Les élections générales à venir sont d’une importance cruciale pour l’avenir du pays, selon Milan Meetarbhan, avocat et constitutionnaliste. L’observateur politique soutient également que des changements constitutionnels s’imposent pour orienter le pays sur les rails de la modernité et du développement durable.
Les problèmes entre le PMSD d’une part et le PTr et le MMM d’autre part semblent résolus. Est-ce que le gros mécontentement du PMSD vient décrédibiliser cette alliance ?
À l’heure où je vous parle, je ne sais pas encore si les tractations sont toujours en cours, ce qui a été résolu, et ce qui reste encore à finaliser. Mais je sais que l’annonce d’une alliance de l’opposition parlementaire avait changé la donne et créé une nouvelle dynamique dans le paysage politique. Une remise en cause de cette alliance entraînera sans doute une redistribution des cartes sur l’échiquier politique. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Des secousses au niveau de la concrétisation des alliances, on les connaît. On se souvient de ce qui s’est passé en 2000, quand la formation d’une alliance entre le MSM et le MMM avait connu plusieurs rebondissements avant d’être conclue à la veille du Nomination Day, ce qui n’a pas empêché cette alliance de remporter les élections.
On se trouve actuellement dans une situation où une alliance parlementaire qui existe depuis quelques années, et qui a bien fonctionné sous un leader de l’opposition issu de la plus petite composante de cette alliance, doit maintenant se transformer en une alliance électorale. Donc, il y a d’une part les bonnes relations de travail qui se sont établies au cours de ces dernières années, mais aussi, d’autre part, de nouvelles exigences en ce qui concerne la répartition des tickets.
Visiblement, il y a un intérêt pour le MSM d’attirer le PMSD dans ses filets. Est-ce que le PMSD peut effectivement apporter quelque chose à l’alliance gouvernementale ?
Oui, effectivement, on peut s’attendre à ce que le parti au pouvoir, qui a été surpris par la dynamique créée par l’alliance de l’opposition, tente de miner cette alliance et de casser l’élan unitaire. Surtout quand dans le passé, ce parti a su se maintenir au pouvoir pendant de longues années en faisant preuve d’un opportunisme rendu possible par l’absence d’un engagement idéologique, facilitant le pragmatisme. D’autre part, on sait que ce parti dispose d’atouts considérables pour attirer dans ses filets, comme vous le dites.
Ceci dit, j’estime que même si les tentatives pour freiner la nouvelle dynamique aboutissent, cela ne se traduira pas nécessairement par des bouleversements sur le plan électoral. L’impact pourrait être davantage psychologique.
Il n’y a jamais eu depuis l’indépendance autant de Mauriciens qui veulent quitter le pays ou qui demandent à leurs enfants de ne pas rentrer au pays après leurs études»
Compte tenu de la personnalité de Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval, est-ce que cette alliance, si elle continue, pourra tenir dans la durée ?
J’espère que notre pays a atteint la maturité nécessaire pour que l’action gouvernementale ne soit pas tributaire de la personnalité des individus qui composent l’équipe dirigeante, mais plutôt d’un engagement sur une vision commune qui place les intérêts du pays et de son peuple au centre de l’action.
Notre pays fait face à des défis dont on sous-estime l’ampleur et sans cet engagement, on ne pourra pas relever ces défis. Il nous faut de la compétence, de l’intégrité, du respect des valeurs démocratiques pour mobiliser toutes les ressources de la nation vers la réalisation d’une vision partagée.
Est-ce que les tensions entre les trois grands partis de l’opposition profitent à l’opposition extraparlementaire ?
Je suppose que votre question porte sur les conséquences électorales pour les partis extraparlementaires d’un dysfonctionnement au sein de l’alliance entre les partis traditionnels. Franchement, je ne le pense pas.
Il y a des partis extra-parlementaires qui, au cours des années, ont apporté une contribution non-négligeable au débat public sur des enjeux nationaux. En fait, très souvent, il y a eu une réflexion plus profonde au niveau des partis extraparlementaires plutôt qu’au niveau des partis traditionnels. Toutefois, l’électorat continue à soutenir les partis traditionnels. Cela pourrait changer.
On a vu dans certains pays de brusques changements d’allégeance de l’électorat à la suite d’un désenchantement avec les partis traditionnels. À Maurice, même si les partis mainstream parlent de rupture, ils n’ont pas encore proposé un projet de rupture crédible.
Mais on peut également se demander si l’électorat mauricien réclame, en fait, un changement de gouvernants plutôt qu’un changement de système comme prôné par certains partis extraparlementaires.
Très souvent, il y a eu une réflexion plus profonde au niveau des partis extraparlementaires plutôt qu’au niveau des partis traditionnels»
En quoi ces élections générales seront-elles différentes des autres ?
On a entendu, ces derniers temps, certains dire que les prochaines élections seront aussi importantes que celles de 1967. En 1967, les Mauriciens devaient voter pour ceux qui voulaient l’indépendance du pays ou, au contraire, pour ceux qui étaient opposés à l’indépendance. Ces élections avaient au fond valeur de référendum. Une majorité s’est prononcée en faveur d’un changement de notre statut constitutionnel et contre le maintien du statu quo.
En 2024, les Mauriciens seront appelés à décider entre la continuité d’un régime qui s’est nettement écarté d’un certain consensus qui a prévalu malgré les alternances du pouvoir au cours des cinq dernières décennies, au point où plusieurs organismes internationaux ont revu à la baisse la note qu’ils accordaient auparavant à l’état de notre démocratie. Le fonctionnement de nos institutions a changé radicalement au cours des deux mandats du gouvernement sortant.
La gestion responsable de notre économie a connu un changement important. Le respect de la méritocratie a connu un revers très préoccupant. Il n’y a jamais eu, depuis l’indépendance, autant de Mauriciens qui veulent quitter le pays ou qui demandent à leurs enfants de ne pas rentrer au pays après leurs études.
La continuité voudra dire more of the same. Ce qui entraînera un changement radical de la société mauricienne et de la destinée du pays. Donc je pense, comme beaucoup d’autres, que si en 1967, on était appelé à se prononcer sur un changement de notre statut constitutionnel pour passer d’une colonie britannique à un État indépendant, en 2024 les Mauriciens sont appelés à se prononcer sur le maintien de la trajectoire dans laquelle nous sommes actuellement, ou un changement de trajectoire afin de restaurer les valeurs démocratiques, de tolérance, de méritocratie, de gestion économique responsable.
Est-ce que ce 1er-Mai sera le coup de départ de la campagne électorale ?
Un coup de départ de la campagne électorale, je n’en suis pas sûr, car la campagne a déjà commencé. Du moins, pour le régime au pouvoir. Mais un coup d’accélérateur, certainement.
Il n’y a aucun doute que le pouvoir, qui dispose de moyens sans précédent, cherchera à faire une démonstration de force qui, de son point de vue, provoquera le déclic nécessaire pour renverser la vapeur, en raison de l’usure qui afflige tout gouvernement ayant déjà servi deux mandats.
Est-ce que dans l’ère des nouvelles technologies, avec des meetings diffusés en direct par les médias, la bataille des foules à encore un sens ?
C’est un sujet qui suscite des débats à travers le monde. Est-ce que les médias numériques et les réseaux sociaux n’influencent pas le choix des électeurs davantage que les meetings ? Certains vont même jusqu’à s’interroger, étant donné la fiabilité des sondages dans certains pays, sur la possibilité de se passer des élections coûteuses et polarisantes, et de choisir un gouvernement directement à travers les sondages !
Ce qui est certain, c’est que l’information et la communication demeurent au centre de la stratégie des partis politiques, même si aujourd’hui la désinformation, facilitée par la technologie, est également un outil prisé pour certains politiciens.
Si les Mauriciens dans leur ensemble prennent conscience de la nécessité d’un changement constitutionnel, cette pression populaire incitera la classe politique à prendre les mesures nécessaires»
Rezistans ek Alternativ a tenu une conférence constitutionnelle, le 30 mars dernier, avec la quasi-totalité des partis de l’opposition présents. Pensez-vous que cela pourrait aboutir à quelque chose ?
Vous dites bien la quasi-totalité de l’opposition. Mais pourquoi seulement l’opposition. Pourquoi le parti au pouvoir n’était-il pas présent ? Est-ce parce qu’il ne croit pas en la nécessité d’une réforme constitutionnelle ?
J’accueille toute initiative visant à encourager une réflexion sur notre expérience constitutionnelle depuis 56 ans et à envisager comment moderniser et perfectionner notre régime constitutionnel, notamment en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux. La protection de ces droits, ainsi que le fonctionnement de la démocratie ont considérablement évolué à travers le monde depuis les années 60, quand notre Constitution a été rédigée. Différentes initiatives ont été entreprises pour engager une réflexion sérieuse sur la Constitution.
Tout cela débouchera sur quoi ?
Dans l’état actuel des choses, il incombe au Parlement d’adopter des amendements à la Constitution ou même d’abroger la Constitution actuelle et la remplacer par une nouvelle Constitution. Mais aussi longtemps qu’un parti au pouvoir a un vested interest dans le régime constitutionnel qui lui a permis de prendre le pouvoir ou de se maintenir au pouvoir, il ne sera pas dans son intérêt de changer quoi que ce soit.
Mais si les Mauriciens dans leur ensemble prennent conscience de la nécessité d’un changement constitutionnel afin de mieux protéger les institutions, promouvoir la démocratie et mieux sauvegarder leurs droits, c’est cette pression populaire qui incitera la classe politique à prendre les mesures nécessaires pour moderniser et perfectionner notre régime constitutionnel.
Un régime constitutionnel révisé et perfectionné est trop important pour être confié aux seuls politiciens. Il faut la participation de tous et le dernier mot doit revenir au peuple et non à la classe politique»
Il a été beaucoup question de « mauricianiser » la Constitution. C’est d’ailleurs l’avis exprimé par l’ex-DPP Satyajit Boolell. Partagez-vous ce point de vue ? Si oui, comment « mauricianiser » notre Constitution et pourquoi ?
Notre Constitution nous a été léguée par la puissance coloniale. Il y a eu, certes, des consultations avec les dirigeants politiques mauriciens, mais l’acte formel de l’adoption de la Constitution était un acte des autorités britanniques.
Une révision de la Constitution afin de combler les lacunes observées ces dernières 56 ans, et la modernisation de la Constitution qui tient compte des développements survenus avec les mutations technologiques, les nouveaux droits collectifs et individuels qui doivent être reconnus et protégés, doivent être menées par les Mauriciens.
D’ailleurs, une initiative à laquelle je participe avec d’autres collègues et amis s’appelle For a People’s Constitution. Nous souhaitons mettre l’accent sur le fait que le débat sur une réforme constitutionnelle doit être celui du peuple mauricien et il faut absolument encourager la participation de tous, la société civile, les ONG, les syndicats, les universitaires et toutes les composantes de la population. L’adoption éventuelle de nouvelles propositions devrait revenir au peuple mauricien.
Un régime constitutionnel révisé et perfectionné est trop important pour être confié aux seuls politiciens. Il faut la participation de tous et le dernier mot doit revenir au peuple et non à la classe politique.
En 2024, les Mauriciens sont appelés à se prononcer sur le maintien de la trajectoire dans laquelle nous sommes actuellement, ou un changement de trajectoire»
Quelles devraient être les priorités du prochain gouvernement ?
Les observateurs s’accordent à dire qu’aujourd’hui, les principales préoccupations des Mauriciens sont le coût et la qualité de vie, la prolifération de la drogue dans le pays, l’ordre et la sécurité. À tout cela s’ajoutent les questions liées à l’éducation, la santé, l’environnement, mais également l’indépendance de nos institutions, le combat contre la corruption, la méritocratie et les chances égales pour tous et une gestion ainsi qu’une vision économiques en phase avec de nouvelles aspirations. Les priorités d’un nouveau gouvernement devraient donc être de répondre à ces attentes.
On dit toujours qu’il est souvent plus facile de détruire que de construire. Ces dernières années, beaucoup de ce qui a été construit pendant les décennies précédentes a été détruit. La reconstruction ne sera pas toujours facile et prendra du temps. Mais il faut qu’il y ait la volonté de changer de cap et de remettre le pays sur la voie de la démocratie, de l’intégrité dans la vie publique, de la confiance dans les institutions, ce qui créera un climat favorable à l’investissement, la création d’emplois et l’amélioration de la vie des Mauriciens.
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