Une étude approfondie sera entreprise par le ministère du Travail. L’objectif est d’évaluer la demande et de proposer des formations appropriées. Cela se fera en collaboration avec le ministère de l’Éducation pour remédier au déséquilibre entre les chercheurs d’emploi et les offres disponibles.
Par rapport à cette étude approfondie, les instructions ont déjà été données aux officiers du ministère du Travail. Le recrutement d’un consultant pour effectuer cette étude nationale auprès des différents secteurs d’activité est d’ailleurs envisagé. Selon le ministre du Travail, Reza Uteem, les statistiques actuelles et à la disposition du ministère ne reflètent pas la réalité.
Par le passé, des « National Labour Market Survey » ont été menés par le National Employment Department. Ils visaient notamment à analyser les données sur le marché du travail eu égard de la demande. « Dans les 5 dernières années, des questionnaires ont été envoyés à des employeurs. Pour l’exercice de 2024, seuls 10 % des 4 700 employeurs du privé sondés ont répondu », indique le ministre.
La question de l’emploi et la disponibilité de la main-d’œuvre sont un sujet d’actualité dans divers pays du monde. Selon un récent rapport du World Economic Forum, la pénurie de talents et/ou de main-d’œuvre fait partie du paysage mondial actuel des risques. Des tendances démographiques défavorables pourraient accentuer les risques sociétaux au cours des dix prochaines années. Les crises des retraites et les pénuries de main-d’œuvre dans le secteur des soins de longue durée risquent de devenir des problèmes aigus, auxquels les gouvernements ne pourront pas remédier facilement d’après le World Economic Forum.
Selon les données de Statistics Mauritius, le nombre de personnes considérées comme inactives se chiffrait à 423 400 au troisième trimestre 2024, contre 424 500 au trimestre précédent.
La question de l’emploi et la disponibilité de la main-d’œuvre sont un sujet d’actualité dans divers pays du monde»
Maurice dispose d’une population limitée et vieillissante suite à un problème démographique dans le pays qui influe sur le défi de la main-d’œuvre. En général, le secteur financier requiert entre 1 500 à 2 000 chaque année. Pour Samade Jhummun, CEO de Mauritius Finance, la problématique de la main-d’œuvre ne peut être réglée. « Il n’y a pas suffisamment de main-d’œuvre qualifiée sur le marché. Cela force les entreprises à puiser dans les ressources existantes qui sont déjà en poste ailleurs et c’est un cercle vicieux », indique-t-il.
Le déséquilibre sur le marché de l’emploi est flagrant et les choix d’études sont pointés du doigt. Samade Jhummun affirme que ces choix ne doivent pas être dictés par la facilité. « L’étudiant risque de se retrouver sans emploi après l’obtention de son diplôme. Il faut bien canaliser les étudiants avec une liste de filières prioritaires », avance-t-il. D’où la nécessité, selon Areff Salauroo, président de l’Association of Human Ressource Professionals of Mauritius (MAHRP), d’effectuer une analyse des besoins nationaux. « Des zones de pénurie n’ont pas été prédéfinies. Bien au contraire, les études sont réalisées en fonction d’une certaine tendance », ajoute-t-il.
Main-d’œuvre étrangère
Pour Samade Jhummun, l’importation de compétences pourrait être une solution. Cependant, il admet que ce n’est pas un remède miracle, car un étranger expérimenté ne viendra pas forcément travailler à Maurice. « Un travail de sensibilisation est nécessaire pour attirer la diaspora mauricienne et leur faire connaître les opportunités disponibles sur place », soutient-il.
Pour sa part, Areff Salauroo ajoute que le recours à la main-d’œuvre étrangère est indispensable à tous les niveaux. De plus, il suggère de revoir l’âge de la retraite à Maurice. Il faudra, dit-il, tenir compte de la spécificité des secteurs et de la capacité physique de l’employé, entre autres. Par ailleurs, les salons de l’emploi (« job fair ») organisés par la Mauritius Finance vont se poursuivre cette année en vue de trouver preneur aux postes vacants.
Emploi à Maurice
- Troisième trimestre 2024 - 560 700
- Deuxième trimestre 2024 - 556 700
- Troisième trimestre 2023 - 556 100
Taux de chômage
- Troisième trimestre 2024 - 5,9 %
- Deuxième trimestre 2024 - 6,2 %
- Troisième trimestre 2023 - 6,3 %
Questions à…Adilla Diouman-Mosafeer, directrice de Talent Lab : «Sans des mesures concrètes, l’exode des talents mauriciens va se poursuivre»
Les années changent, mais certains défis demeurent. Qu’est-ce qui explique que la main-d’œuvre demeure l’un des principaux défis pour divers secteurs à Maurice ?
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, la politique d’« un gradué par foyer » introduite au début des années 2000 a un impact positif. Les jeunes rejoignent le marché du travail en étant gradués ou diplômés. Le secteur hôtelier ou l’agriculture, soit des secteurs de travaux manuels, n’intéressent pas grand monde. Le secteur vocationnel a été redynamisé récemment et l’effet escompté va prendre du temps.
Certains métiers n’ont pas été suffisamment valorisés pour attirer les gradués et nous avons pris du retard pour la disponibilité de la main-d’œuvre. Il y a aussi le fait que les jeunes qui émergent prônent la transparence et que leur voix soit entendue. Cela va perdurer avec les nouvelles générations qui ont des valeurs différentes de celles qui ont précédé.
Les jeunes perdent espoir à cause du manque de méritocratie. Ils préfèrent un pays où leur compétence sera valorisée. Il y a eu peu de progrès en matière de rémunération. Néanmoins, les jeunes veulent voir une évolution rapide. À Maurice, on n’en est pas encore là.
D’autre part, les jeunes professionnels qui viennent de fonder une famille font face à un coût élevé de la vie à Maurice. L’accès à l’information donne la perception, qu’elle soit vraie ou fausse, que le progrès dans la vie se fera hors de Maurice. Nous ne sommes pas en train de régler les problèmes fondamentaux pour faire de Maurice un pays attractif. Maurice a une avance sur certains pays dont les travailleurs viennent ici, mais il est en retard par rapport à d’autres juridictions.
Les jeunes perdent espoir à cause du manque de méritocratie et préfèrent un pays où leur compétence sera valorisée»
La politique d’ouverture des autres pays a-t-elle empiré la situation à Maurice notamment concernant l’exode des talents ?
Il y a une compétition sur le marché international du travail. Les Mauriciens ont plus d’options et ils sont devenus mobiles. Un comptable avec cinq ans d’expérience touche environ Rs 70 000 à Maurice. Ce même salaire est triplé, voire plus à Malte ou au Luxembourg, avec des conditions de vie meilleures. Le Canada ferme un peu ses frontières, mais il a beaucoup attiré dans le passé. Sans des mesures concrètes, l’exode des talents mauriciens va se poursuivre.
La main-d’œuvre étrangère sera-t-elle un maillon essentiel pour le développement économique de Maurice ?
Il est essentiel pour Maurice d’avoir recours à la main-d’œuvre étrangère, afin de combler le manque sur le marché local. Il n’y a pas une entreprise à qui je parle qui prétend ne pas faire face au défi de la main-d’œuvre. L’économie risque de ralentir. Il faut avoir une ouverture d’esprit et accepter qu’on est comme Dubaï qui a un manque de main-d’œuvre local. Il faut donc solliciter les travailleurs étrangers, le temps de stabiliser le marché local.
À quel niveau doit-on avoir recours aux travailleurs étrangers ?
Il y a le niveau d’entrée dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, principalement les serveurs, les nettoyeurs, les travailleurs manuels. Pour ce qui est du niveau moyen pour les postes « corporates », bureautique, informatique, comptabilité entre autres, nécessite de la main-d’œuvre qualifiée et avec de l’expérience. Le secteur médical et le management aussi. Entre-temps, les jeunes diplômés vont gagner en expérience et monter graduellement. Les entreprises doivent avoir une politique de « graduate scheme ». Elles doivent recruter de jeunes diplômés pour les former. On ne doit pas leur donner des piles de dossiers à gérer, mais leur proposer un accompagnement adéquat pour leur épanouissement.
Quota
La solution à court terme choisi par le ministère du Travail est de permettre le recrutement de travailleurs étrangers dans des « scarcity areas ». Le ministère facilite ainsi les permis de travailleurs pour ces secteurs. « Il y a un quota entre nombre d’employés mauriciens et étrangers. Toutefois, cela ne s’applique pas aux secteurs comme le textile et la construction », rappelle Reza Uteem.
Secteur hôtelier
Il est probablement grand temps de revoir le fonctionnement de l’école hôtelière, selon Reza Uteem. Il y a une forte demande d’emploi émanant des restaurants et hôtels pour des employés. « Il faut former davantage de Mauriciens afin de ne pas avoir recours à la main-d’œuvre étrangère », affirme-t-il.
Recrutement des travailleurs étrangers : des sanctions à venir
En 2023, le précédent régime avait pris la décision de ne pas autoriser le recrutement des Bangladais. Pour cause, certains travailleurs étrangers ne retournaient pas dans leur pays après l’expiration de leur permis de travail. « Une enquête sera effectuée pour connaître le nombre de travailleurs illégaux en opération à Maurice. J’ai appris avec stupéfaction qu’au niveau du ministère du Travail, il est connu que plusieurs employeurs maintiennent des étrangers en poste sans renouveler leur permis de travail. Des actions légales n’ont jamais été prises », déplore Reza Uteem.
Il ajoute que certains des travailleurs concernés ne sont pas au courant que leurs employeurs n’ont pas renouvelé leur permis de travail. Ces employeurs agissent en infraction de la loi. Face à ce laxisme, le ministère prendra des sanctions, car c’est un manque à gagner dans la caisse de l’État. Un « Enforcement Department » sera mis en place au niveau du ministère. « Aucune nouvelle demande de permis pour des travailleurs étrangers du groupe pour les employeurs concernés ne sera traitée, jusqu’à que les montants dus au gouvernement soient réglés », fait-il ressortir.
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