Le ministère des Finances a rendu public le Plan stratégique pour les trois ans à venir, en marge du discours budgétaire prononcé jeudi par Pravind Jugnauth, Premier ministre et ministre des Finances.
L’objectif énoncé dans le document est de permettre à Maurice de faire son entrée dans la ligue des « very high Human Development Index Countries » d’ici 2021.
Dans le domaine de l’agriculture, le gouvernement compte accroître l’exportation de sucre, qui est de 360 000 tonnes par an, pour la faire passer à 400 000 tonnes d’ici trois ans. Il envisage aussi de doubler la superficie des terres de l’État louées pour la culture de thé, en la faisant passer de 100 hectares à 200 hectares. Il augmentera la superficie des terres de l’État sous agriculture bio, en la faisant passer de 39,3 hectares à 120 hectares.
Pour ce qui est du secteur manufacturier et des petites et moyennes entreprises, le but est de mettre en place les mesures nécessaires pour une croissance de 9 % d’ici 2021.Le secteur touristique devra connaître une croissance significative. L’objectif est d’arriver à 1,6 million d’arrivées en 2020-21, contre 1,44 million pour l’année financière 2018-19. Cela devrait permettre aux recettes touristiques de passer de Rs 63 milliards à plus de Rs 75 milliards.
Le taux de chômage est estimé à 7,1 %. Le gouvernement espère pouvoir le faire descendre en dessous de la barre des 6 % d’ici trois ans. Les services financiers visent une croissance de 5,5 % par an afin de dépasser la barre des Rs 60 milliards. Le nombre d’employés dans le secteur des nouvelles technologies s’élèvera à plus de 30 000 d’ici 2021.
De gros investissements seront nécessaires pour atteindre ces ambitions. Au total, le gouvernement compte injecter Rs 69,1 milliards dans l’infrastructure économique (eau, aéroport, agriculture, fonction publique, énergie, routes et transport) et Rs 50,6 milliards dans l’infrastructure sociale (éducation, santé, sécurité et ordre public, logements sociaux, drains, sports…).
National Environment Fund : un tour de passe-passe à Rs 2 milliards
Le transfert de fonds inutilisés pour les projets de développement vers le National Environment Fund fait artificiellement grossir la somme investie par le gouvernement l’an dernier à Rs 15,7 milliards. Un montant qui est loin des projections et estimations du précédent Budget.
L’astuce n’est pas passée inaperçue. Après la présentation du Budget, le Parlement vote un Supplementary Expenditure qui interpelle. Il ne comprendra qu’un seul item, le National Environment Fund, portant sur une somme de Rs 2 milliards. Ritish Ramful, du Parti travailliste, a soulevé le lièvre : ces Rs 2 milliards inutilisées dans le précédent Budget seront considérées comme de l’argent investi. Des sources officielles au niveau de l’Hôtel du gouvernement disent également qu’il s’agissait bel et bien d’une tactique.
« Pas plus de 50 % du capital budget ont été dépensés. Le transfert vers le National Environment Fund nous permet d’ajouter cette somme au total », indique cette source. Les estimations pour le Budget 2017-18 étaient de Rs 42,3 milliards mais seulement Rs 15,7 milliards ont été dépensées. Sauf que ce montant comprend les Rs 2 milliards transférées au National Environment Fund. Si on soustrayait cette somme, cela ferait un total de Rs 13,7 milliards seulement.
Pravind Jugnauth a expliqué que le fonds serait revu pour mobiliser les investissements des bailleurs de fonds internationaux. L’argent serait donc utilisé pour une série de projets liés à l’aménagement de drains et la gestion des catastrophes naturelles. Ce qui est contraire à la vocation initiale de ce fonds, comme défini par l’Environment Protection Act.
Ce texte de loi révèle l’objectif du National Environment Fund : solliciter le soutien de laboratoires étrangers pour l’analyse d’échantillons environnementales ; élaborer des programmes pour la réduction de la pollution ; soutenir les ONG engagées dans la lutte contre la pollution ; encourager des initiatives environnementales locales ; publier des rapports sur l’environnement et financer les projets de gestion de déchets électroniques.
Un technicien qui connaît les rouages des Finances explique que si ces Rs 2 milliards n’avaient pas été utilisées, la somme aurait été perdue automatiquement. Au temps du programme-based budgeting, on pouvait investir les sommes non utilisées dans d’autres programmes, explique cette source. « Ce n’est pas possible avec le line budgeting », précise-t-elle.
Comment un gouvernement peut-il se retrouver avec de telles sommes inutilisées sur les bras ? Notre source l’attribue à la mauvaise planification. « Il n’y a personne pour faire une bonne planification. Il faudrait une équipe multisectorielle pour cela et faire des projections. La fonction publique compte de nombreux pushers of files. Il faudrait plus de techniciens à des postes à responsabilités. »
Aurore Perraud « Juste pour faire la bouche doux »
Pour Aurore Perraud, ce Budget « pour faire la bouche doux » est le signe que nous sommes bel et bien dans une période pré-électorale. C’est ce qu’elle a laissé entendre lors d’une conférence de presse, le vendredi 15 juin, à Astor Court. La responsable de communication du Parti mauricien social-démocrate estime que rien n’a été prévu dans ce Budget pour relancer trois secteurs : sucre, textile et pêche.
Alan Ganoo : « Un Budget décevant »
Le Budget n’a pas fait rêver les Mauriciens. C’est ce qu’estime le président du Mouvement Patriotique. Alan Ganoo s’exprimait lors d’une conférence de presse le vendredi 15 juin. Selon lui, c’est un Budget décevant qui ressemble davantage à un manifeste électoral.
Industrie cannière - Jacqueline Sauzier : « Une mesure minuscule avec la hausse du droit de douane »
Les principaux acteurs de l’industrie cannière sont restés sur leur faim. S’ils applaudissent la décision du ministre des Finances d’augmenter le droit de douane sur le sucre importé, ils considèrent par contre que rien n’a été dit sur la restructuration de ce secteur.
Jacqueline Sauzier, secrétaire générale de la Chambre d’agriculture, souligne que c’est une mesure minuscule de venir avec l’augmentation du droit de douane sur le sucre importé pour la porter à 80 %. Mais elle estime que c’est une bonne mesure.
« On demandait cette mesure depuis juillet 2017 avec la baisse du prix du sucre. C’est bien que le gouvernement ait pris cela en compte. Le rapport du Joint Technical Committee a recommandé une grande restructuration du secteur et on ne peut le faire en une ligne dans le Budget. C’est bien qu’il y ait un comité interministériel. »
Ce sont 10 % des sucres produits à Maurice qui sont vendus sur le marché local. « Avec cette décision, on consolidera le marché local », affirme Jacqueline Sauzier. En ce qui concerne le prix du sucre, elle souligne qu’il n’y aura aucun changement.
Salil Roy, président de la Planters’ Reform Association, se dit déçu : « On attendait des mesures phares. On est resté sur notre faim. C’est maintenant qu’un comité interministériel se penchera sur ce secteur. »
Il concède que le secteur a eu quelques miettes. « L’augmentation du droit de douane à l’importation de sucre est une bonne chose pour protéger cette industrie. J’applaudis aussi l’enlèvement du Cess Fund. Mais il faut venir avec des mesures urgentes, car à travers ce Budget, ce n’est pas un signal fort que le ministre des Finances a envoyé à la communauté des petits planteurs », conclut-il.
Baisse de l’impôt sur le revenu : moins de taxe pour 63 000 Mauriciens
C’est la mesure phare du Budget 2018-19. Ils seront 63 000 contribuables à payer moins de taxe sur leurs revenus. « Ces personnes touchent moins de Rs 50 000 par mois. Ce n’est pas juste de leur imposer le même fardeau fiscal. C’est pourquoi l’Income Tax passera de 15 % à 10 % pour elles. C’est une mesure sans précédent qui permettra d’augmenter le revenu des ménages et qui offrira du répit à la classe moyenne », a déclaré Pravind Jugnauth lors de son grand oral.
Quant aux contribuables qui touchent moins de Rs 23 462 par mois, ils n’auront aucun impôt à payer. Par contre, rien ne change au niveau de la taxation pour les 46 350 Mauriciens qui gagnent plus de Rs 50 000 par mois.
Nombre de contribuables concernés par l’Income Tax
Deux-roues : les motos bas de gamme et polluantes bannies sur nos routes
La disparition des motocyclettes bas de gamme et polluantes a été annoncé dans le discours budgétaire. Le Premier ministre et ministre des Finances a annoncé l’interdiction totale de cette catégorie de cyclomoteurs. Seuls les deux-roues répondant aux normes européennes seront autorisés à circuler sur les routes mauriciennes.
Avec une telle politique, on assistera à la disparition graduelle des motos équipées de moteurs à deux temps, donc celles réputées pour émettre de la fumée polluante. Les motocyclettes qui répandent d’importantes émissions de CO2 seront également interdites.
Une mesure qui a suscité diverses réactions chez les concessionnaires. Chez Moto Passion, des réserves sont exprimées : « Une partie de nos motocyclettes ne répondent pas aux normes européennes. Nous ne sommes pas d’accord avec cette mesure qui fera grimper les prix de ces motos d’entrée de gamme. »
« Nous ne comprenons pas cette décision du gouvernement dans la mesure où son objectif est de diminuer la pollution alors que les motocyclettes, en général, polluent peu. Nous devons étudier comment sera appliquée cette mesure », commente un responsable.
Du côté d’AR Chumroo Ltd, concessionnaire des marques chinoises Lifan et Loncin entre autres, on précise que la firme n’importe plus de motos qui ne répondent pas aux normes européennes depuis un an déjà. « Beaucoup de motos bas de gamme seront appelées à disparaître. Ce sont celles destinées aux marchés africains. On aura à Maurice uniquement des motos de qualité. Il y aura et donc des augmentations de prix sur les modèles bas de gamme chez certains revendeurs », commente Muzammil Chumroo, directeur d’AR Chumroo Ltd.
Les nouveaux conducteurs auront un permis provisoire
Cette mesure est passée inaperçue parmi les autres annonces concernant la sécurité routière. Pourtant elle va radicalement changer l’obtention du permis de conduire. Pravind Jugnauth, Premier ministre et ministre des Finances, a annoncé la création d’un permis de conduire probatoire de deux ans.
En clair, dès la mise en application de cette mesure, chaque nouveau conducteur qui réussira son examen obtiendra un permis de conduire provisoire. Si pendant ces deux ans il commet des infractions au code de la route, le délai de probation sera étendu. S’il commet des infractions importantes, son permis de conduire sera purement annulé.
Selon nos recoupements, on en saura plus sur cette mesure lors de l’intervention du ministre des Infrastructures publiques et du Transport, Nando Bodha, lors des débats budgétaires à l’Assemblée nationale.
Résultats probants
« Le permis provisoire est très bien, car lorsqu’on passe son permis de conduire, on ne devient pas tout de suite un bon conducteur. C’est avec l’expérience qu’on apprend réellement à conduire », commente Marc Girardin, président du Mouvement contre les accidents de la route.
Selon lui, si les conducteurs ne prennent pas dès le début l’habitude de respecter le code de la route, ils ne le feront jamais. « Avec un permis de conduire probatoire, ils seront prudents et respectueux du code de la route pendant ces deux premières années. Ils garderont ensuite cette bonne attitude. La période de deux ans est tout à fait adaptée. »
Marc Girardin précise que dans les pays, comme la Suisse, où le permis probatoire a été introduit depuis plusieurs années, les résultats sont probants en termes de réduction d’accidents routiers.
Zéro alcool au volant - Robin Appaya : « C’est une décision importante »
Robin Appaya, vice-président de l’association Prévention routière avant tout (PRAT), ne cache pas sa satisfaction quant à la décision relative à la prise d’alcool au volant. Désormais, les chauffeurs seront confrontés à une politique de tolérance zéro. « C’est une bonne mesure. On espère que cela dissuadera les gens à prendre le volant après avoir pris un verre d’alcool. C’est une décision très importante. Nous l’accueillons favorablement », dit Robin Appaya.
Il affirme qu’au sein de l’association, « nous avons toujours été contre l’idée de consommer de l’alcool et conduire. On ne sait pas quel effet un verre d’alcool peut avoir sur un individu. Il n’est pas conseillé de consommer ne serait-ce qu’un verre ».
Fini le temps où les 23 microgrammes d’alcool par 100 ml d’air expiré étaient tolérés. Un verre d’alcool ne sera pas autorisé pour ceux qui prennent le volant. Les automobilistes devront choisir. Sinon ils seront sanctionnés.
À l’Hôtel du gouvernement, on souligne que plusieurs pays ont adopté cette mesure, dont le Brésil, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie. « Il fallait venir avec cette mesure », dit une source proche du dossier.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !