La production de sucre pour 2025 a été revue à la baisse, atteignant 215 000 tonnes, un record négatif. Quinze ans de déclin, des champs abandonnés, des usines sous tension : l’industrie sucrière mauricienne doit se réinventer pour survivre.
Mi-novembre, la Chambre d’agriculture a révisé à la baisse les prévisions pour la coupe 2025. Le constat est sans appel : l’industrie sucrière mauricienne, activité agricole historique du pays, glisse vers des fonds inconnus. Si l’unanimité se fait sur la nécessité de préserver ce secteur, les défis pour le relancer sont considérables.
L’industrie sucrière mauricienne s’est progressivement transformée. D’une production de sucre roux destinée aux raffineries britanniques, elle s’est réorientée vers des produits à valeur ajoutée, notamment les sucres spéciaux. La bagasse, sous-produit de la canne, constitue une source d’énergie renouvelable non négligeable, et les centrales thermiques des usines sucrières assurent une fourniture d’électricité quasi-ininterrompue dans le pays. Mais cette mutation n’empêche pas les chiffres de démontrer que le secteur cannier semble inexorablement décliner.
Dans la ligne droite finale de la campagne sucrière 2025, les derniers chiffres signent une fin de course à bout de souffle. La production a été révisée de 220 000 tonnes initialement prévues à 215 000 tonnes, soit une baisse de 4,9 % par rapport à 2024. Un nouveau record à la baisse qui s’inscrit dans une tendance lourde : en quinze ans, la production sucrière a chuté de 50 %. De 452 473 tonnes en 2010, elle est passée à 225 347 tonnes en 2024. Entre 2019, année pré-pandémique, et 2021, année de reprise, le tonnage a chuté de 23 %. Ce recul s’est poursuivi, au gré des conditions et du changement climatique.
Le 10 novembre, le Crop Estimate Coordinating Committee a analysé l’évolution de la campagne. Son constat révèle les difficultés dans lesquelles l’industrie opère : des travaux de maintenance sur le réseau de distribution de l’eau dans le Nord, couplés à des pannes importantes aux centrales thermiques de Terra et d’Omnicane, ont significativement impacté la roulaison de ces usines sucrières. Tous s’attellent désormais à ce que la campagne soit bouclée d’ici la fin de l’année dans les meilleures conditions possibles, même si des facteurs externes peuvent encore jouer les trouble-fêtes : conditions météorologiques, bon déroulement des activités des centrales thermiques et logistique.
Problèmes structurels
Derrière ces difficultés conjoncturelles, des problèmes structurels s’accumulent. La superficie sous culture de canne a reculé de quelque 10 000 hectares entre 2019 et 2024, une baisse attribuée à l’abandon des terres par les petits et moyens planteurs. Ces derniers se battent contre l’indisponibilité et la cherté de la main-d’œuvre, l’absence de relève et un manque d’eau, surtout pour irriguer les plaines du Nord. La mécanisation des terres et l’adoption de meilleures pratiques culturales ont certes permis de stabiliser, d’une certaine façon, le rendement à l’hectare et, par ricochet, le tonnage de sucre par hectare, mais cela ne suffit pas à enrayer la chute.
Les chiffres de la Chambre d’agriculture arrêtés à la semaine du 19 novembre illustrent également une concentration croissante de la production. Les trois usines que sont Terra, Omnicane et Alteo – Union Flacq ont broyé quelque 1,7 million de tonnes de canne pour une production de 161 384 tonnes de sucre. De cette production, les propriétés se taillent la part du lion : 125 804 tonnes, soit 78 % du total, la différence allant aux petits et moyens planteurs.
Face à cette situation, le ministre de l’Agro-industrie Arvind Boolell, qui connaît le secteur depuis les années 1990, estime qu’une réingénierie est essentielle. Dans un entretien en début de mandat, il a indiqué : « Nous révisons l’ensemble des mesures d’incitation pour soutenir les planteurs de sucre et faire du sucre une véritable industrie. Il est essentiel de stimuler la production. Un prix plus rémunérateur est envisagé, avec une valorisation accrue du sucre et de ses sous-produits. »
En attendant ces réformes, le message aux planteurs reste des plus précis : il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance d’envoyer une canne propre et de bonne qualité à l’usine, car cela garantit un meilleur rendement en sucre, réduit les pertes lors de l’extraction et améliore la performance des équipements industriels. Chaque planteur est appelé à veiller à la coupe, au transport et à la livraison rapide de cannes conformes aux normes de qualité requises. Une exigence de court terme face à un défi qui, lui, s’inscrit dans la durée.
Exportations
Cristalco reconduit son partenariat avec Maurice
Par l’intermédiaire de sa filiale commerciale Cristalco, le groupe sucrier français Cristal Union a renouvelé son partenariat avec le Mauritius Sugar Syndicate pour trois années supplémentaires. L’accord a été signé à l’occasion de la visite du président Emmanuel Macron.
Classé parmi les cinq principaux producteurs de sucre en Europe, avec une production annuelle de deux millions de tonnes, le groupe devrait acheter cette année entre 40 000 et 45 000 tonnes de sucres mauriciens, blancs raffinés et spéciaux. Ces volumes, représentant près de 20 % de la production nationale, illustrent l’importance stratégique de ce client pour le pays et confirment l’attractivité des sucres mauriciens sur le marché européen, principal débouché de l’île. Dans le passé, Cristal Union avait même acheté jusqu’à 80 000 tonnes.
Le nouveau contrat offre également une certaine flexibilité : si le marché européen se montre moins porteur, comme c’est le cas actuellement, les sucres mauriciens pourront être vendus en dehors de cet accord.
Dans un communiqué daté du 20 novembre, Cristalco indique qu’elle commercialisera « en exclusivité » le sucre de canne blanc et les sucres spéciaux durables de Maurice, ciblant notamment la France, l’Espagne et l’Italie.
« Les sucres mauriciens disposent de nombreux atouts, notamment leur qualité exceptionnelle et leur durabilité. Leur large gamme de sucres spéciaux permet de compléter notre offre pour nos clients et nos marques », souligne Pierre-Henri Dietz, directeur général de Cristalco.
Les années de baisse…
| De 2019 à 2024, la superficie sous culture de canne a reculé de quelque 10 000 hectares. | ||||
|---|---|---|---|---|
| Année | Superficie* | Rendement** | Taux d’extraction | Rendement*** |
| 2019 | 45,054 | 75,58 | 9,73 % | 7,35 |
| 2020 | 43,711 | 59,96 | 10,34 % | 6,20 |
| 2021 | 41,897 | 63,72 | 9,59 % | 6,11 |
| 2022 | 39,199 | 57,57 | 10,32 % | 5,94 |
| 2023 | 35,863 | 68,39 | 9,74 % | 6,66 |
| 2024 | 34,759 | 63,17 | 10,28 % | 6,49 |
| (Source : Chambre d’Agriculture de Maurice) | ||||
| * hectare. ** moyenne de tonnes de canne à l’hectare. *** moyenne de tonnes de sucre à l’hectare | ||||
La production par propriété
Les trois usines que sont Terra, Omnicane et Alteo – Union Flacq ont broyé quelque 1,7 million de tonnes de canne pour une production de 161,384 tonnes de sucre au 19 novembre 2025.
| Propriété | Sucres (tonnes) |
|---|---|
| Nord | |
| Terra Mauricia | 20 040 |
| Alteo – Mon Loisir | 7 591 |
| Domaine de Labourdonnais | 13 918 |
| Saint Antoine | 1 306 |
| Sud | |
| Bel Air Agricultural | 1 279 |
| Britannia | 3 824 |
| Mon Trésor | 7 562 |
| Beau Vallon | 8 221 |
| Rose Belle | 554 |
| ER Agri | 9 097 |
| Union | 3 804 |
| Senneville | 1 186 |
| Saint Aubin | 960 |
| Est | |
| Alteo – Beau Champ | 18 858 |
| Constance | 5 972 |
| Alteo – Union Flacq | 14 329 |
| Ouest | |
| Medine | 14 823 |
| Centre | |
| ER Agri | 5 065 |
| Total | 125 804 tonnes |
Déclin de la production en 15 ans
En 15 ans, la production sucrière a chuté de 50 %. Entre l’année pré-pandémique de 2019 et l’année de reprise qu’a été 2021, le tonnage a chuté de 23 %.
| Année | Production (tonnes) |
|---|---|
| 2010 | 452 473 |
| 2011 | 435 310 |
| 2012 | 409 200 |
| 2013 | 404 713 |
| 2014 | 400 173 |
| 2015 | 366 070 |
| 2016 | 386 277 |
| 2017 | 355 213 |
| 2018 | 323 406 |
| 2019 | 331 105 |
| 2020 | 270 875 |
| 2021 | 255 818 |
| 2022 | 232 707 |
| 2023 | 238 854 |
| 2024 | 225 347 |
| 2025 | 215 000 |
| (Source : Chambre d’Agriculture) | |
Questions à…Devesh Dukhira, Chief Executive Officer du Mauritius Sugar Syndicate : «On ne peut imaginer Maurice sans la canne à sucre»
Dans cet entretien, le CEO du Syndicat des sucres – unique entité habilitée à écouler les sucres mauriciens dans le monde – explique pourquoi le pays ne peut se passer du secteur cannier, activité historique et riches en devises.
Maurice peut-il se passer de l’industrie sucrière au vu de sa contribution moindre, en déclin ?
L’industrie cannière compte pour 2 % du Produit intérieur brut. En sus des sucres produits et exportés, le secteur est la principale source d’énergie renouvelable, qui est la bagasse. Autre sous-produit, la mélasse est distillée pour donner de l’alcool industriel et le rhum. Donc, si on décide de se passer de la canne, le pays perdra une source importante de revenus en devises, et tous les composants, dont la bagasse et la mélasse, disparaîtront du jour au lendemain.
Au-delà de ces activités commerciales directes, de multiples activités gravitent autour de l’industrie cannière, notamment la fourniture et réparation d’équipements, le convoyage de cannes des champs vers les usines, et le transport de sucres vers le port.
Les mouvements de conteneurs associés à l’exportation de sucres représentent quelque 30 % du trafic. Stopper les exportations signifie une hausse du coût des importations par conteneurs parce que les lignes maritimes achemineront des marchandises vers Maurice et emporteront encore moins de produits « Made in Mauritius ».
Cela dit, le secteur peut bien représenter 2 % du PIB. Et l’effet multiplicateur pour l’économie et le pays est substantiel. Les terres à l’abandon peuvent devenir des dépotoirs à ciel ouvert. Déjà, nous le constatons à travers le pays. Qu’adviendra-t-il de ces 35 000 hectares sur lesquels nous cultivons la canne aujourd’hui ? Allons-nous bétonner toute cette superficie ? De plus, la canne a un rôle important dans l’environnement national.
On ne peut imaginer Maurice sans la canne à sucre.
Vous conviendrez que l’activité principale, soit la production de sucres, est en baisse. D’une estimation initiale de 220 000 tonnes en mai, la Chambre d’agriculture de Maurice affirme que la production devrait être autour de 215 000 tonnes – un nouveau record à la baisse…
Les effets climatiques ont une incidence négative sur la culture de la canne. En 2024, le manque d’eau et la sécheresse ont impacté la croissance de la canne. Pendant la période de maturation, où un niveau d’ensoleillement est nécessaire, nous avons eu de la pluie.
Pour finir, le taux d’extraction – représentant la part de sucre obtenue du volume de cannes broyées – a reculé de 1 %. Sur deux millions de tonnes de canne, une baisse de 1 % dans ledit taux d’extraction résulte en un manque d’environ 20 000 tonnes de sucres.
Qu’en est-il des engagements de Maurice envers les acheteurs ? Ne donne-t-on pas l’impression d’être un fournisseur erratique ?
Non. Les acheteurs sont au courant des défis auxquels nous faisons face. Au sein du Syndicat des sucres, l’essentiel est de suivre l’évolution de la production afin de déterminer la quantité à mettre sur le marché, plutôt que de céder à la tentation de la survente et risquer de ne pas honorer nos engagements. Nous prenons toutes les précautions nécessaires.
N’empêche que la baisse de la production est source d’inquiétude. Elle a une incidence sur notre compétitivité au niveau mondial parce que nous sommes appelés à amortir des coûts fixes sur une quantité moindre. Le marché du sucre est dynamique et nous devons être agiles d’une année à l’autre. Or, avec moins de sucre – sans une masse critique – cette flexibilité et cette agilité sont limitées.
Vous faites état d’une masse critique. De quel tonnage de sucres s’agit-il ?
Soyons réalistes. Le pays ne pourra plus produire 500 000 tonnes de sucres. C’est du passé. Le gouvernement s’est fixé un objectif de 300 000 tonnes de sucres à terme, soit une amélioration de 40 % comparée à la production de cette année-ci. Je suis d’avis qu’une production dans la fourchette de 250 000 tonnes à 300 000 tonnes nous permettrait de tenir nos engagements à l’international et de maintenir notre compétitivité.
Est-ce que le pays dispose de la capacité requise pour une telle production ?
Oui. Le pays compte 10 000 hectares de terres à l’abandon. Avec une moyenne de huit tonnes de sucres à l’hectare, on atteindrait les 300 000 tonnes, l’objectif que s’est fixé le gouvernement. Il faudra œuvrer pour récupérer ces terres, les ramener dans le secteur.
Au lieu d’offrir au petit et moyen planteur des mesures incitatives pour relancer la culture de la canne, ne serait-il pas plus approprié et moins compliqué que la gestion de ces terres soit remise à une entité unique ?
Sur papier, cette approche semble appropriée. Dans le concret, ces terres appartiennent à des centaines ou, peut-être, des milliers de petits planteurs. D’ailleurs, c’est pour cette raison que le gouvernement a suggéré la création d’une Land Bank, assortie d’une carte des terres fertiles à travers le pays, qui a déjà été complétée.
Quelle est la valeur, l’attrait des sucres mauriciens dans le monde ?
Maurice exporte des sucres vers 65 pays. Nous sommes le leader dans une majorité de ces pays, même si notre prix est supérieur à la concurrence. Le client est disposé à payer un prix plus élevé parce qu’il veut un Premium Quality Product. On n’a qu’à prendre connaissance des commentaires de l’un de nos partenaires principaux, tel que Cristalco, qui produit quelque deux millions de tonnes de sucres (voir hors-texte). En moyenne, ce groupe achète 20 % de notre production – sucre blanc raffiné et sucres spéciaux – chaque année, ce qui démontre notre attrait dans ce segment de niche.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !

