Croissance, vaccin ou encore réouverture des frontières figurent parmi les sujets abordés par Reza Uteem dans cet entretien accordé au Défi Quotidien. Le président du MMM évoque également le mutisme du gouvernement quant au dernier rapport du Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG) sur Maurice.
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Les dernières prévisions de croissance pour Maurice publiées par la Banque Centrale, MCB Focus et Moody’s tablent sur une progression oscillant entre 6 % et 8 % pour cette année. Est-ce un taux raisonnable dans la conjoncture ?
La MCB prévoit une progression de 6,2 % pour 2021 alors que la Banque de Maurice table sur un taux de croissance de 7,9 %. on est loin de celui du taux de 10 % prévu par le ministre des Finances. Cependant, si l’on tient compte du fait que l’économie se soit contractée de 15,2 % selon les dernières estimations de Statistics Mauritius, en vérité notre produit intérieur brut (PIB) en 2021 sera bien moins qu’en 2018 et 2019. Donc, il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Le pire, c’est que le gouvernement n’a annoncé aucune mesure concrète pour relancer l’économie. Il se contente de « dilapider » les réserves de la Banque centrale.
Plusieurs analystes sont d’avis que la croissance, voire la reprise de l’économie locale, dépendra en grande partie du programme vaccinal. Selon vous, est-ce que le programme en cours se fait de la meilleure des façons ou faut-il procéder de manière différente ?
Selon la Banque Mondiale, la reprise économique mondiale dépendra de l’efficacité du vaccin. Je tiens à remercier le gouvernement indien pour le don des vaccins à Maurice. Certains experts expliquent qu’il nous faut vacciner 80 % de la population, or le gouvernement prévoit d’en vacciner seulement 60 %. Nous n’avons clairement pas à l’heure actuelle le nombre de vaccins nécessaires pour toute la population. À ce rythme, cela prendra des mois avant que la majorité de la population soit vaccinée. Il y a également la question autour des variantes. Est-ce que les vaccins actuellement disponibles sont efficaces sur ces variantes ?
Le vaccin devrait ainsi être un facteur clé dans la capacité de Maurice à attirer de nouveau les touristes. La réouverture des frontières devra également suivre. Comment trouver le juste milieu entre la réouverture des frontières et la protection de la population ?
La sécurité de la population est prioritaire. Toutefois, Maurice est une île. Ainsi, le plus tôt nous rouvrirons nos frontières le mieux ce sera pour notre économie. Nous avons besoin de devises étrangères, le pays a besoin de touristes et les Mauriciens doivent également pouvoir voyager. Maurice doit s’inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays.
Le tourisme est justement l’une des principales sources de devises étrangères pour Maurice. Quelle est votre évaluation de la situation au niveau des devises étrangères dans le pays ?
Le niveau des réserves en devises étrangères n’est heureusement pas à un niveau critique. L’état actuel de nos réserves découle d’une baisse de nos importations et de nos activités économiques. Cependant, la situation va se détériorer davantage si nous tardons à rouvrir nos frontières et aussi à sortir de la liste noire de l’Union européenne.
Le secteur financier génère également de la monnaie étrangère. Or, ESAAMLG a pointé du doigt une recommandation sur laquelle Maurice a été rétrogradé. Quel impact cela peut-il avoir sur le secteur ?
Franchement je trouve cela inacceptable. À un moment où le gouvernement se targue de tout mettre en œuvre pour que Maurice sorte de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) et de la liste noire de l’Union européenne, ESAAMLG vient dire que Maurice n’a pas identifié et évalué les risques associés aux actifs virtuels et aux opérateurs de ce secteur d’activité. Et cela en dépit du fait que le GAFI a tiré la sonnette d’alarme depuis juin 2019. Quand je pense que le rapport du Regulatory Committee on Fintech and Innovation-driven Financial Services présidé par Lord Desai dort toujours dans un tiroir ! Le gouvernement n’a pas prononcé un mot sur ce rapport d’ESAAMLAG datant de décembre dernier. C’est de « l’incompétence criminelle ».
La Banque de Maurice a maintenu, lors du dernier Monetary Policy Committee (MPC), le taux directeur à 1,85 % et table parallèlement sur un taux d’inflation de 3 % pour cette année. Vos commentaires ?
Il y a consensus pour maintenir le taux directeur à ce niveau en prenant en considération la nécessité d’encourager l’investissement tout en contrôlant le taux d’inflation.
Les revenus de l’État ont chuté de 20 % selon le ministre des Finances. Certains économistes craignent que l’endettement des devises étrangères augmente. Quel regard jetez-vous sur la stratégie financière du pays ?
C’est clair que la stratégie du gouvernement est de s’endetter au lieu d’instaurer une discipline fiscale et de réduire les gaspillages. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a modifié la loi pour disposer davantage de seuils au montant qu’il pourra emprunter. Le pire est que la majeure partie des montants empruntés par l’État n’est pas investie dans des secteurs productifs ou des capital projects. Toute dette publique représente un impôt futur. Ce gouvernement est en train « d’hypothéquer la génération future ».
Hormis la Covid-19, Maurice a fait face à plusieurs événements récemment comme le naufrage du Wakashio et l’affaire Saint-Louis, entre autres, où les questions de bonne gouvernance et de transparence ont été remises en question. Quelle incidence ces événements peuvent-ils avoir sur l’image du pays de même que sur l’économie locale ?
La mauvaise gestion par le gouvernement du naufrage du Wakashio et de la marée noire a été sévèrement critiquée dans le monde entier. Quant à l’affaire Saint Louis et les autres scandales politico-financiers qui secouent ce gouvernement, il faut comme d’habitude s’attendre à un « cover-up » de la part des autorités. Et c’est bien pour cette raison qu’aujourd’hui Maurice se retrouve sur la liste noire de l’Union européenne.
Comment réagissez-vous face à la situation politique actuelle tenant en compte la récente démission de Nando Bodha qui s’occupait d’un ministère important économiquement parlant?
Je salue Nando Bodha pour avoir eu le courage et la décence de ne plus soutenir un régime tant incompétent que corrompu. Il vient confirmer aujourd’hui qu’un petit groupe de personnes non élues qui gravite autour du Premier ministre contrôle le pays et la politique gouvernementale. Des contrats juteux sont alloués dans l’opacité la plus totale au profit des proches et des agents du pouvoir, qui en retour, financent le parti comme cela a été dévoilé lors des auditions des témoins dans l’enquête judiciaire sur le décès de M. Kistnen. La démission de Nando Bodha symbolise le ras-le-bol généralisé de la population envers ce gouvernement et c’est un bon présage pour l’avenir.
Par : Fabrice Larétif
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