Les récents événements impliquant des hommes de loi et des policiers prennent une autre dimension avec la marche pacifique prévue le 13 mai à Port-Louis. Les hommes en toge ont l’intention d’exprimer leur mécontentement face au traitement accordé à leurs confrères Yatin Varma et Akil Bissessur. Un forum est réclamé pour désamorcer les tensions.
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Yatin Varma dit avoir été bousculé par des officiers de l’immigration lors de la déportation de son client, le Slovaque Peter Uricek, le 26 avril, malgré un ordre de justice. Akil Bissessur a passé une nuit en cellule car il lui est reproché d’avoir enfreint l’Information and Communication Technologies Act. Ces récents incidents viennent mettre en lumière un sujet sans doute déjà évoqué dans le passé : les tensions entre policiers et hommes de loi ont-elles toujours existé ? Si oui, comment faire pour les dissiper ? Tous ceux interrogés dans le domaine s’accordent à dire qu’un forum de discussion doit être mis sur pied histoire de crever l’abcès et trouver un terrain d’entente.
Interrogé à ce sujet, Me Kishore Pertab fait valoir que les relations conflictuelles entre la police et les hommes de loi ne datent pas d’hier. « C’est inacceptable qu’un confrère ait été bousculé dans l’exercice de ses fonctions », indique-t-il d’emblée. Il dit avoir l’impression que certains policiers ne savent pas exactement où se situent leurs limites. « Ils détiennent des pouvoirs excessifs qu’il faut à tout prix réduire », estime-t-il.
« Pour leur défense, ils arguent qu’ils font tout simplement leur travail. Mais le cadre de leur travail est loin d’être défini. D’autant qu’à Maurice il y a le boulet des accusations provisoires qui émanent du colonialisme. Il est grand temps d’introduire le Police and Criminal Evidence Bill afin d’abolir la charge provisoire », plaide Me Kishore Pertab.
Pour l’homme de loi, l’heure est venue de crever l’abcès. Pour ce faire, poursuit-il, il faut à tout prix introduire une loi visant à imposer des limites aux policiers. « Maurice n’est pas un État-policier », dit-il.
Me Ajay Daby est, pour sa part, d’avis que nul ne sortira gagnant de ce bras de fer. « La police et les hommes de loi continueront d’exister. Ils doivent bien se comporter. » Les policiers, fait-il ressortir, représentent le système. « En cas de mauvaise conduite, c’est tout le système qui est pointé du doigt par le public. »
Il ajoute que les avocats, de leur côté, n’ont aucun droit d’insulter les policiers en vue de plaire à leurs clients. « Ce n’est pas parce qu’ils défendent des criminels qu’ils doivent passer pour des criminels à leur tour », martèle Me Ajay Daby.
Commentant la bousculade dont son confrère Yatin Varma dit avoir été victime, il insiste sur l’importance ce savoir ce qui s’est réellement produit. « J’aurais souhaité y voir plus clair dans cette affaire pour avoir une opinion. À qui la faute ? La police, le suspect ou l’avocat ? » se demande-t-il.
À la question de savoir s’il faut établir des paramètres afin d’éviter tout acte d’ingérence, il répond : « Les policiers sont toujours tenus de respecter des limites qui leur ont été imposées en vertu de la Common Law et d’autres lois. Or, plus on légifère, plus la situation devient confuse. Mais il est clair et net que nul n’a le droit d’agir en dehors de la loi. »
Me Arvin Halkhoree dit constater avec regret que certains policiers et avocats font preuve d’excès de zèle. Il souligne que parfois, plusieurs facteurs, tant personnels que sociaux, peuvent expliquer cette attitude. « Une fois vêtus de leur uniforme, certains policiers se sentent invincibles car ils représentent l’exécutif. Certains avocats, surtout les jeunes, ont parfois le sang chaud et se vantent d’avoir un statut au sein de la société. L’égocentrisme prend ainsi le dessus », déplore-t-il.
Il reste convaincu que le bon sens doit prévaloir des deux côtés. « Le mieux serait de se réunir autour d’une table afin de parler, d’échanger des idées et d’identifier les obstacles en vue de trouver un terrain d’entente. Il faut amortir toute cette tension au plus vite », suggère Me Arvin Halkhoree.
Me Bissessur sommé de ne rien publier sur les réseaux sociaux
L’avocat Akil Bissessur est provisoirement accusé d’avoir enfreint l’Information and Communication Technologies Act. Il lui est reproché d’avoir fait circuler sur Facebook la photo du policier qui aurait brutalisé son client Dominique Seedeeal au moment de son arrestation. L’avocat a dû fournir une caution de Rs 20 000 et signer une reconnaissance de dettes de Rs 100 000. Une des trois conditions imposées à l’homme de loi est qu’il ne doit en aucun cas publier du contenu sur les réseaux sociaux.
L’inspecteur Shiva Coothen : « Le commissaire de police a toujours été à l’écoute »
Dans une déclaration téléphonique accordée au Dimanche/L’Hebdo samedi après-midi, l’inspecteur Shiva Coothen, responsable de la cellule de presse de la police, réfute les allégations de Me Yatin Varma à l’effet que le commissaire de police serait réticent à rencontrer des avocats. « Il a toujours été à l’écoute. Les choses n’ont, à aucun moment, pris une mauvaise tournure. La force policière est là pour collaborer avec les avocats et les représentants du Bar Council », a-t-il dit.
Expulsion de Peter Uricek : Le DPP veut tirer l’affaire au clair
Le directeur des Poursuites publiques (DPP), Me Satyajit Boolell souhaite que le magistrat de la cour de district de Port-Louis enquête pour savoir si l’expulsion du slovaque, Peter Uricek, a été effectuée dans les paramètres de la loi. La section 64 de la District and Intermediate Courts (Criminal Jurisdiction) donne au DPP le pouvoir de réclamer cette enquête auprès d’un magistrat. Le rapport devra être soumis au DPP par la suite. Peter Uricek a eu à quitter le pays le 28 avril 2022.
Me Yatin Varma, président du Bar Council : «Hors de question de mendier quoi que ce soit au commissaire»
Êtes-vous du même avis que votre confrère Antoine Domingue à l’effet que les récents événements seraient une déclaration de guerre contre les avocats ?
Oui. Cela fait quelque temps déjà que le commissaire de police a coupé les ponts avec des hommes de loi. Il y a beaucoup de policiers qui font leur travail convenablement. Mais les récents événements sont inquiétants. Le communiqué émis par Avocats Sans Frontières France le 4 mai dernier envoie un signal fort, car il évoque un acte d’ingérence.
Les tensions entre avocats et policiers ont-elles toujours existé ?
Oui. Mais elles étaient moindres auparavant. La situation s’est aggravée depuis que le commissaire de police, Anil Kumar Dip, a été confirmé à son poste. Lorsqu’il assumait l’intérim, les relations étaient toutefois cordiales.
À votre avis, comment se terminera ce bras de fer ?
C’est évident. Le bureau du commissaire et le gouvernement doivent prendre une décision. Une loi doit être introduite afin d’établir des paramètres au sujet du rôle des policiers et des avocats. Le commissaire peut le faire s’il s’arme de volonté. Le gouvernement doit une fois pour toutes introduire le Police and Criminal Evidence Bill.
Une correspondance sera-t-elle envoyée au bureau du commissaire de police afin de calmer les choses ?
Hors de question de mendier quoi que ce soit au commissaire de police. Le Bar Council a tenté, en plusieurs occasions, d’entamer un dialogue avec lui, en vain.
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