
Pouba Essoo, nouvelle présidente du National Solidarity Fund, est une femme entière, fidèle à ses convictions. Franche, droite dans ses bottes, elle refuse les compromis et assume pleinement son franc-parler, quitte à déranger.
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Elle dit les choses comme elles sont. Sans détour. Sans arrondir les angles. Pouba Essoo est de celles qu’on ne fait pas plier. Si ses convictions dérangent, tant pis. À 66 ans, cette femme à la voix forte et à l’esprit libre ne compte pas commencer à se censurer. « On me traite de rebelle ? Eh bien, soit. Je n’ai jamais changé d’un iota », lance-t-elle, sourire en coin, assise dans son salon au charme cosy, avec une belle devanture du style pergola, où son mari Hedley pianote paisiblement sur son ordinateur portable.
Il suffit de quelques minutes pour comprendre à qui l’on a affaire : une femme entière, forgée dans le militantisme, trempée dans l’engagement social et politique depuis ses jeunes années. Verbe haut, idées claires, elle ne se dérobe jamais : c’est une « grande gueule devant l’Éternel », qui dit les choses « kare kare ». « Mais j’ai été formée pour aider. L’âge n’enlève rien à mes capacités. »
Nommée récemment à la tête du National Solidarity Fund (NSF), Pouba Essoo ne se cache pas derrière son petit doigt. « Oui, c’est une nomination politique. Je suis une nominée du ministre. Mais je n’ai pas attendu ça pour servir. Depuis six ans, je suis impliquée dans la création et les travaux du National CSR Committee. Et avant cela, j’ai passé 25 ans dans la fonction publique. J’y suis entrée comme clerical officer en 1977, juste après mes études secondaires au collège Willoughby. »
Pour elle, le service n’est pas un rôle, c’est une vocation. Elle le rappelle : « J’ai les compétences, l’expérience. Je suis là pour aider ceux qui frappent à la porte non pas pour mendier, mais parce qu’ils cherchent une écoute, une main tendue, un relais humain. » Et d’insister : « J’ai toutes mes facultés pour le faire. L’âge importe peu dans cette organisation. »
Enfance modeste, jeunesse militante
Fille de Rose-Belle, élevée dans une fratrie de cinq enfants, Pouba Essoo est la fille d’un « sirdar » dans une usine sucrière et d’une mère femme au foyer, mariée à 14 ans à un homme de 20 ans son aîné. « À l’époque, il n’y avait pas de loi pour le condamner. C’était la norme. » Ce passé modeste, elle le revendique. Et elle n’a rien oublié des jugements d’alors. « On disait que je n’avais pas de valeur. Tifi vilaz pena valer. » Mais elle, elle a toujours tenu tête.
Oui, c’est une nomination politique. Je suis une nominée du ministre. Mais je n’ai pas attendu ça pour servir»
Ce tempérament combatif s’affirme tôt. Adolescente, au collège Willoughby, elle organise une mini-grève contre les traitements inéquitables entre élèves. « J’étais surnommée ring leader jusqu’à ce qu’on m’expulse du collège pour avoir organisé une mini-grève. C’était ma façon de dire non aux traitements différenciés que subissaient des collèges privés, mais aussi à la mentalité de certaines directions vis-à-vis des jeunes, filles et garçons confondus. » Dès cet âge, elle refuse l’arbitraire, la hiérarchie injuste, la discipline qui humilie.
En mai 1975, elle tente de rejoindre Rose-Hill pour soutenir le mouvement pour une éducation gratuite. La police bloque les routes du Sud. Elle ne passera pas. Mais sa détermination est faite. « À cette époque, trop de filles quittaient l’école faute de moyens, pour favoriser les garçons. On estimait que tifi bizin res lakaz, fer louvraz, kwi, manze, marye. »
Quand on la qualifie de féministe, Pouba Essoo corrige d’emblée : « Féministe, oui, depuis l’âge de 15 ans. Mais pas extrémiste. » Pour elle, ce n’est pas une posture, mais une conscience. La vraie force du féminisme ne réside pas dans les discours enflammés, mais dans les actes du quotidien, dans le fait de se battre pour les droits les plus élémentaires, dans la volonté de hisser les femmes vers plus d’autonomie et de reconnaissance.
Paradoxe assumé
Elle cite trois figures féminines mauriciennes qui l’ont profondément marquée : Shirin Aumeeruddy-Cziffra, Vidula Nababsing, Sheila Bappoo. « J’ai été inspirée par leur engagement politique. Elles étaient sincères et croyaient dans leurs convictions profondes, et le militantisme. Shirin et Sheila sont toujours actives et font la fierté de notre pays. Je leur dis merci pour ce que je suis devenue. » À l’époque, ajoute-t-elle, « nos références, c’était Simone de Beauvoir et Simone Veil ».
Elle-même mère de trois enfants – Christopher, Hannia et Hannie –, Pouba Essoo n’hésite pas à reconnaître ses paradoxes. Militante de l’éducation gratuite, elle a pourtant choisi le secteur privé pour ses enfants. « C’est vrai. C’est paradoxal. Mais le système de rat race du CPE où on envoyait nos enfants à l’abattoir de 8 à 11-12 ans, m’était insupportable. »
Avec son mari Hedley, elle fait alors un choix de conscience, quitte à sacrifier d’autres priorités. « On a fait un effort financier pour que nos enfants aillent dans des institutions privées, pour après prendre part aux examens nationaux. » Une trahison de ses principes ? Non, simplement une autre forme de résistance.
Pouba Essoo n’est pas une femme de compromis tièdes. Elle n’a jamais su composer avec l’hypocrisie ou le politiquement correct. Elle préfère perdre un poste que de trahir ses convictions. Son parcours est celui d’une femme debout, ancrée dans ses valeurs, lucide sur ses contradictions, mais toujours droite dans ses bottes. Alors, rebelle ? Peut-être. Mais surtout libre. Et profondément humaine. Une indocile au cœur solidaire.
Une rare honnêteté. Rebelle ? Peut-être. Mais surtout fidèle à elle-même. Jusqu’au bout.
BRP : « On aurait dû amorcer cette réforme dès 2008 »
L’actualité la rattrape sur la question sensible de la réforme de la Basic Retirement Pension (BRP). Là encore, Pouba Essoo ne mâche pas ses mots. Cette réforme, affirme-t-elle, est « essentielle », tout en reconnaissant que « c’était une décision difficile à prendre ». Cependant, ajoute-t-elle, « la réforme de 2025 nous interpelle tous en tant que citoyens. Le fait de l’annoncer du jour au lendemain, est tombé comme une bombe sur la population en général ».
Elle regrette que le débat ait été escamoté. « On aurait dû amorcer cette réforme dès 2008, quand le gouvernement Ramgoolam a introduit l’idée d’une retraite optionnelle. À l’époque, la situation était grave, mais encore gérable. »

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