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Méthadone - La distribution décentralisée: loin d’être efficace

Le programme de distribution de la méthadone coûte à l’État plusieurs millions de roupies chaque année. Depuis janvier 2015, les centres de distribution ont été décentralisés. On compte désormais 42 sites à travers le pays. Si les autorités se disent satisfaites des retombées de la régionalisation, les associations engagées de la prise en charge des toxicomanes soutiennent qu’il existe d’autres domaines à tenir en ligne de compte. Vingt-quatre nouveaux sites de distribution de la méthadone ont été mis en place depuis janvier 2015. Ce projet a débuté dans la ville de Beau-Bassin / Rose-Hill, où la méthadone était distribuée à environ 900 bénéficiaires. Le programme de régionalisation a été mis en œuvre  en réponse aux plaintes sur le déroulement de la distribution avec seulement 18 centres à travers le pays. En effet, le nombre de centres était jugé insuffisant pour les 4 614 bénéficiaires de ce programme. Les sites étaient congestionnés et cela avait un impact considérable sur l’organisation. Depuis la décentralisation, les retombées ont été positives selon les autorités. Cet avis est certes partagé par les organisations non gouvernementales (ONG), mais pour ces dernières cela n’est toutefois qu’un aspect. Il existe d’autres lacunes à tenir en ligne de compte dans la prise en charge des toxicomanes à Maurice. La décentralisation a permis pendant ces quelques mois de venir à bout des problèmes, tel le comportement antisocial des bénéficiaires errant aux alentours des sites de distribution, selon le Dr Appalsamy Appadoo, responsable du Methadone Substitution Therapy Programme du ministère de la Santé. « Plusieurs cas de vol ont été rapportés dans ces régions avoisinantes de ces sites. En outre, les autorités ont enregistré des cas d’agression sur les habitants et les passants. Depuis que ces sites ont été décentralisés, le nombre de plaintes a diminué. C’est pour cette raison que le projet de décentralisation se poursuit. D’autres sites de distribution seront bientôt mis en place », souligne le Dr Appalsamy Appadoo. Et d’ajouter que le ministère a récemment constitué une équipe de professionnels qui a pour objectif de dynamiser la prévention.

Revoir l’organisation du programme

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/div> Toutefois, les associations soutiennent qu’on ne peut guère se reposer sur ses lauriers. Il existe d’autres lacunes du système à combler, et ce sans tarder. C’est en effet le point de vue soutenu par Nicolas Ritter, directeur de Prévention information lutte contre le sida (Pils). « Il ne faut pas se concentrer sur la décentralisation. C’est toute l’organisation de ce programme de distribution qui doit être revue. Les bénéficiaires sont désormais stigmatisés, la distribution se faisant dans la l’enceinte des postes de police. Cela démontre qu’il existe toujours la mauvaise tendance de mélanger le traitement de la toxicomanie à la répression. Malgré le coût du programme de la distribution de la méthadone et tout ce qu’il implique, il faut reconnaître qu’il sort les citoyens de l’enfer de la toxicomanie. Plusieurs ont pu refaire surface et ont repris leurs activités », souligne Nicolas Ritter. Pour les personnes vivant avec le VIH qui représentent, selon le directeur de Pils, près de 70 % des bénéficiaires de la méthadone, la décentralisation a quelque part contribué à leur rechute. « Il ne faut pas généraliser, mais pour de nombreuses personnes, distribuer la méthadone dans les postes de police est préjudiciable. Ainsi est-il très difficile de les motiver. En tant qu’association, nos ressources sont limitées. Nous pouvons tout simplement encourager ces personnes. Il appartient aux autorités de proposer des mesures incitatives. Il faut revoir notre approche sur les drogues en mettant l’accent sur le traitement et non sur la répression », lance Nicolas Ritter.

Vers une prise en charge structurée

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Ally Lazer, travailleur social engagé dans la lutte contre la toxicomanie, soutient lui aussi que la décentralisation est une solution à seulement une partie du problème. Compte tenu du fait qu’une grande partie des bénéficiaires sont atteints de VIH, des mesures spécifiques pour ces personnes doivent être entreprises. « Les personnes atteintes du VIH / Sida ont besoin d’une allocation pour subvenir à leurs besoins. Plusieurs n’arrivent pas à travailler alors que d’autres ont des contraintes, tels les horaires de distribution de la méthadone. » Certains membres du personnel du ministère de la Santé ne sont pas suffisamment formés pour travailler avec des toxicomanes, selon les observations d’Ally Lazer. D’autres, selon lui, considèrent cette responsabilité comme une « punition ». « L’accompagnement psychologique des bénéficiaires est toujours négligé, surtout ceux qui sont atteints du VIH. Le ministère doit travailler en étroite collaboration avec les experts paramédicaux, les psychologues ainsi que les travailleurs sociaux. » Et d’enchaîner qu’il compte déposer à la commission d’enquête sur les drogues ce lundi 18 avril, afin de dénoncer les trafiquants de drogue. Imran Dhannoo, responsable du Centre Idrice Goomany, partage l’avis de Nicolas Ritter en ce qui concerne la distribution de la méthadone dans l’enceinte des postes de police. Il soutient que ce lieu n’est pas approprié pour une telle démarche. « Si on prend en considération le point de vue des autorités, c’est pour plus de contrôle. Cet avis n’est pas partagé par les autres parties concernées. La distribution de la méthadone dans les postes de police est liée à une activité qui relève du Criminal Justice System. D’ailleurs, nous assistons à un rajeunissement de ce fléau. En procédant ainsi, on stigmatise davantage les toxicomanes. L’idéal serait de faire cet exercice dans les hôpitaux et leur fournir une aide sociale. » Par ailleurs, si Imran Dhannoo dit être confiant du traitement de la méthadone, il ne partage pas le même avis pour la Suboxone (NdlR : voir détails en hors-texte). « La méthadone est un agent de maintenance très efficace. D’ailleurs, les recherches ont prouvé qu’elle est un médicament de substitution à ceux atteints du VIH et d’hépatite. Et depuis son introduction en 2006, les résultats sont remarquables. Alors que, selon nos constats, les personnes qui prennent le Suboxone sont sujettes à des rechutes. Il me semble que le Protocol mis en place n’assure pas le bon déroulement. »  
   

Dr Anil Jhugroo: «La désintoxication privilégiée et non la substitution»

Depuis début 2016, le ministère de la Santé introduit progressivement un nouveau programme de la prise charge des toxicomanes basé sur la désintoxication au moyen du ‘Suboxone’ et de la ‘Naltrezone’. Les autorités impliquées dans la lutte contre la toxicomanie sont sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’introduction de ce nouveau programme, selon le Dr Anil Jhugroo, responsable de la Harm Reduction Unit du ministère de la Santé. « Notre objectif est de diminuer le nombre de toxicomanes à Maurice. De ce fait, l’accent sera mis sur la désintoxication et non sur la substitution. Il convient de noter que la méthadone est un produit qui contient les mêmes composants que les drogues dures, telle l’héroïne. Elle n’aide pas les bénéficiaires à sortir de la toxicomanie, mais agit tout simplement comme une drogue de substitution. Distribuée sous forme liquide à avaler, la méthadone diminue les risques de propagation des maladies, tel le VIH. Toutefois, avec le Suboxone, les bénéficiaires ont plus de chance de sortir du cercle vicieux de la drogue et de reprendre leur vie normale », explique le Dr Anil Jhugroo. Notre intervenant souligne également que les bénéficiaires auront accès à un suivi psychologique. « Après le traitement au Suboxone, ils seront traités avec la Naltrezone, un produit qui va leur permettre de mener une vie normale », affirme le responsable de la Harm Reduction Unit du ministère de la Santé.  
   

Les dessous de la distribution

À neuf heures, les toxicomanes semblent être dans un état léthargique devant le centre social à Ste-Croix. Avec leur petite fiole de méthadone à la main, ils arrivent à peine à se déplacer. Nous rencontrons Ajay, 36 ans. Il nous confie qu’il est sous traitement de la méthadone depuis plus de six ans. Pour lui, il s’agit d’une « potion magique » qui lui a sauvé la vie. « Depuis que je suis ce programme, j’ai pu me dénicher un emploi. En outre, c’est près de chez moi.  La décentralisation est une bonne chose, mais, parfois, nous arrivons trop tard. De 6 à 8 heures, c’est un délai trop court. Ceux qui travaillent dans l’équipe de nuit n’arrivent pas à l’heure au centre  », souligne Ajay. Toutefois, selon un autre habitant de la région, la méthadone ne fait qu’accentuer les problèmes liés à la drogue. « Dimun fer kouma fou kan zot fini bwar sa prodwi-la », lance-t-il. Pour lui, le gouvernement ne se concentre que sur la décentralisation. Il faut plutôt apporter un soutien psychologique et financier à ces toxicomanes, dit-il. C’est le même son de cloche du côté de Sébastien. Il affirme qu’il se drogue depuis plus de 20 ans, mais il n’a jamais éprouvé le besoin de prendre la méthadone. « Je ne suis pas accro à la drogue. Mais j’ai aussi constaté que la méthadone ne fait pas de miracles. D’ailleurs, les toxicomanes ne sont pas sensibilisés à ce traitement. La situation se détériore. Même après la décentralisation, l’atmosphère à ce site de distribution est déplorable. Il y a des toxicomanes qui agressent les passants. » Pour Sébastien, il faut trouver des solutions au problème du chômage. « Les ‘méthadoniens’ ont des problèmes financiers et ils sont frustrés. Leur donner de la méthadone ne suffit pas. »

Manque de contrôle

Hervé, impliqué dans des actions civiques dans la région de Ste-Croix que nous avons rencontré sur le site de distribution de la méthadone, insiste sur le fait que la décentralisation aurait dû être mise en œuvre bien avant. Bien qu’il soit satisfait de la décision du gouvernement, il fait ressortir que la force policière ne veille pas au bon fonctionnement de la distribution de la méthadone. « Il n’y a pas de contrôle rigoureux quand il s’agit de distribuer la méthadone. Nous avons noté que certaines personnes qui ne figurent pas sur la liste bénéficient de ce programme.  Les toxicomanes n’ont pas le droit de consommer la méthadone en dehors du centre, mais tel n’est pas le cas. Certains vont en vendre pour s’acheter de la drogue. Ils se réunissent dans le quartier et, parfois, ils n’arrivent pas à l’heure, ne respectant pas les horaires de distribution. Le voisinage vit dans la crainte. Il n’ose rien dire et au fil des années, il semblerait que l’attroupement des toxicomanes fait partie du décor. Toutefois, il y a de plus en plus de jeunes qui s’y mettent », souligne Hervé. Par ailleurs, Hervé précise que le Suboxone apporte des résultats positifs depuis quelque temps. Son effet est visible après quelques semaines et les toxicomanes sont réceptifs au programme. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15032","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-25206","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1269","height":"860","alt":"M\u00e9thadone"}}]]  
 

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