Interview

Lovania Pertab, présidente de Transparency Mauritius : «Les critères de nomination doivent devenir transparents»

Lovania Pertab

La présidente de Transparency Mauritius commente la chute de Maurice dans l’indice de perception de la corruption. Lovania Pertab donne son avis sur la politique de nomination dans les corps paraétatiques et autres institutions clés du pays. Des manquements majeurs, notamment l’absence d’une loi sur l’accès à l’information et sur le financement des partis politiques, ont aussi été abordés.

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« Il est grand temps que tous les critères de nomination deviennent transparents et publics »

Maurice est à la 56e place du classement de Transparency International, perdant deux places même si elle a gagné un point. Expliquez-nous pourquoi ?
Transparency International procède chaque année à la compilation d’un indice pour mesurer le niveau de corruption dans 180 pays. Cette compilation n’est pas faite par Transparency Mauritius, mais par des institutions internationales choisies par Transparency International. Pour Maurice, nous savons qu’il s’agit de cinq institutions internationales. Si le pays a gagné un point, cela veut dire qu’on a progressé. Malheureusement, sur plan international, Maurice rétrograde, passant à la 56e place, alors qu’au niveau africain, il est 6e. Au niveau de Transparency Mauritius, on constate cet état de choses avec tristesse. Cela veut dire qu’il y a des choses à changer.

Lesquelles ?
Le constat que nous faisons, c’est qu’il y a un lien direct entre la démocratie et la corruption. Plus un pays est démocrate, moins il est corrompu. Le Denmark, par exemple, a un espace démocratique bien élargi et est le pays le moins corrompu. Les pays qui se trouvent au bas de l’échelle sont rongés par des conflits et des problèmes de pauvreté.

Vous parlez d’élargissement de l’espace démocratique. Comment on pourrait y parvenir ?
Je crois que rien n’a été fait ces 10 dernières années pour aller nous mettre au pas de tous les progrès faits en matière de bonne gouvernance et d’amélioration de la démocratie dans le monde. On n’a toujours pas de loi sur le financement des partis politiques, sur l’accès à l’information, la protection des lanceurs d’alertes ou la bonne gouvernance. Tous ces manquements pèsent lourd dans l’indice de la corruption à Maurice. Puis, en 2018, il y a eu pas mal de scandales qui ont dû peser dans la balance. Il y a eu l’ex-Présidente, les conclusions de la commission Lam Shang Leen et certaines nominations que la population considère comme étant du favoritisme.

Transparency mentionne également les pouvoirs discrétionnaires de nomination du gouvernement…
Au-delà de la compilation de l’indice, je crois qu’il est grand temps pour Maurice de venir avec des critères clairs et transparents quand il s’agit de nominations. Nous espérons que dès que cela se fera dans le secteur public, le secteur privé suivra. Toute nomination et toute promotion doivent être faites sur des critères justes.

L’Icac enquête sur les procédés utilisés pour des nominations à la Financial Services Promotion Agency. Ce n’est toutefois pas un cas isolé. Y a-t-il un problème avec les corps paraétatiques à Maurice ?
Quand nous prônons une lutte sans merci contre la corruption, nous prônons aussi une lutte contre le favoritisme. Il est grand temps que tous les critères de nomination deviennent transparents et publics. Tant que cela ne se fait pas, il sera possible pour un politicien d’user et d’abuser de son pouvoir pour une nomination et nous allons être très loin dans l’échelle de la lutte contre la corruption. C’est pourquoi nous demandons au gouvernement d’établir une stratégie nationale contre la corruption. Cela viendrait combattre la grande corruption, la corruption politique ainsi que les actes de corruption mineurs et les nominations.

Une plateforme syndicale réclame la formation d’une Statutory Bodies Service Commission pour superviser tous les recrutements et promotions dans les corps paraétatiques. Vos commentaires ?
S’ils mettent sur pied une commission pour nommer des personnes au niveau parapublic et public, pour dire que les normes deviennent transparentes, pourquoi pas ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas passer par la Public Service Commission (PSC) plutôt que de faire doublon ? Pour être plus précis, il faut qu’il n’y ait plus de nominations qui tombent en dehors de la PSC. C’est là qu’il y a un loophole.

La PSC n’est pas exempte de critique. Elle délègue une partie de ses pouvoirs et n’a de comptes à rendre à quasiment personne. L’Equal Opportunities Commission ne peut lui demander des comptes par exemple…
C’est pourquoi nous prônons l'accès à l’information. Demain, si une personne postule pour un job et ne l’obtient pas, elle peut recourir à une Right to Information Act pour savoir pourquoi elle n’a pas été retenue. Si les informations obtenues indiquent qu’elle a été lésée, qu’elle est victime de corruption, elle peut entrer une action en Cour pour que ses droits soient respectés. Tant que vous n’avez pas les informations nécessaires pour décider s’il y a corruption ou non, cela explique la perception des Mauriciens que tout est opaque. Si vous voulez qu’à l’avenir, les gens aient confiance dans les institutions, il faut que tout soit transparent.

Certains ont proposé une commission pour les nominations aux postes constitutionnels et autres postes importants…
Je crois qu’elle deviendra nécessaire si, à l’avenir, on veut « the right person at the right place », si on veut veut que l’espace démocratique s’élargisse, que les citoyens aient confiance dans les institutions. Il faudrait une telle commission.

Outre les corps paraétatiques, il y a aussi la situation concernant les compagnies publiques. Les députés ne peuvent poser des questions à leur sujet au Parlement. Est-ce une anomalie selon vous ?
Beaucoup d’institutions à Maurice sont figées dans le temps et n’ont pas bougé avec tous les progrès qui ont été faits en matière de bonne gouvernance. Il y a une demande que toutes les institutions soient ‘accountable’ et ce n’est pas le cas de compagnies, comme Air Mauritius, qui ne donnent pas de renseignements au niveau du Parlement. Je peux comprendre que certaines informations soient confidentielles, mais pas toutes. Il faut que le Parlement revoit ses Standing Orders.

Il suffirait simplement d’amender les Standing Orders, sans toucher à aucune autre loi ?
Non, je ne crois pas. Ce sont les Standing Orders qui mentionnent que le Parlement peut ne pas répondre à certaines questions par rapport aux compagnies au sein desquelles le gouvernement est actionnaire.

Vous avez mentionné l’absence d’une loi sur le financement des partis politiques. Le Premier ministre en a présenté une ébauche où il n’y a pas de registre public des donations des entreprises aux partis politiques. Est-ce un manquement grave ?
Toutes les législations qui viendront mettre de l’ordre devront aller jusqu’au bout si voulez combattre la corruption. Il faut que la loi sur le financement des partis politiques soit complète et aille jusqu’au bout du problème.

On voit également de plus d’exemples d’opacité quand il s’agit d’accords signés avec des gouvernements étrangers, comme tout récemment avec l’Inde à Agaléga. Est-ce inévitable ?
Au niveau de Transparency Mauritius, nous n’encourageons pas ce type d’accords, même entre États. Nous pensons que les citoyens doivent absolument être au courant de ce qui les concerne. Si vous signez un contrat qui dit que vous êtes tenu à la confidentialité, vous êtes lié. Mais il faut une décision politique et éthique en amont. Il faut autant que possible refuser de signer ce genre d’accords.

 

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