La popularité grandissante des météorologues amateurs sur les réseaux sociaux ne passe pas inaperçue. Surtout dans un contexte où les services météorologiques de Maurice sont de plus en plus critiqués. Cette situation suscite des réactions variées.
Les réseaux sociaux pullulent de pages de météorologues amateurs qui, par passion, décortiquent les signes du temps et partagent leurs analyses. Un phénomène observé depuis quelques années déjà. Mais est-il sans conséquences ?
Évoquant le droit à la liberté d’expression, Karim Jaufeerally, observateur de l’environnement, n’y voit aucun inconvénient. Un avis que ne partage pas Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur en environnement. « Cette tendance à suivre des personnes qui ne sont pas des professionnels de la météorologie est dangereuse, car les Mauritius Meteorological Services (MMS) sont l’organe officiel chargé d’émettre des prévisions météorologiques », souligne-t-il.
Les services météorologiques ont récemment été sévèrement critiqués par rapport aux événements du 15 janvier dernier, et notamment au fait que la population n’a pas été suffisamment avertie des risques d’inondations. Les avertissements, lors du tout récent passage de la tempête tropicale modérée Candice, n’ont pas arrangé les choses. Selon Vassen Kauppaymuthoo, ce sont ce genre « d’imprécisions » qui incitent certains à ignorer les avis des MMS au profit des météorologues amateurs ou à consulter eux-mêmes les tendances numériques sur divers sites spécialisés.
Mais là où le bât blesse, c’est que ces mêmes météorologues amateurs émettent des commentaires et se forgent une opinion sans avoir les connaissances, la formation et l’expérience nécessaires pour interpréter les informations, souligne-t-il. « Bien que je donne mon avis en tant qu’océanographe, je dis toujours que l’organe de référence à consulter, c’est les MMS », insiste-t-il.
Aux services météo-rologiques, rappelle-t-il, il y a des prévisionnistes qui ont fait des études en météorologie, qui sont qualifiés et qui doivent gérer les risques lorsqu’ils émettent des prévisions. « Les MMS restent et resteront l’organe officiel pour émettre des avis et des prévisions météorologiques », affirme Vassen Kauppaymuthoo.
L’océanographe fait également remarquer qu’avec les changements climatiques, des phénomènes se développent rapidement et peuvent représenter des menaces, comme les zones convectives, qui peuvent entraîner la formation d’un nuage et des pluies torrentielles difficilement prévisibles. Il cite en exemple ce qui s’est passé à Acapulco en octobre 2023, où l’ouragan Otis est passé de la catégorie 2 à la catégorie 5 en 24 heures, provoquant d’énormes dégâts et faisant plusieurs morts.
De son côté, même s’il ne suit pas vraiment les commentaires des météorologues amateurs, Karim Jaufeerally estime que chacun a le droit de donner son opinion. « Je ne défends pas les météorologues amateurs, mais leur droit de donner leur opinion », fait-il comprendre.
Et puis, dit-il, c’est aux services météorologiques de fournir des prévisions adéquates. « Si les gens sont prêts à écouter les météorologues amateurs, c’est qu’il y a une perte de confiance dans les MMS, qui doivent tout faire pour redorer leur blason et montrer qu’ils sont à la hauteur en améliorant leurs prévisions », avance l’observateur de l’environnement. Si les MMS améliorent leurs compétences, les météorologues amateurs n’auront plus préséance, « ils n’auront plus de rôle ».
Néanmoins, dans un pays démocratique, on ne peut interdire aux météorologues amateurs d’exister et de donner leur avis quand, à côté, les MMS, qui disposent de tous les moyens nécessaires, ne parviennent pas à répondre aux attentes de la population. La station météorologique nationale doit être en mesure de faire des prévisions justes et de démontrer qu’ils sont de vrais professionnels, martèle Karim Jaufeerally.
Il est convaincu du fait que les services météorologiques ont « failli quelque part » et ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes face à la popularité grandissante des météorologues amateurs. Dans le même ordre d’idées, il est d’avis que ceux qui suivent les prévisions des météorologues amateurs seront les premiers à blâmer s’ils subissent les conséquences de prévisions erronées. « Tout comme il n’est pas interdit de faire des prévisions, les adeptes de ces météorologues amateurs doivent assumer leurs responsabilités pour toutes les dispositions qu’ils auront prises en lien avec leurs prévisions. »
Certes, la météorologie n’est pas une science exacte. Cependant, les météorologues amateurs doivent avoir une éthique et vérifier leurs informations avant de les partager, poursuit l’observateur. « C’est à eux de faire face à leur conscience en vérifiant les informations qu’ils diffusent. »
Tout cela fait dire à Vassen Kauppaymuthoo que, malgré les nombreuses critiques que les MMS ont dû subir ces dernières années, la population doit toujours avoir confiance en l’organisme. « On ne peut pas trop blâmer les MMS, car faire des prévisions, c’est compliqué », fait-il valoir. Et d’ajouter : « la météorologie, ce n’est pas comme les mathématiques, où deux plus deux font quatre. Il peut y avoir des événements qui prennent de court les prévisionnistes. »
Abordant la tempête tropicale modérée Candice, il rappelle que son développement est survenu, contre toute attente, plus lentement que prévu. Vassen Kauppaymuthoo rappelle aussi que même les modèles numériques n’ont pas été en accord sur la trajectoire que le système allait emprunter.
« il y a toujours un phénomène d’incertitude dans le déplacement d’un système, et on ne peut utiliser l’intelligence artificielle (IA) car il y a un aspect humain que l’IA ne pourra pas prendre en considération, ce que fait le prévisionniste en discutant avec ses collègues et en prenant en compte plusieurs facteurs », fait-il comprendre. De ce fait, les réseaux sociaux ne peuvent être utilisés comme un outil de connaissance à 100 % et ne peuvent donner toutes les informations nécessaires, car la complexité entre l’atmosphère et les océans fait que la modélisation numérique a du mal à fournir des indications précises sur le développement des nuages, ajoute Vassen Kauppaymuthoo.
Pour lui, les probabilités qu’un événement se produise sont plus fortes à mesure que l’on s’en approche, moins précises à moyen terme et pas du tout précises à long terme : « On ne peut pas blâmer les MMS, même s’il y a un problème dans leurs prévisions qu’ils doivent résoudre. »
L’océanographe se pose, par ailleurs, des questions sur la marge de manœuvre du directeur général des MMS dans la prise de décision. D’autant que des amendements à la Mauritius Meteorological Service Act 2019 le placent sous la supervision d’un « supervising officier » qui n’est pas un météorologue, mais qui peut lui donner des instructions. Il note aussi une faiblesse au niveau de la communication des MMS, ce qui fait qu’ils n’arrivent pas à atteindre le public et à répondre à ses attentes.
Vassen Kauppaymuthoo plaide également en faveur d’une modernisation des services météorologiques, ainsi qu’au niveau des alertes cycloniques qui prennent en compte divers éléments tels que les vents, les pluies torrentielles, les ondes de tempête, les houles et le risque d’inondations. « Il faut que les MMS se mettent à jour rapidement, communiquent mieux et évoluent avec la technologie, sans rester trop dans les procédures administratives », insiste l’océanographe.
Différence entre un « run » et une prévision météo
Un « run » est le résultat brut des calculs effectués par un modèle météorologique, représentant une simulation de l’évolution de l’atmosphère à partir d’un état initial donné. Les modèles météorologiques reposent sur des équations mathématiques décrivant les interactions entre divers éléments de l’atmosphère tels que la température, l’humidité, le vent ou la pression.
En revanche, une prévision météo correspond à un « run » qui a été retravaillé par un météorologue. Celui-ci utilise son expérience et son expertise pour ajuster les données brutes du « run » en fonction des conditions locales et des phénomènes météorologiques susceptibles de se produire. De plus, le météorologue peut prendre en compte les observations des stations météorologiques et des satellites météorologiques.
Source : Storm Tracking
Des passionnés avides de partager leurs connaissances
Passionnés de météorologie depuis leur enfance, Joël Courteau et Mishra Beekharry sont désormais présents sur les réseaux sociaux pour partager non seulement leur passion, mais aussi leurs analyses sur la situation météorologique.
Mishra Beekharry : « Le public doit faire preuve de discernement »
Membre de Storm Tracking depuis 2017, Mishra Beekharry a d’abord participé à une page forum de météorologues professionnels de Météo île de la Réunion pendant de longues années à partir de 2003. Cependant, avec l’avènement des réseaux sociaux et aux côtés d’autres passionnés de la météorologie, il participe désormais à la page Facebook de Storm Tracking.
« J’ai beaucoup appris de ces professionnels, ce qui me permet aujourd’hui de faire des prévisions avec aisance grâce aux diverses données disponibles », dit-il.
C’est en février 1994, lors du passage du cyclone Hollanda, que sa passion pour la météorologie a débuté. « C’est un événement qui m’a marqué et j’ai été fasciné par la puissance des vents du phénomène. Depuis, j’aime tout ce qui a trait à la météorologie, en particulier les cyclones », ajoute-t-il.
Aujourd’hui, c’est cette passion qui l’incite à partager ses connaissances sur la page de Storm Tracking. Pour cela, il a effectué de nombreuses recherches afin de se documenter. Cependant, c’est surtout son expérience sur le forum avec les météorologues réunionnais qui lui a permis d’acquérir des bases solides dans le domaine, ce qui lui permet de lire les cartes et d’interpréter les données météorologiques.
Faire des prévisions en tant qu’amateur ne lui pose pas de problème, car les analyses qu’il propose ne visent pas à se substituer aux Mauritius Meteorological Services (MMS), dont les publications sont soit reprises, soit citées comme source à la fin de chaque prévision. Mishra Beekharry affirme que les prévisions proposées par Storm Tracking sont entre 85 % et 90 % justes.
Tout comme n’importe qui n’est pas météorologue, n’importe quel météorologue amateur n’est pas habilité à faire des prévisions, selon lui. « Certains ne s’y connaissent pas du tout dans le domaine et font souvent des prévisions erronées », ajoute-t-il. Selon lui, le public devrait faire preuve de discernement en faisant des comparaisons entre ce que disent certains météorologues amateurs et les prévisions officielles des MMS ou de Météo France.
D’autre part, comme la météorologie n’est pas une science exacte, il souligne qu’il ne faudrait pas non plus trop se fier aux tendances numériques, qui ont dérouté les professionnels du domaine, avec des prévisions qui ne se sont pas avérées, comme cela a été le cas récemment avec le cyclone Belal et la tempête tropicale modérée Candice. « Beaucoup d’imprévus peuvent survenir à tout moment et changer complètement les prévisions initiales », fait ressortir Mishra Beekharry, qui, par amour pour ce sujet, souhaite partager au maximum ses connaissances.
Objectifs des Mauritius Meteorological Services
Selon la Mauritius Meteorological Services Act 2019, les MMS sont l’autorité officielle chargée de surveiller l’évolution du temps et du climat, incluant les phénomènes météorologiques extrêmes sur l’ensemble du territoire de la République de Maurice. L’organisme a pour mission de fournir des prévisions météorologiques, des avis et des avertissements pour le bien-être et la sécurité du grand public, entre autres.
Fonctions et pouvoirs des Mauritius Meteorological Services
Les MMS doivent également fournir des prévisions météorologiques ainsi que des services climatiques quotidiens et saisonniers. Le directeur des services météorologiques est placé sous le contrôle administratif d’un « supervising officer » du ministère de tutelle. Il est responsable de l’émission des frais pour les prévisions, les informations, les conseils, les services et les publications, ainsi que de l’exécution de la politique du ministère en matière de météorologie.
Joël Courteau : « La nature a toujours le dernier mot »
C’est vers l’âge de 7 ans que Joël Courteau a commencé à s’intéresser à la météorologie, ce qui fait que les cours d’histoire-géo étaient parmi ses préférés. Outre les cyclones, il est fasciné par le phénomène des marées. À travers les documentaires sur la météorologie qu’il a suivis assidûment, il s’est laissé transporter dans cet univers.
Au collège, la passion a grandi et il s’est efforcé de parfaire ses connaissances, comprenant à quel point la nature peut être imprévisible et qu’on ne peut pas la contrôler, mais qu’il faut savoir la comprendre et l’interpréter. « Plus on approfondit ses connaissances de l’évolution des phénomènes naturels et météorologiques, plus on devient humble, car il y a un changement perpétuel qui s’effectue », explique-t-il.
Il fait comprendre que la moindre petite variation de température peut changer complètement un événement météorologique. En tant qu’amateur, il tente d’apporter sa modeste contribution à la compréhension de ces phénomènes à travers des prévisions. Et si cela s’avère, c’est une grande satisfaction personnelle que cela lui procure.
« À MeteoHub Mauritius, notre but est d’informer le public », dit-il. Joël Courteau souligne aussi que le public est tout le temps invité à consulter les MMS, l’organe officiel des bulletins météorologiques habilité à émettre des avertissements. Quant à eux, ils ne font que donner leur opinion.
Comment réagit-il aux critiques du public à l’égard des MMS et des météorologues amateurs ? « On ne peut pas les empêcher », estime-t-il. Mais il assure que les prévisions que partage MeteoHub Mauritius sont assez justes et ne comportent qu’une faible marge d’erreur.
« Nous sommes confrontés à des événements météorologiques qui peuvent ne pas se produire en raison de divers facteurs. Il est plus compliqué de prédire qu’il va pleuvoir que de suivre la trajectoire d’un cyclone, car la nature est imprévisible et la moindre petite variation peut tout changer », soutient-il.
Selon lui, c’est la nature qui a le dernier mot, et aucun centre météorologique ne peut rien contre cela.
Sunil Dowarkasing : « Les météorologues amateurs ont leur place »
Quelle est l’influence des météorologues amateurs dans la crise de confiance envers les services météorologiques ? Difficile à dire, affirme d’emblée Sunil Dowarkasing, consultant en développement durable. Il préfère souligner que la météorologie n’est plus aussi précise qu’auparavant.
« Auparavant, tout était plus ou moins réglementé, avec des périodes bien définies pour les différentes saisons, et la période cyclonique était clairement délimitée. Mais avec les changements climatiques, il y a eu un dérèglement complet », fait-il ressortir.
« Les MMS ont des paramètres à respecter ainsi qu’un protocole, tandis que les amateurs n’ont personne pour contrôler leurs propos »
Avons-nous les technologies adéquates pour comprendre ce qui se passe ? « Pour qu’un météorologue fournisse des prévisions précises, il faut beaucoup d’équipements », souligne-t-il. Le radar dont disposent les MMS montre l’évolution des choses, mais ne peut pas nous indiquer ce qui se passe dans notre océan. « Tous les événements climatiques qui surviennent actuellement trouvent leur genèse dans ce qui se passe dans les océans, qui régulent le climat, que ce soit les cyclones, les inondations soudaines ou les fortes précipitations des averses », explique-t-il.
Sunil Dowarkasing met en avant le rôle crucial des océans dans le maintien de la terre habitable, en absorbant 90 % de l’excès de chaleur du soleil. Cela entraîne le réchauffement de la température des océans et de la surface de la mer, qui, en augmentant, n’est pas uniforme et peut varier entre 28 et 30 degrés Celsius par endroits. Ainsi, une forte évaporation de l’eau de mer peut donner naissance à un cyclone, un ouragan ou engendrer des averses importantes, causant des inondations soudaines.
« Les MMS sont la seule autorité officielle habilitée à émettre des bulletins météorologiques »
Avec les changements climatiques, la météorologie est devenue encore plus complexe, car les technologies nécessaires pour comprendre et interpréter ce qui se passe dans la mer ne sont pas encore disponibles. La tâche est d’autant plus difficile, compte tenu de l’étendue des océans. Le consultant en développement durable rappelle que les événements climatiques, tels que les cyclones, prenaient plusieurs jours pour se former, mais avec l’augmentation de la chaleur de la mer, ils se forment ou se désagrègent plus rapidement, et ces variations ne sont pas toujours détectables. Ainsi, les météorologues ne peuvent que faire des projections, car les changements climatiques en eux-mêmes sont incertains.
Du reste, si certains météorologues amateurs ont gagné en popularité au détriment des MMS, c’est parce qu’ils peuvent s’exprimer sans aucune restriction, estime Sunil Dowarkasing : « Les MMS ont des paramètres à respecter ainsi qu’un protocole, tandis que les amateurs n’ont personne pour contrôler leurs propos. »
Se pose toutefois un problème éthique. Car les propos des amateurs ne peuvent être pris en considération en l’absence d’une validation par un organe officiel. « Nous devons nous baser sur les prévisions des MMS, car ils sont la seule autorité officielle habilitée à émettre des bulletins météorologiques », affirme Sunil Dowarkasing.
« Il faut mettre les ego de côté et prendre en considération la vie de la population et l’économie du pays, en se plaçant au-dessus de la mêlée »
Et puis, cela peut s’avérer dangereux, car les changements climatiques peuvent créer des situations extrêmes en l’espace de trente minutes à une heure. Ainsi, un niveau de professionnalisme avéré est nécessaire dans tout le travail de suivi des cyclones, insiste Sunil Dowarkasing : « Un cyclone aujourd’hui n’est pas seulement du vent et de la pluie. L’impact est bien plus grand de nos jours, tout comme les dangers. Il est donc important d’être beaucoup plus précis dans les prévisions sans basculer d’un extrême à l’autre. » Il fait ici référence au passage de la tempête tropicale modérée Candice, où les MMS se sont montrés « excessivement prudents » après avoir subi d’énormes critiques lors du passage du cyclone Belal, une semaine plus tôt.
Néanmoins, pour Sunil Dowarkasing, les météorologues amateurs ont leur place, tout comme toutes les autres compétences disponibles, car les changements climatiques vont au-delà des clivages politiques. « Il faut mettre les ego de côté et prendre en considération la vie de la population et l’économie du pays, en se plaçant au-dessus de la mêlée. » Et d’insister : « Nous allons faire face à des situations plus dangereuses que celles que nous avons connues jusqu’ici, et il faudrait s’y préparer pour savoir quoi faire. »
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !