Le Budget 2018-2019 continue à susciter des réflexions parmi les professionnels de tous les milieux à Maurice. L’économiste Pramode Jaddoo y voit un exercice ‘plutôt positif’ et ‘maîtrisé’ en s’inscrivant dans la continuité du précédent Budget. Mais, il déplore que notre pays se mette sous la coupe de deux pays, 50 ans après notre indépendance.
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« Au fil des années, un peu à cause des élections, on a tendance à faire des Mauriciens un peuple d'assistés. »
Il semble que le Budget 2018-2019 soit passé comme une lettre a la poste, sans laisser trop de critiques. Est-ce aussi votre sentiment ?
Oui, car dans sa globalité, le Budget 2018-2019 semble plutôt positif, il a été bien préparé, avec un équilibre entre les dimensions économique et sociale, ce qui est, en soi, difficile à maintenir. Mais le ministre des Finances semble l’avoir maîtrisé. A y regarder de près, c’est un Budget qui s’inscrit dans la continuité du précédent. Il ne contient rien de très nouveau. Les bases sont déjà établies, le ministre des Finances a pris soin de n’apporter aucun changement drastique qui serait de nature à bousculer les données. Il voulait donner un booste à l’économie.
Est-ce à dire qu’il avait suffisamment de marge de manœuvre avant sa présentation ?
On peut le penser. Les taxes, à commencer par la TVA, lui ont donné les moyens de manœuvrer, tandis que les dépenses des corps publics et paraétatiques ont été réduites. Par ailleurs, la MRA a effectué un gros effort pour frapper les mauvais payeurs. Les investissements locaux et étrangers sont repartis, lorsqu’on sait que l’affaire BAI avait créé une psychose dans le monde de l’investissement. Puis, le taux d’inflation reste raisonnablement bas, à moins de 4 %. Les chiffres du chômage baissent graduellement, soutenus par la création d’emplois productifs.
Il faut aussi tenir compte des nouveaux chantiers qui continuent à se développer, comme le port et l’aéroport. C’est du concret par rapport à certaines infrastructures qu’on n’avait pas réussi à mettre en place. Je note également une reprise concernant le projet de l’économie bleue, qui avait connu une certaine lenteur à démarrer, le secteur ayant éprouvé une crise éphémère.
La coopération avec l’Inde apporte ses fruits au vu du Metro Express qui commence à prendre forme. Il y avait beaucoup de doutes et de confusion concernant ce projet. Il faut, à ce sujet, cesser de crier « Anne ma sœur Anne, je ne vois rien venir ». Le Budget, c’est un établi des dépenses d’un État en fonction de ses revenus et, à ce titre, le niveau des caisses de l’État était plutôt satisfaisant. A part le déficit budgétaire, qui reste assez élevé mais que le gouvernement a promis de réduire, j’en conclus que Pravind Jugnauth disposait d’une bonne marge de manœuvre et il a fait beaucoup de choses en même temps, dont la poursuite du développement, le partage équitable du gâteau national et l’encouragement aux investisseurs.
Compte tenu de ce tableau plutôt positif, est-ce que ce Budget ne prépare-t-il pas aux prochaines législatives ?
Tout le monde veut que l’apport du social soit dilué dans le développement économique, dès lors on a tendance à y voir des tentations électoralistes. Mais, tout gouvernement a en tête des calculs électoraux et qu’il manœuvre le Budget à ses avantages me paraît logique. Que le petit peuple, qui a lui aussi contribué au gâteau national, trouve son compte dans le Budget, est tout à fait normal.
Certains de vos collègues économistes mettent de l’avant des dépenses publiques qui deviendraient insoutenables…
A ce sujet, je ne cache pas certaines craintes à ce sujet. La première, c’est la largesse dont fait preuve le gouvernement, c’est véritablement trop. On est en présence de projets annoncés à coups de milliards et qui n’en valent pas vraiment la peine, car certains qui ont été annoncés dans le précédent Budget n’ont pas été mis en œuvre. Il faut aussi s’interroger sur la qualité des services offerts par la Fonction publique.
On a déjà un État-providence qui n’arrive pas à`circonscrire les gaspillages au sein des structures qui datent des années 60. L’autre crainte a trait au prochain rapport du bureau de l’Audit, qui risque comme les précédents rapports, de finir au fond d’un tiroir. Ces rapports, financés par les deniers publics, font toujours ressortir des gaspillages mais rien n’est fait pour y mettre fin. Puis, il va rester cette éternelle question concernant les aides à tous les retraités, quelss que soient leurs milieux sociaux. Il faut qu’on envisage sérieusement l’introduction d’une sélection entre ceux qui méritent ces aides et les autres, qui ont les moyens de payer.
Est-ce que les aides sociales de l’État vous semblent-elles exagérées ?
Certainement. Au fil des années, un peu à cause des élections, on a tendance à faire des Mauriciens un peuple assisté. Un certain nombre de Mauriciens ont fini par ne rien faire, en attendant les aides de l’État qui joue trop au Père Noël. Or, après les législatives de décembre 2014, sir Anerood Jugnauth et, après lui, Pravind Jugnauth, avaient un boulevard devant eux pour mettre fin à ce type d’assistanat et privilégier l’effort. En commençant par prendre la mesure des revenus de l’État avant la présentation du Budget et planifier les projets et dépenses en fonction des capacités à payer. Or, c’est l’inverse qui se passe.
Ce Budget a-t-il réussi à répondre à tous les secteurs d’activités de Maurice ?
Non. Je suis désolé. Trois des grands absents dans ce Budget sont le secteur manufacturier, celui de l’agro-alimentaire et des services financiers. Notre secteur du textile-habillement est à la croisée des chemins en raison de la concurrence provenant des pays comme le Vietnam, Bangladesh ou Sri Lanka. Ce sont des milliers d’emplois qui sont en jeu. Il faut absolument que nos produits retrouvent leur compétitivité, grâce à la valeur ajoutée.
Quant au secteur agricole, ce Budget ne propose rien pour aider à la promotion de l’autosuffisance alimentaire. D’une part, un secteur manufacturier plus compétitif apportera des devises à Maurice, tandis que la réduction de notre dépendance des fruits et légumes remplira deux fonctions : approvisionner le marché domestique et contribuer à la baisse de notre balance des paiements. Enfin, il convient d’attirer l’attention que de nombreuses sociétés engagées dans l’offshore ont mis la clé sous le paillasson à la suite de la fin du traité de non-double imposition avec l’Inde, mais le pire est sans doute a venir.
La question du soutien financier indien au gouvernement mauricien a été évoquée récemment. Est-ce une problématique ?
Je me sens très concerné par toute idée qui mettrait en question l’indépendance de Maurice. Ce n’est pas bien par rapport à l’image neutre que l’on veut projeter de Maurice, comme si notre territoire était à vendre. Puisque c’est de l’Inde qu’il s’agit, est-ce que Maurice s’ingère-t-il dans la politique étrangère de ce pays aux Nations-unies? Cinquante ans après notre indépendance, on a su se débarrasser de la tutelle britannique, ce n’est pas pour se mettre aujourd’hui sous la coupe réglée de l’Inde ou de l’Arabie saoudite.
Mais, Maurice, à lui seul, ne pourra pas financer ses gros projets. Ou trouver d’autres sources de financements ?
Il faut chercher ailleurs, auprès des fonds d’investissements fiables qui n’engagent pas notre intégrité et sans que nous nous fassions des compromissions.
Le Budget met aussi l’accent sur l’économie digitale afin de s’aligner sur la tendance qui semble gagner les pays développés…
Je ne suis pas opposé à ce projet, mais je souhaite qu’il n’exclue pas le facteur humain. Je sais que le commerce électronique gagne du terrain, de même que l’e-learning. Mais est-ce que ces formes de communication peuvent-elles se dispenser des rencontres physiques au risque de faire des Mauriciens des êtres sédentaires, asociaux et égoïstes ?
Je souhaite qu’on prenne le temps pour se pencher sur les conséquences de l’introduction de l’économie digitale, de l’e-learning dans un pays comme Maurice où les valeurs comme la solidarité, la tolérance et la générosité ont servi de socle à son développement, sans mettre à mal sa cohésion sociale et culturelle. On voit déjà les perversions dont se rendent coupables les réseaux sociaux lorsqu’ils sont mal utilisés, dans certaines familles ou parmi les jeunes.
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