
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a décrété une augmentation draconienne des droits de douane de 40 % sur les exportations mauriciennes vers les États-Unis. Jusqu’à quel point cette mesure protectionniste affectera-t-elle les échanges commerciaux entre les deux pays ? La question a été débattue jeudi dans l’émission « Au cœur de l’info » animée par Prem Sewpaul.
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Maurice n’est pas épargné par la vague protectionniste qui déferle depuis Washington. Les exportations mauriciennes vers les États-Unis seront désormais soumises à un tarif douanier considérable de 40 %. Le président Donald Trump a justifié sa décision par la volonté de réduire le déséquilibre commercial entre les États-Unis et plusieurs de ses partenaires commerciaux, en imposant des tarifs douaniers dits « réciproques ».
Le décret signé par le président américain concerne plus de 50 pays, incluant Maurice qui figure d’ailleurs dans le Top 10 les plus taxés par la mesure protectionniste de Donald Trump. L’impact potentiel de cette mesure sur l’économie mauricienne a fait l’objet d’un débat approfondi dans l’émission « Au cœur de l’info » du jeudi 3 avril 2025 animée par Prem Sewpaul et diffusée sur Radio Plus.
En 2024, Maurice a exporté des marchandises vers les États-Unis évaluées à Rs 6,8 milliards. Ce chiffre pourrait désormais être considérablement affecté par la hausse de 40 % des droits de douane. Les exportations mauriciennes, allant du textile aux vêtements, en passant par les macaques, deviendront plus coûteuses pour les consommateurs et entreprises américaines.

Risque de récession mondiale
« Une décision aux conséquences multiples », a déclaré l’économiste Vinaye Ancharaz pour qualifier la décision de Donald Trump. « Aucun pays n’échappera à cette imposition, qu’il soit développé ou en développement », a-t-il ajouté. À ses yeux, cette politique protectionniste nous précipite vers une véritable guerre commerciale.
Il a rappelé que le commerce international joue un rôle fondamental dans la croissance et l’emploi à Maurice. « Cependant, avec l’annonce de Trump sur les tarifs à 40 %, nous sommes dans l’incertitude. Est-ce que cette mesure concernera tous les produits ? Cette situation est dangereuse pour notre économie », a-t-il alerté.
Qui dit incertitude, dit baisse des investissements. « À long terme, on peut craindre une récession globale et une inflation généralisée », prévoit-il. Il a expliqué qu’une inflation mondiale affectera aussi bien le marché financier mauricien que le secteur touristique.
« D’ailleurs, Statistics Mauritius a récemment revu ses prévisions de croissance pour Maurice en 2025 à 3,3 %. Mais cette estimation ne tient pas compte de l’imposition de ces nouveaux tarifs aux États-Unis. Je crains que la croissance ne dépasse pas les 3,3 % », a-t-il souligné.
L’économiste Ibrahim Malleck partage cette analyse : « On ne peut pas progresser dans un climat d’incertitude. » Selon lui, la décision du président américain aura un impact considérable sur les autres pays. « Le dollar est la monnaie du commerce international. Maurice, en tant que petit pays, n’a certainement pas les moyens d’entrer dans une guerre commerciale avec cette puissance mondiale », a-t-il fait ressortir.
Les PME dans le brouillard
L’incertitude gagne également les opérateurs économiques, en particulier les Petites et moyennes entreprises (PME). Amar Deerpalsing, président de la Fédération des PME, a confirmé cette appréhension grandissante. « La majorité des PME ne comprend pas vraiment l’annonce de Donald Trump. Quels seront les produits taxés ? Quel sera le niveau d’imposition ? Autant de questions sans réponse », a-t-il dit.
Selon lui, ce flou engendre une véritable anxiété parmi les PME. « Habituellement, les entreprises se projettent à long terme pour évoluer. Aujourd’hui, elles sont dans le flou », a-t-il déploré. S’il a précisé que le marché américain ne constitue pas une destination prioritaire pour les exportations des PME mauriciennes, il a toutefois mis en garde contre les dangers du dumping commercial.
« Par exemple, avec une taxe très élevée sur ses exportations vers les États-Unis, soit 47 %, le Vietnam cherchera à écouler sa production excédentaire sur d’autres marchés à des prix très bas. Maurice pourrait alors devenir une cible pour ces produits à bas coût », a expliqué Amar Deerpalsing.
Selon lui, les producteurs vietnamiens exploreront de nouveaux débouchés, y compris à Maurice. « Notre marché risque donc d’être inondé de produits bon marché, ce qui mettra nos PME en difficulté face à cette concurrence déloyale », a-t-il prévenu.
Relativiser l’impact
Pour autant, Vinaye Ancharaz estime qu’il ne faut éviter tout catastrophisme. Il a rappelé que les États-Unis ne représentent que 11 % des exportations mauriciennes. « Notre principale exportation vers l’Amérique est le macaque. L’impact de cette taxation dépendra donc de l’élasticité de la demande. Si la demande reste forte, il n’y aura pas lieu de s’inquiéter », a détaillé l’économiste.
Vinaye Ancharaz a souligné que les tarifs imposés au Vietnam et au Cambodge sont parmi les plus élevés, atteignant respectivement 46 % et 49 %. « De ce fait, les répercussions sur Maurice seront atténuées. » Ibrahim Malleck partage cet avis : « Il ne faut pas paniquer. Bien que nous soyons touchés indirectement, notamment à travers le tourisme et le secteur financier, l’impact direct sur nos exportations restera limité. »
Navin Ramgoolam : « Je suis sûr que si je rencontre Donald Trump, je pourrai le convaincre »
Les décisions de Donald Trump en matière de tarifs douaniers suscitent une incertitude globale qui, non seulement impacte Maurice, mais présente également des risques pour le pays, notamment le secteur textile. « Je suis sûr que si je rencontre Donald Trump, je pourrai le convaincre d’enlever ses tarifs douaniers de 40 % sur Maurice. Cependant, il faudrait que l’occasion se présente », a indiqué Navin Ramgoolam.
Flou autour du tarif de 80 % sur les importations américaines
L’administration Trump affirme que Maurice impose un tarif de 80 % sur les importations en provenance des États-Unis. Toutefois, ce chiffre a suscité de vives interrogations parmi les intervenants de l’émission « Au cœur de l’info ».
« Je ne comprends pas comment ce taux de 80 % a été calculé. Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le tarif moyen appliqué par Maurice sur les importations est de 1,3 % et le tarif maximum atteint 30 % », a relevé Vinaye Ancharaz. Il a précisé que ce taux de 30 % concerne principalement l’importation de voitures, de boissons alcoolisées et de cigarettes.
Ibrahim Malleck partage cette perplexité. « Il est difficile de savoir comment ce taux de 80 % a été déterminé, ce qui entretient une certaine confusion », a-t-il dit. Il a rappelé que Maurice est une économie ouverte, engagée dans plusieurs accords commerciaux internationaux. « Nous ne pouvons pas appliquer un tarif aussi élevé sur les importations », a-t-il insisté.
Le billet vert sous pression
Le dollar a chuté de plus de 2,6 % face à l’euro après l’annonce de l’offensive douanière de Donald Trump, marquant une des plus fortes baisses depuis 2015. La devise américaine a également reculé face à la livre sterling et au yen. Cette baisse s’explique par les craintes des investisseurs quant à un ralentissement de la croissance aux États-Unis, qui pourrait pousser la Réserve fédérale à abaisser ses taux d’intérêt, rendant le dollar moins attractif. Simultanément, les opérateurs anticipent une relance budgétaire en Europe, renforçant l’euro.
Les analystes s’inquiètent du manque de mesures compensatoires aux États-Unis, rendant l’économie vulnérable. La Fed pourrait baisser ses taux pour limiter l’impact économique. L’or, valeur refuge, a atteint un record à 3 167,84 dollars l’once, reflétant l’inquiétude des marchés face à cette escalade protectionniste.
De nouvelles opportunités à exploiter dans la région
Ibrahim Malleck :
« Il est désormais impératif de rendre nos économies plus résilientes et de revoir notre modèle économique de commerce international. Nous ne pouvons plus dépendre uniquement des États-Unis pour nos exportations. Notre génération a grandi dans une économie ouverte. Il est inconcevable de nous renfermer. Il est grand temps d’exploiter de nouvelles opportunités, notamment en Afrique. C’est aussi l’occasion d’améliorer notre productivité et de nous concentrer sur les produits à valeur ajoutée. »
Vinaye Ancharaz :
« Nous avons un potentiel immense dans la région africaine, mais il est dommage que nous tendions à l’ignorer. Nous avons déjà une stratégie africaine qui est restée dans le tiroir. Pourquoi ne pas exploiter ces marchés proches de nous plutôt que de chercher des marchés plus lointains ? Un accompagnement et un soutien financier doivent être fournis aux entreprises mauriciennes qui souhaitent investir dans cette région. »
Amar Deerspalsing :
« Nous n’avons d’autre choix que de nous adapter. D’ailleurs, certaines entreprises, notamment dans le secteur du textile, se sont déjà implantées en Afrique et en bénéficient, notamment en termes de main-d’œuvre. Aujourd’hui, les opérateurs sont plus avertis et connaissent bien les accords commerciaux. Il existe une grande possibilité de collaboration régionale, surtout avec les pays africains. Cependant, il faut reconnaître qu’il manque des ressources pour exploiter pleinement ces marchés. »
L’avenir incertain de l’AGOA
L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui permet à Maurice d’exporter vers les États-Unis avec des tarifs préférentiels, risque de ne plus tenir face à l’imposition des nouveaux tarifs douaniers. « L’AGOA disparaîtra certainement avec la politique protectionniste adoptée par les États-Unis. Il faut envisager un commerce international sans l’AGOA », déclare Vinaye Ancharaz.

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