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Richard Li, actuaire : «Une réforme durable devra répartir l’effort sur trois générations»

Face à une réforme controversée repoussant l’âge d’éligibilité à la pension universelle à 65 ans, l’actuaire Richard Li analyse les fondements économiques de cette décision. Entre nécessité budgétaire, solidarité intergénérationnelle et tensions sociales, il plaide pour un système plus équilibré, tout en soulignant les lacunes en matière de communication publique.

La pension universelle sera désormais accessible à partir de 65 ans au lieu de 60. En tant qu’actuaire, estimez-vous que cette réforme était économiquement indispensable pour la soutenabilité du système ?
Oui, de nombreux actuaires ont exprimé leur préoccupation quant à la viabilité à long terme du système actuel de pension. Les dépenses liées au Basic Retirement Pension (BRP) dépassent actuellement les Rs 60 milliards par an. Ce montant est supérieur à ce que le pays consacre à l’éducation et à la santé combinées. Si rien n’est fait, il est inévitable que nous atteignions un point où l’État ne pourra plus financer les pensions des bénéficiaires actuels et futurs. Cette réalité impose une réflexion sur des ajustements nécessaires, comme celui de repousser l’âge d’éligibilité.

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L’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy avance que l’ancien modèle coûtait Rs 5 millions par jour. Ce montant justifie-t-il selon vous une réforme aussi radicale du régime de retraite ?
Il serait utile de connaître précisément les sources des chiffres avancés. Sans vouloir entrer dans un débat politique, il est important que la discussion s’appuie sur des données officielles disponibles dans les documents budgétaires, passés comme actuels. Cela permettrait une analyse objective et fondée sur des faits. 

L’Income Support de Rs 10 000 par mois proposé comme mesure transitoire semble ciblé mais partiel. Selon les chiffres soumis au Parlement, près de 43 000 personnes âgées ne bénéficieront d’aucune aide. Cette aide permet-elle réellement de couvrir les besoins fondamentaux d’une personne âgée entre 60 et 65 ans ?
Il est vrai que l’inflation a fortement augmenté ces dernières années, en partie à cause de facteurs extérieurs, mais aussi à cause de certaines politiques fiscales mises en place auparavant. Même si je ne suis pas économiste, il est clair que le coût de la vie a considérablement augmenté pour de nombreux foyers. Il est donc essentiel de penser à ceux qui se retrouvent sans ressources suffisantes. Je ne suis pas en mesure de répondre si un montant de Rs 10 000 est aujourd’hui suffisant pour subvenir aux besoins fondamentaux. Cependant, il est probable que cette somme oblige plusieurs personnes à revoir leurs habitudes de consommation et à adopter un mode de vie plus centré sur les besoins essentiels. Il faut aussi souligner que le BRP à Rs 15 000 représentait un effort budgétaire important. À l’échelle internationale, Maurice se situe parmi les pays où le ratio entre pension non contributive et salaire minimum est le plus élevé. Cela pose la question de la soutenabilité du système.

Pensez-vous que le coût total de Rs 8,7 milliards pour l’Income Support sur 5 ans est une solution économiquement viable à long terme, ou simplement une mesure temporaire de compromis ?
En comparant ce coût à ce qu’aurait représenté le maintien du BRP pour tous les nouveaux retraités à partir de 60 ans, on voit une nette différence. Si l’on estime à environ Rs 2 milliards supplémentaires par an le coût de l’Income Support, cela reste bien en dessous de ce que le gouvernement aurait dû dépenser sans réforme. Il faut rappeler que cette révision du système s’appuie sur des recommandations actuarielles. Pour retrouver l’équilibre financier, il est généralement admis qu’une combinaison de trois mesures est nécessaire : relever l’âge de départ à la retraite, ajuster le montant du BRP et cibler les bénéficiaires. Ce sont des leviers que plusieurs pays explorent.

La réforme semble faire une distinction nette entre les retraités avec pensions privées et ceux sans revenus fixes. Est-ce un pas vers un système contributif plus juste, ou une forme de discrimination sociale ?
Plusieurs termes comme discrimination, inégalité ou encore justice sont utilisés. Si on dit qu’une personne bénéficiera comme pension ce qu’elle a contribué, est-ce une justice ou discrimination ? Si la cotisation pour la pension se fait via un taux dédié du salaire et que tous les pensionnés perçoivent le même montant, est-ce discriminatoire ? Je ne veux pas entrer dans ce débat de discrimination. Cependant, il conviendrait de voir la pratique dans d’autres pays. Ce qui semble faire du sens, c’est qu’une personne qui travaille plus, qui cotise plus, devrait toucher plus en termes de pension. Toutefois, nous comprenons la question de disparité, et qu’au niveau social, cette personne sera appelée à contribuer pour faire la part de choses, à des fins de redistribution. La voie à suivre est de ne pas avoir une pension non contributive, mais un système où les gens vont toucher ce qu’ils ont épargné.    

Avec une population vieillissante et une espérance de vie en hausse, quels mécanismes actuariels pourraient être mis en place pour assurer un équilibre durable entre contributions et prestations dans les décennies à venir ?
Nous faisons face à une situation délicate où certains individus contribuent aujourd’hui à deux niveaux : ils financent les pensions des générations précédentes tout en étant incités à épargner pour leur propre retraite. Cela crée une pression croissante. Une réforme durable devra répartir l’effort sur trois générations : celle qui bénéficie actuellement de la pension, celle qui travaille aujourd’hui, et celle qui entrera bientôt sur le marché du travail. Pour équilibrer le système, il faut envisager une combinaison d’actions comme la réduction progressive du montant du BRP, le recul de l’âge d’éligibilité et la promotion de l’épargne individuelle. Il n’existe pas de solution unique ou universelle, mais un ensemble de mécanismes qui devront s’adapter aux évolutions démographiques et économiques.

Il y a eu des manifestations et une grève suivant la réforme de la pension. La plateforme citoyenne Pa Touss Nou Pension accuse le gouvernement de rompre le contrat social. Pensez-vous que cette réforme aurait pu être mieux acceptée si elle avait été accompagnée d’une stratégie de communication et de consultation citoyenne plus transparente ?
Il est probable que la réforme aurait été perçue différemment si elle avait été introduite dans un autre cadre que celui du budget. Une approche fondée sur des consultations avec des experts et les parties prenantes, en amont, aurait permis de mieux expliquer la nécessité de ces changements. Il est clair que la population n’a pas eu suffisamment de temps pour s’adapter à l’idée de ce bouleversement. La planification d’une telle réforme aurait nécessité une communication plus ouverte et plus anticipée. Même si les réformes peuvent susciter l’opposition, il est important de maintenir un dialogue constant et de mettre en avant les raisons qui les justifient, afin de préserver un minimum de consensus social.

 

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