La nomination d’Adrien Duval en tant que nouveau Speaker de l’Assemblée nationale le jeudi 18 juillet a suscité un débat intense sur sa légalité. Pour l’opposition, la nomination du Speaker jeudi était anticonstitutionnelle et illégale. De son côté, le gouvernement avance qu’il n’y avait absolument rien d’illégal.
Pour l’alliance Parti travailliste (PTr)/Mouvement militant mauricien (MMM)/Nouveaux démocrates (ND), le « Deputy Speaker », Zahid Nazurally, qui était dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, aurait dû présider la séance. Or, Alan Ganoo, « senior minister » et ancien Speaker, affirme que toutes les procédures ont été suivies et que la Clerk, Urmeelah Devi Ramchurn, présidait la séance en conformité avec la législation.
Au niveau des Constitutionnalistes et anciens Speakers, le débat fait rage et les avis divergent même s’il y a un penchant qui veut que la démarche fût « tainted ».
Parvez Dookhy : « Pour être Speaker en France, il faut être député »
Le constitutionnaliste Parvez Dookhy affirme que la source du problème remonte à la révision constitutionnelle de janvier 1996, lorsque le PTr et le MMM étaient au pouvoir.
Me Dookhy explique que cette révision, initiée par Ramgoolam et Bérenger, avait pour but de permettre à n’importe qui de devenir Speaker. « Pour être Speaker comme en France, en Angleterre ou au Parlement européen, il faut être député pour être président. C’était aussi le cas pour Maurice, mais ils ont eu la fameuse idée de changer la Constitution pour que n’importe qui puisse être Speaker sans aucun bagage légal », a-t-il déclaré.
Le constitutionnaliste a critiqué cette modification, affirmant qu’une constitution est censée poser un cadre clair et stable. Selon lui, l’introduction des mots « or otherwise » dans le texte de loi a détruit ce cadre. « C’est un terme qu’on ne trouve pas dans une loi normalement. C’est un non-sens total. Depuis, c’est devenu la pratique d’installer un non-député dans le perchoir. »
Cependant, Parvez Dookhy estime que la situation actuelle est problématique, car un Speaker non élu n’a pas de légitimité démocratique. « On est dans une Assemblée nationale où les députés sont des représentants de la nation qui ont été élus et qui ont une légitimité. En face de lui, on met un Speaker qui n’a pas de légitimité démocratique, parce qu'il n’a pas été élu par le peuple. Il n’a donc pas d’autorité. Pour se faire respecter, il doit prendre des sanctions. »
Le cas d’Adrien Duval est encore plus complexe, car il est poursuivi pour deux délits graves. Il est accusé, entre autres, de conduite en état d’ébriété, ce qui pose un problème de morale politique selon lui. Il risque une sanction de la justice.
Kailash Purryag : « Selon moi, la procédure a respecté la Constitution »
Kailash Purryag, ancien Speaker, estime, pour sa part, que « la procédure a bien respecté la Constitution ». Il fait ressortir que les protestataires disent qu’il fallait appliquer la section 50 de la Constitution. « Pour moi, il y a une confusion, car cette clause dit que quand le Speaker est absent, c’est le Deputy Speaker qui préside la séance et si les deux sont absents, alors il faut voter une personne qui n’est pas ministre pour présider. Or, jeudi, il n’y avait pas de Speaker, puisqu'il a démissionné, donc là, c'est la section 32(1) qui s’applique. Celle-ci indique que quand le poste de Speaker est vacant, il faut suivre la procédure décrite dans la section 32(4) qui régit la nomination d’un Speaker après des élections générales ».
Ajay Daby : «l’Assemblée nationale ne devrait pas être traitée comme un département du PMO»
Ajay Daby, ancien Speaker, souligne que d’une part « l’Assemblée nationale ne devrait pas être traitée comme un département du bureau du Premier ministre ». D’autre part, elle n’est pas un foyer de subversion pour les membres de l’opposition. Chacun doit connaître ses limites par rapport à l’utilisation de cette plateforme constitutionnelle.
En ce qui concerne la procédure suivie pour la nomination du Speaker, Me Daby a exprimé des réserves quant à la décision de la Clerk de présider la séance.. Il a précisé que des exceptions existent uniquement lorsque le Speaker et le Deputy Speaker sont malades ou incapables de remplir leurs fonctions. L’homme de loi décrit les modalités prescrites pour l’élection d’un Speaker ou d’un Deputy Speaker. Lors de la première séance après les élections générales, les membres de l’Assemblée se réunissent pour voter un président de séance pro tempore, c’est-à-dire pour un temps limité. « La présidence de cette nomination va à un membre de l’Assemblée qui, en principe, est le plus expérimenté dans le domaine des affaires parlementaires, mais certainement pas à un fonctionnaire », a-t-il souligné.
Il a averti que ne pas suivre ces règles pourrait entacher l’élection et rendre la nomination "objectionnable". « À la suite de ce type d’élection irrégulière, la personne désignée comme Speaker prend trop de risques pour présider une Assemblée nationale », a-t-il ajouté. Ajay Daby a souligné que les lois ne sont acceptables et exécutoires que si elles sont votées « selon un processus régulier dans une assemblée correctement constituée avec des membres ayant des droits de vote dûment enregistrés. Si ce n’est pas le cas, c'est non seulement un défaut en vertu de la loi, mais aussi en vertu de la Constitution. »
Milan Meetarbhan : «c’est une question d’interprétation»
Selon Milan Meetarbhan, avocat spécialiste de la Constitution, la première question concerne la légalité de la présidence de la première partie de la séance. Il s’agit de déterminer si cette séance aurait dû être présidée par le Deputy Speaker ou par une personne désignée par l’Assemblée. « Quand l’Assemblée se réunit après les élections et qu’il n’y a pas de Speaker ni de Deputy Speaker, c’est quelqu’un désigné par l’Assemblée qui préside. Ça peut être n’importe quel membre. Mais jeudi, ce n’était pas une nouvelle Assemblée qui s’était réunie », explique-t-il.
Il ajoute qu’il est essentiel de savoir si, à ce moment précis, il y avait un Speaker ou pas. « On peut interpréter les dispositions légales pour dire qu’aussi longtemps qu’un nouveau Speaker n’a pas été élu, le Speaker démissionnaire reste en place. Dans ce cas-là, puisque ce Speaker-là n’était pas présent, c’est le Deputy Speaker qui aurait dû présider », précise-t-il. « C’est une question d’interprétation des dispositions de la constitution et des règles de procédure. »
Me Meetarbhan se demande également si on aurait pu procéder différemment. « Est-ce qu’on n’a pas demandé au Deputy Speaker de présider pour une question partisane, car il est issu d’un parti allié du gouvernement ? À ce moment-là, il faut se demander pourquoi on ne l’a pas fait. »
Sur les deux points, la légalité et la procédure, plusieurs écoles de pensée existent, dit-il. Cependant, souligne le Constitutionnaliste, qu’une procédure a été utilisée pour éviter de permettre à un allié de présider, ne serait-ce que pour quelques minutes, enlevant la possibilité à l’opposition de proposer un autre candidat.
Cette nomination résulte, selon lui, de tractations politiques. « Sans faire de procès d’intention au nouveau Speaker, qui pourrait se montrer indépendant, sa prise de fonction est déjà entachée de soupçons. Ce qui s’est amplifié avec ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale jeudi. »
Milan Meetarbhan voit aussi deux objectifs dans cette nomination. Premièrement, « il fallait essayer de faire oublier à l’électorat tout ce qui s’est passé ces dernières années sous le précédent Speaker. Deuxièmement, en nommant le fils du leader du PMSD comme Speaker, il s’agissait de réduire la marge de manœuvre du PMSD par rapport aux futures alliances ».
La clause 7(2) des Standing Orders invoquée par le gouvernement
Le gouvernement invoque la clause 7(2) des Standing Orders pour assurer la légalité de l’élection d’Adrien Duval. Celle-ci porte sur l’« élection du Président, du vice-Président et du vice-Président des comités ».
La clause en question stipule ceci : « Tout membre, s’adressant au Clerk, peut proposer à l’Assemblée un autre membre alors présent et proposer qu’il ou elle “ prenne la présidence de l’Assemblée en tant que Président ”. La proposition doit être appuyée, mais aucun débat ne sera autorisé ».
C’est ce qu’il se serait passé en décembre 1990, lorsque Ajay Daby avait été démis de ses fonctions pour être remplacé par Iswardeo Seetaram, argue-t-on dans les milieux proches du gouvernement. Mis face à cet argumentaire, Ajay Daby, ancien Speaker, évoque la clause 8 des Standing Orders : Présidence à l’Assemblée. Elle stipule que « le Président ou, en son absence inévitable, le vice-Président ou, en leur absence inévitable, un membre de l’Assemblée, n’étant ni un ministre ni un secrétaire privé parlementaire, présidera les séances de l’Assemblée et exercera la même autorité que le Président ».
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