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Pluies torrentielles : quelle réforme pour que Maurice ne soit pas à genoux ? 

Maurice se classe à la 46e place des pays les plus menacés par le changement climatique.

Chaque année, en été, c’est la même rengaine. Des pluies diluviennes provoquent des inondations et des accumulations d’eau dans plusieurs régions de l’île. Elles ont pour conséquences la fermeture des établissements scolaires, des congés forcés pour les salariés, des familles en détresse avec leur maison en proie à la montée des eaux… Cette situation risque d’empirer à l’avenir avec le changement climatique qui est parti pour durer. Des réformes sont importantes pour atténuer les risques. 

Maurice se classe à la 46e place des pays les plus menacés par le changement climatique selon le Climate Vulnerability Ranking. Une situation qui risque de perdurer, voire se dégénérer, estime le militant écologiste, Yan Hookoomsing. À cet effet, il cite les divers rapports des Nations Unies faisant état que le bouleversement climatique sera là pendant au moins deux à trois siècles. Preuve en est la montée du niveau de la mer ou encore le changement du « rain pattern ». 

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« La situation va s’empirer année après année. Maurice n’y échappe pas avec la période des pluies où plusieurs régions sont sous les eaux. En fin de compte, il nous fait des solutions systémiques et à long terme », estime notre interlocuteur. Ce dernier est d’avis qu’il faut aller au-delà des opinions exprimées ici et là, et ce, de manière « émotionnelle et subjective ». 

Quelles sont les solutions à adopter pour éviter de tels scénarios en cas de pluies torrentielles ? Nous avons posé la question à Yan Hookoomsing, Osman Mahomed, parlementaire et ingénieur civil, l’hydrologue Farook Mowlabacus, l’économiste Takesh Luckho et à un urbaniste.

Avoir recours à des experts

Pour faire face aux aléas du changement climatique, Yan Hookoomsing pense qu’il faut faire appel aux experts en la matière et ouvrir le dialogue. « Des experts locaux qui ont fait des études à l’extérieur et qui ont de l’expérience ne manquent pas. Il suffit de les solliciter au lieu de continuer à improviser quand la situation se détériore et que la population souffre », explique-t-il. 

Il considère que la gouvernance climatique est importante dans le sens où le pays est hautement vulnérable face au changement climatique. 

Plus de transparence

Pour Yan Hookoomsing, les endroits qui sont affectés par les pluies diluviennes sont toujours les mêmes. « C’est devenu chronique. On doit arrêter les constructions sauvages et combler les zones humides (« wetlands »). La Land Drainage Authority a fait une évaluation et son rapport doit être rendu public. Il est inacceptable que les citoyens n’y aient pas accès », s’indigne le militant écologiste qui prône la transparence.  

Les propositions d'Osman Mahomed

Pour sa part, le parlementaire et ingénieur civil Osman Mahomed pense qu’il y a des choses qui ne tournent pas rond. « Les drains sont supposés absorber les eaux et non pas amener de la boue devant la porte des personnes. C’est ce qui s’est passé à Bangladesh, Tranquebar. Dans plusieurs endroits, il y a eu des inondations, malgré le fait que des drains ont été construits. J’ai vu un arbre dans un drain et j’ai fait une vidéo pour alerter les autorités. Si cet arbre était resté là, les drains auraient été obstrués et une partie de Port-Louis aurait été sous les eaux », fait-il ressortir. 

Une bonne maintenance des drains est impérative durant les mois « secs ». « En général, le pays enregistre les plus fortes pluviométries de janvier à mars. Ainsi, durant les mois restants, il faut inciter les éboueurs ou les general workers, à travers une allocation, à nettoyer les drains au cours de l’année. Quand ces derniers sont bouchés, ils sont la source des problèmes d’inondation. La maintenance ne se fait pas correctement. Il y a un gros laxisme de la Land Drainage Authority et des collectivités locales à ce niveau. On investit des milliards, mais les drains ne fonctionnent pas, car ils sont obstrués », indique-t-il. 
Capacité des drains 

Avec les bouleversements climatiques, il est impératif de prendre en compte l’aspect hydrologie, soit la période de retour. « Les drains doivent être capables d’assainir de grands volumes d’eau dans les 50 ans à venir. Il ne faut pas laisser les entrepreneurs décider de leurs dimensions. Il y a toute une étude à faire », fait remarquer Osman Mahomed. Il préconise donc de revoir la conceptualisation des drains.

L’hydrologue Farook Mowlabacus abonde dans le même sens. Pour lui, une documentation s’impose avant la construction de drains dans les divers endroits qui ont différentes spécificités. « Les drains doivent être conceptualisés en considérant la quantité d’eau qui doit être drainée. Il y a cet aspect hydrologique qui entre en jeu. On ne peut pas construire des drains énormes, car cela coûte cher », indique-t-il. 

Chaque drain à une capacité. « En bordure de route, il faut des drains d’un an à 25 ans. Pour un pont situé sur une route secondaire, c’est d’un an à 50 ans, en revanche pour un pont qui se trouve sur une route principale, c’est d’un an à 100 ans », explique notre interlocuteur. 

Au détriment de l’économie

D’un point de vue économique, les pluies torrentielles ont un coût. Quand les activités économiques du pays sont paralysées, cela coûte entre Rs 1,6 à 1,8 milliard chaque jour.  « Avec la saison des pluies et des cyclones, cela peut nous coûter très cher en termes de produit intérieur brut et de chiffre de croissance, sans oublier les dépenses additionnelles pour les nettoyages », explique l’économiste Takesh Luckho.

Il estime qu’il ne faut pas nécessairement injecter plus d’argent pour la construction de drains. « Dans les deux derniers budgets, on a déjà dépensé des milliards de roupies pour des projets à travers le pays. Il s’agit surtout d’un problème de maintenance des drains et des développements qui ont changé le cours naturel des rivières, entre autres. Un entretien régulier des drains est de rigueur », plaide-t-il.

L’économiste pense aussi qu’une autre solution plausible serait la numérisation des services publics et l'application du protocole de « work from home ». « Dans le privé, le télétravail est devenu courant. En revanche, dans le secteur public, le protocole, même s’il a été validé par le ministre, n’est jamais appliqué », recommande-t-il. Autant de solutions qui permettront à l’économie de continuer à fonctionner malgré le mauvais temps et les problèmes qui y sont liés. 

Faire preuve de prévoyance 

Pour l’urbaniste, les autorités doivent pouvoir dire ‘non’, même si de grosses sommes d’argent sont proposées pour des projets de développement. « Notre territoire a dépassé le taux d’urbanisation. Il est à plus de 25 %. Nous devons prévoir qu’il y aura des problèmes avec le changement climatique. Il ne suffit pas d’aller aux conférences pour chercher des fonds afin de s’adapter et mitiger les risques et en fin de compte, rien n’est implémenté. L’heure n'est plus au discours, mais à l’action », affirme notre interlocuteur. Ce dernier  estime que la situation sera encore plus difficile l’année prochaine.

Aménagement du territoire

Un urbaniste, sous le couvert de l’anonymat, tire la sonnette d’alarme. Il considère que l’heure est à l’action. « Chaque année, le pays fait face aux mêmes problèmes. Il faut impérativement privilégier un développement basé sur la planification. On doit avoir un système d’aménagement du territoire et accepter qu’il y ait des zones inondables et des zones qui sont environnementalement sensibles. Des cartographies ont été faites. Il faut les inclure au plan de développement et non pas se laisser guider par une politique dirigiste basée sur le développement au fil de l’eau », fait-il remarquer.

 

 

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