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Nicolas Loulie : «L’abaissement du seuil de la TVA à Rs 3 M jugé trop brutal par les petits entrepreneurs»

La baisse du seuil d’enregistrement à la TVA de Rs 6 millions à Rs 3 millions suscite des réactions contrastées dans le monde des PME. Si certains y voient une avancée vers la structuration et l’équité fiscale, de nombreux entrepreneurs redoutent une hausse des charges, une complexité administrative accrue et une perte de compétitivité face à l’informel, explique Nicolas Loulie, Managing Partner de QURA Business Solutions. Pour absorber ce choc, beaucoup choisiront sans doute de répercuter la TVA sur leurs clients, avec un risque réel d’inflation, notamment dans les services non essentiels. 

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À partir du 1er octobre 2025, le seuil d’enregistrement obligatoire à la TVA passera de Rs 6 millions à Rs 3 millions de chiffre d’affaires annuel. Qui sera concerné par cette mesure ?  
Cette mesure touchera principalement les petites et moyennes entreprises (PME), les individus détenant un Business Registration Number (BRN) et les commerces de proximité réalisant un chiffre d’affaires de Rs 3 millions à Rs 6 millions annuellement. Alors qu’auparavant ces structures échappaient à l’enregistrement obligatoire à la TVA, elles devront désormais s’y conformer. Il faut toutefois noter que, selon la législation en vigueur, certains produits et services sont soit exemptés de TVA selon le Schedule 1 du VAT Act 1998, soit imposés à un taux zéro en ligne avec le Schedule 5 du même texte. Ces produits et services incluent généralement les exportations de produits, les services financiers, les denrées de base et les services médicaux, pour ne citer que ceux-là. Cette mesure enjoindra plus de visibilité fiscale à l’État, mais impliquera également une mise en conformité des PME, qui sera souvent jugée coûteuse et contraignante.  

Un menuisier qui facturait auparavant ses services à Rs 10 000 devra désormais appliquer 15 % de TVA, portant ainsi le montant total à Rs 11 500. Il sera également tenu d’émettre une facture pour ce service et de soumettre une déclaration de TVA à la MRA…»

Dans le milieu entrepreneurial, comment accueille-t-on cette décision ?  
L’accueil est partagé. Tandis que certains y voient une avancée vers la structuration et l’équité fiscale, beaucoup de petits entrepreneurs dénoncent une mesure brutale. Ils craignent une hausse des charges, une complexité administrative accrue et une perte de compétitivité face au secteur informel.

Les associations de PME qualifient cette mesure de véritable fardeau. Concrètement, qu’est-ce qui va changer pour les entrepreneurs ?  
Aujourd’hui, il existe deux formes d’enregistrement pour la TVA : volontaire ou obligatoire. La TVA sera désormais obligatoire si le chiffre d’affaires d’une entreprise dépasse les Rs 3 millions, ou si l’entreprise fournit des services assujettis à la TVA, indépendamment de son chiffre d’affaires (comptables, architectes, avocats ou autres métiers définis dans le Schedule 10 du VAT Act 1998). Concrètement, une fois ces critères remplis, la société devra s’enregistrer à la TVA.

Prenons l’exemple d’un menuisier qui, auparavant, facturait ses services à Rs 10 000. Il devra désormais facturer Rs 10 000 + 15 % de TVA, soit Rs 11 500. Il devra aussi émettre une facture en bonne et due forme à son client et, selon les normes légales, préparer une déclaration de TVA afin de reverser Rs 1 500 (Rs 11 500 moins Rs 10 000) à la Mauritius Revenue Authority (MRA) dans les délais prescrits. En résumé, ce qui changera, c’est une comptabilité plus rigoureuse, avec des exigences administratives et fiscales plus accrues. 

Cette mesure imposera plus de visibilité fiscale à l’État, mais impliquera également une mise en conformité des PME, qui sera souvent jugée coûteuse et contraignante.»

Certains de ces entrepreneurs devront se tourner vers des comptables. Dans quelle mesure est-ce que ce sera un casse-tête administratif et financier pour nombre d’entre eux ?  
Pour satisfaire aux exigences liées à l’enregistrement à la TVA, les entrepreneurs devront tenir une comptabilité détaillée des ventes et achats, calculer correctement la TVA collectée et récupérable, remplir et soumettre les déclarations de TVA, répondre aux éventuels contrôles fiscaux et adapter leur gestion de trésorerie aux paiements trimestriels pour la TVA. Ces tâches demandent du temps et des compétences spécifiques. C’est pour cette raison que je pense que beaucoup des PME se tourneront vers des comptables pour pouvoir satisfaire à leurs exigences. Ce qui entraînera définitivement un impact financier, avec des charges additionnelles en frais de comptabilité. De plus, les 15 % de TVA devront soit être absorbés par la PME, soit refacturés au client. Si la société cliente est elle-même enregistrée à la TVA, elle pourra la récupérer auprès des autorités à travers ce qu’on appelle l’Input VAT.   
 
Il y a aussi des risques de pénalités si les informations ne sont pas bien transmises à la Mauritius Revenue Authority. Quelles sont les sanctions possibles ?
Il existe plusieurs formes de sanctions et de pénalités liées à la TVA. Premièrement, une PME qui omet de s’enregistrer alors qu’elle en a l’obligation s’expose à une amende de Rs 5 000 par mois, plafonnée à Rs 50 000. En cas de retard dans la soumission des déclarations fiscales, la pénalité est de Rs 2 000 par mois, plafonnée à Rs 20 000 — ou à Rs 5 000 pour les petites entreprises. Les pénalités pour les retards de paiement pour la TVA sont de 10 % pour les entreprises standards et de 2 % pour les petites entreprises. De plus, des intérêts de l’ordre 1 % seront imposés sur la TVA due et en cas de déclarations erronées, des pénalités possibles jusqu’à 25 % de la TVA non déclarée. Il y a aussi d’autres types d’offense selon la loi, comme la fraude, les fausses déclarations ou des omissions graves qui peuvent entraîner des peines allant jusqu’à 8 ans de prison et des amendes conséquentes jusqu’à trois fois le montant de TVA impliquée.

Pour une PME en croissance, l’enregistrement à la TVA peut devenir un atout stratégique, dans une optique de démontrer une forme de bonne gouvernance lors d’une levée de fonds ou de demandes de financement auprès d’institutions bancaires.»

Certains entrepreneurs évoquent déjà l’éventualité de répercuter ces coûts sur les consommateurs via une hausse de leurs produits et services. Vos commentaires ?  
Il faut comprendre que la baisse du seuil de Rs 6 millions à Rs 3 millions implique qu’une société avec un chiffre d’affaires supérieur à Rs 3 millions devra appliquer une TVA de 15 % sur ce montant (15 % de Rs 3 millions = Rs 450 000). Dès lors, une question se pose pour la société : va-t-elle augmenter ses prix pour répercuter les Rs 450 000 de TVA à ses clients, ou va-t-elle absorber ces coûts en réduisant sa marge opérationnelle, et donc sa profitabilité ? Je pense personnellement que beaucoup choisiront de répercuter cette TVA à leurs clients et il y a un réel risque d’inflation avec des répercussions sur le pouvoir d’achat des individus, particulièrement dans les services non essentiels. Toutefois, les entreprises travaillant avec d’autres entités enregistrées à la TVA (marché B2B) pourront compenser cet impact, puisque leurs clients récupéreront la TVA.
 
Mais s’enregistrer à la TVA a aussi ses avantages. Quels sont-ils ?
Être enregistré permet de récupérer la TVA sur les achats, de renforcer sa crédibilité auprès de différents partenaires (clients, fournisseurs, banques) et d’accéder à certains marchés B2B ou appels d’offres. La société peut aussi bénéficier d’un remboursement en cas d’excédent de TVA sur les équipements ou autres dépenses en capital dépassant un montant de TVA de Rs 100 000. Ce qui permet également de mieux structurer sa comptabilité et de piloter ses performances financières. Pour une PME en croissance, l’enregistrement à la TVA peut devenir un atout stratégique, dans l’optique de montrer une forme de bonne gouvernance lors d’une levée de fonds ou de demandes de financement auprès d’institutions bancaires.

Lors des six derniers mois, le secteur des PME a connu un certain ralentissement des activités, les effets du paiement du 14e mois se faisant ressentir. Beaucoup d’entre elles souffrent de problèmes de trésorerie…»

Nous sommes à mi-2025. Quelle lecture faites-vous de la performance du secteur des PME au cours des six derniers mois ? Et quelles sont les perspectives pour les six prochains mois ?  
Au cours des six derniers mois, le secteur des PME a connu un certain ralentissement des activités, les effets du paiement du 14e mois se faisant ressentir. Beaucoup d’entre elles souffrent aujourd’hui de problèmes de trésorerie, avec un manque de visibilité sur la suite. Pour les six prochains mois, je prévois que nombre d’entre elles devront s’adapter et faire preuve de résilience pour évoluer sur un marché qui pourrait se contracter. Elles devront donc faire preuve d’agilité, avoir recours aux nouvelles technologies et se réinventer si elles veulent survivre dans ce nouvel environnement.
 
Que recommandez-vous pour soutenir davantage ce secteur ?
Il faut davantage d’incentives pour inciter les PME à jouer un plus grand rôle dans la chaîne de valeur des produits et services que Maurice offre aujourd’hui à l’échelle internationale. Il serait également nécessaire d’avoir des organismes mieux rodés au coaching et mentoring, capables d’aider à la structuration et à la mise en place de cadres de bonne gouvernance pour soutenir ces PME à devenir « investor ready », afin que leurs projets soient plus attrayants pour les banques commerciales et qu’ils sachent comment planifier la succession de leur business à long terme.

  • Nou Lacaz

 

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