctionnaire mais cela reste malheureusement une ligne très franchissable. On voit par exemple que dans plus en plus de lois, toutes les décisions doivent être approuvées par un ministre. Cette pratique n’existait pas dans le passé car il était établi que les lois doivent être décidées par les politiciens mais elles doivent en revanche être administrées par les fonctionnaires. Mais c’est un fait que les ministres ont aujourd’hui droit à trop de pouvoir. 

Les gouvernements passent et personne n’ose proposer le Public Service Bill qui définira la ligne de démarcation entre les ministres et les fonctionnaires. Est-ce que cela vous interpelle ?
Au temps où j’étais en exercice, je m’étais lancé un défi de donner suite au travail que mes anciens collègues avaient entrepris autour du Public Service Bill. Lorsque je suis devenu chef de la Fonction publique, j’ai beaucoup travaillé sur le projet avec le State Law Office (SLO). J’ai aussi appris que ce projet de loi était à l’étude par un comité ministériel. Ce texte de loi contient plusieurs protocoles, des guidelines qui définissent clairement le rôle des ministres et fonctionnaires. C’est peut-être la raison qui explique le retard à sa mise en œuvre mais je sais que ce sont des points sur lesquels beaucoup de fonctionnaires se battent depuis des années. Cela m’intrigue qu’on n’ait pas encore finalisé le Public Service Bill. 

La mainmise politique sur la Fonction publique s’est intensifiée avec la décision que le Premier ministre doit avoir le dernier mot sur la promotion des hauts fonctionnaires. Ne faudrait-il pas mettre fin à cette pratique en laissant la décision à un corps indépendant comme c’est le cas dans le judiciaire ?
Cette pratique existe dans plusieurs pays, surtout ceux appartenant au Commonwealth, où c’est le Premier ministre qui a le dernier mot sur la nomination de hauts fonctionnaires. Je comprends cela car il est important que le Premier ministre puisse faire confiance aux hauts fonctionnaires pour développer une bonne relation de travail. Toutefois, pour diminuer cette perception de mainmise, la Public Services Commission (PSC), pourrait établir une sélection d’une liste de fonctionnaires, avant de la transmettre au Premier ministre qui ensuite fera choix. 

 

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