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Lutte antidrogue - NADC : un moteur qui ne démarre pas

Six mois après sa création, la National Agency for Drug Control peine toujours à trouver son rythme. Le Premier ministre lui-même reconnaît des dysfonctionnements, tandis que les acteurs de terrain appellent à davantage d’expertise et de représentativité.

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Le constat est clair : « La NADC (National Agency for Drug Control) ne fonctionne pas comme il faut », admet Navin Ramgoolam. Une reconnaissance que saluent plusieurs figures du secteur. « C’est très positif », souligne Danny Philippe, de l’association Drip (Développement-Rassemblement-Information et Prévention). Pour lui, cet aveu marque un pas dans la bonne direction : « Cela peut aider à faire bouger les choses. À Maurice, les compétences existent. Il faut simplement savoir les mobiliser. »

De son côté, l’addictologue Kunal Naïk apporte un éclairage nuancé. « C’est une nouvelle agence encore en construction. Elle a besoin de personnel », explique-t-il. Mais six mois se sont déjà écoulés, et plusieurs ONG ont fait remonter des problèmes persistants. Les rencontres demandées par certains acteurs ne se sont jamais concrétisées. « Plusieurs personnes ont tiré la sonnette d’alarme », rappelle-t-il. Ces organisations, engagées depuis des années dans la réhabilitation et la prévention, craignent que le processus de mise en place ne s’enlise.

Pour Kunal Naïk, la composition de la NADC doit être repensée. L’agence gagnerait à inclure des experts reconnus et des représentants de la société civile. Il plaide notamment pour que la communauté Rasta, ainsi que les ONG spécialisées en prévention et traitement, y soient représentées : « Leur voix compte, leur expérience du terrain est indispensable. »

Un avis partagé par Danny Philippe, qui insiste sur la gravité de la situation à Maurice : « Il faut des professionnels qui comprennent la réalité du terrain. Les spécialistes ne sont pas nombreux, et certaines ONG, pourtant actives depuis longtemps, ont été écartées. Leurs travailleurs sociaux connaissent les réalités du terrain. Leur contribution serait précieuse. »

Selon nos informations, plusieurs noms de personnes expérimentées circulent pour occuper des postes clés au sein de la NADC. Ces profils connaissent les rouages de la politique antidrogue et œuvrent depuis longtemps pour l’intérêt public. Pourtant, aucune d’elles n’a été approchée jusqu’ici. « Il faut des gens motivés, pas seulement des représentants administratifs », soutiennent nos interlocuteurs.

Imran Dhannoo, du Centre Idrice Goomany, tempère toutefois les critiques : « Il faut donner le temps au temps. C’est une nouvelle agence, encore en phase de structuration. »

Le CEO de la NADC, le Dr Fayzal Sulliman, l’a également expliqué : l’agence ne dispose pas encore de son personnel dédié. Le Premier ministre l’a confirmé au Parlement, le mardi 28 octobre, en réponse au député Franco Quirin. Pour l’heure, dix officiers du bureau du PM épaulent temporairement la NADC dans les domaines de l’administration, des finances et des ressources humaines.

« Une organisation ne peut fonctionner sans son propre personnel », indique Imran Dhannoo. Selon lui, les critiques sur l’inaction sont prématurées : il faut tenir compte des réalités administratives et logistiques.

Le NADC Act de 2025 définit clairement son mandat : coordonner la lutte antidrogue dans tous ses volets — prévention, traitement, réhabilitation, réduction des risques et contrôle de l’approvisionnement. « La NADC n’applique pas directement les mesures », précise Imran Dhannoo. Pour lui, il serait injuste de pointer du doigt le CEO ou l’agence elle-même : « On ne peut pas tout attendre d’une structure encore en phase de lancement. »

Il reconnaît toutefois les attentes élevées du public : « Le pays fait face à un grave problème de drogue. Le gouvernement a présenté la NADC comme une solution, mais elle n’a que quelques mois d’existence. Certains pensent qu’elle résoudra tout immédiatement, c’est irréaliste. La NADC n’est pas la police, elle n’arrêtera pas les trafiquants. »

L’agence a déjà organisé quelques rencontres avec des ONG, mais les acteurs du terrain estiment qu’il en faudrait davantage pour identifier les obstacles et faire remonter les difficultés au niveau décisionnel. Selon Dhannoo, la NADC se heurte à des lourdeurs administratives qui freinent son efficacité.

Et le National Drug Secretariat ?

Face à ces lenteurs, une question revient souvent : pourquoi avoir supprimé le National Drug Secretariat (NDS) ? Cet organisme, désormais dissous, menait autrefois de nombreuses activités et supervisait même l’Observatoire des drogues.

Pour Imran Dhannoo, la cohabitation entre le NDS et la NADC aurait été impossible, leurs cahiers des charges étant différents. Avec l’entrée en vigueur de la NADC Act, le NDS a donc perdu sa raison d’être. D’ailleurs, le NDS lui-même avait remplacé la National Agency for the Treatment & Rehabilitation Of Substance Abuse (NATReSA), dissoute en 2016.

Un ancien fonctionnaire nuance cette analyse. Selon lui, le NDS aurait dû continuer à fonctionner en parallèle, le temps que la NADC devienne réellement opérationnelle. « Le NDS, rattaché au bureau du PM, assurait leadership et coordination », rappelle-t-il.

À ses yeux, la NADC reprend partiellement le modèle de la NATReSA, dont le mandat était devenu obsolète. Mais contrairement à cette dernière, la nouvelle agence fonctionne comme un corps paraétatique, dominé par des représentants d’institutions publiques. « Il y a très peu de représentants de la société civile, encore moins d’ONG », regrette l’ancien cadre.

Cette composition, selon lui, crée des lourdeurs administratives et limite la réactivité. Le NDS aurait pu assurer la continuité, en coordonnant les actions pendant que la NADC se concentrait sur des volets spécifiques — comme la réhabilitation ou le traitement. Cela aurait facilité la transition et permis un travail plus proche du terrain.

Aujourd’hui, les responsables de la NADC semblent encore chercher leur voie. « Chacun possède une expérience dans un domaine précis, mais pour faire bouger les choses, il faut connaître le système », explique l’ancien fonctionnaire. Le NDS, selon lui, maîtrisait les rouages institutionnels et savait mobiliser les différentes parties prenantes. Les cadres actuels de la NADC disposent certes de compétences reconnues, mais ils seraient « un peu en décalage » avec les réalités du terrain. Pour qu’elle fonctionne, la NADC doit impérativement réunir des profils capables de naviguer dans l’administration publique tout en entretenant un lien fort avec la société civile. « C’est ce qui manque aujourd’hui pour créer une vraie symbiose », fait-il ressortir.

Le NDS, lui, y parvenait. Il avait mis sur pied le Drug Users Administrative Panel et faisait fonctionner les observatoires de drogues, en recueillant les données de toutes les parties prenantes. Actuellement, la NADC semble, selon cet ancien fonctionnaire, « perdue ». Et le constat est sévère : « Rien ne semble fonctionner », conclut-il.

 

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