La question de la participation des femmes en politique revient sur le tapis suite aux propositions de l'ancien ministre des Finances, Rama Sithanen, visant à améliorer leur représentation. Cela demeure un défi majeur dans de nombreuses sociétés, y compris à Maurice. Malgré les progrès réalisés au fil des années, il reste encore beaucoup à faire pour garantir une participation équitable des femmes dans les sphères décisionnelles.
Alors que l'émancipation des femmes et l'équité sont au cœur des discussions, ces dernières rencontrent des difficultés à s'imposer pleinement sur l'échiquier politique. En effet, elles font toujours face à des obstacles systémiques qui limitent leur accès aux postes politiques. Des préjugés profondément enracinés, des stéréotypes de genre et des normes sociales discriminatoires entravent souvent leur progression dans le domaine politique.
Les partis politiques, largement dominés par des hommes, ont, en général, du mal à reconnaître la valeur et le potentiel des candidates, ce qui restreint leurs opportunités de se présenter aux élections. De leur côté, les militants de la cause féminine considèrent qu’il est grand temps de surmonter ces obstacles. Pour cela, il faut mettre en œuvre des mesures politiques et sociales visant à promouvoir l'égalité des sexes et à garantir un accès équitable aux postes politiques pour les femmes.
Apporter des changements majeurs
La députée du MMM, Karen Foo-Kune trouve que les suggestions de Rama Sithanen sont très pertinentes. Elle estime qu’il est important de mettre en place des quotas significatifs pour assurer une représentation équitable de la gent féminine comme cela a été le cas pour les collectivités locales. « Si on veut faire bouger les choses, il faut mettre des quotas. Il y a également des changements en profondeur à apporter pour inciter plus de femmes à s’intéresser à la politique », estime-t-elle.
Karen Foo-Kune met en avant le fait que les femmes ont une compréhension plus fine des enjeux spécifiques qui les concernent. « Le cerveau féminin fonctionne différemment. Elles font preuve d'empathie et ont une autre sensibilité par rapport à certaines questions. Avoir plus de femmes au parlement pourrait contribuer à résoudre les problèmes qui touchent plus de la moitié de la population de Maurice majoritairement féminine. Les hommes et les femmes doivent travailler en symbiose pour l’avancement de la société », fait-elle ressortir. Notre interlocutrice insiste également sur la nécessité de briser les stéréotypes qui perdurent depuis des années. Elle déclare : « Il faut aller à la source du problème. La structure patriarcale influence toujours les résultats politiques d'aujourd'hui, or des changements fondamentaux sont nécessaires ».
Quant à la députée du PTr, Stéphanie Anquetil, elle souligne que plusieurs femmes possèdent les capacités et les compétences requises pour s'engager en politique. Cependant, elles sont nombreuses à percevoir que la sphère politique est réservée à un certain type de personne. Elle explique : « Certaines estiment que rejoindre un parti politique et se porter candidate n'est pas une démarche facile, mais ce n'est pas vraiment le cas. Des initiatives sont en cours pour accroître la représentation des femmes au sein des comités exécutifs des partis politiques ». De plus, elle déplore aussi le fait que la représentation des femmes au Parlement reste un défi pour Maurice qui fait partie des mauvais exemples dans ce domaine, notamment en Afrique. « Il est crucial d'avoir des quotas pour garantir une représentation équitable des deux sexes en politique, comme cela a été le cas avec la loi sur le gouvernement local qui exige 30 % de femmes dans les conseils locaux », ajoute-t-elle.
Selon Stéphanie Anquetil, certains soutiennent que les femmes devraient pouvoir être élues par leurs propres mérites. Cependant, elle est d'avis qu'il faut légiférer pour apporter des changements significatifs. « Dans d'autres domaines, des femmes réussissent bien, mais elles rencontrent souvent des obstacles dans leur vie politique. Des soutiens familiaux et organisationnels peuvent jouer un rôle crucial dans leur succès en politique, mais sans quotas, les choses risquent de rester inchangées », affirme-t-elle.
Proposer une réforme électorale
Khushal Lobine, député du PMSD, est d’avis qu’il n’y a pas mal de chemin à parcourir pour encourager davantage de femmes à s'intéresser à la politique. « Une situation qui peut être imputée au stigmate associé au rôle qui leur est traditionnellement dévolu dans la société, les identifiant comme les principales responsables de leur foyer », fait-il remarquer. Selon lui, il est nécessaire de mener des études poussées pour comprendre ces problèmes en profondeur. « Le choix des femmes en politique est souvent limité, en partie en raison des blocages sociaux et des attentes familiales. Les femmes professionnelles, en particulier, peuvent être découragées par le manque de temps et de soutien familial, ainsi que par le climat politique souvent hostile », avance-t-il.
Notre interlocuteur croit en une vaste réforme électorale, qui pourrait inclure la proposition de Rama Sithanen, notamment la représentation proportionnelle, pour corriger certaines de ces anomalies et favoriser un meilleur équilibre entre les genres en politique. « À travers une grande réforme, on pourra mettre en place des garde-fous pour une meilleure représentation des femmes », indique Khushal Lobine. Ce dernier soutient également qu'il ne faut pas restreindre la politique à certaines catégories de femmes, mais encourager une participation diversifiée, incluant des femmes au foyer et des travailleuses agricoles, comme en Inde.
Silence radio des membres du gouvernement
Pour la rédaction de cet article, nous avons souhaité recueillir les points de vue des membres du gouvernement ainsi que de l'opposition. Nous avons donc pris l'initiative de contacter plusieurs ministres, PPS et députés de la majorité. Malheureusement, nos efforts se sont soldés par des échecs. Certains ont promis de revenir vers nous ultérieurement, tandis que d'autres ont simplement ignoré nos messages, sans fournir de réponse.
Chiffres à l’appui
Le Local Government Act de 2011 a introduit un quota de genre au niveau des collectivités locales pour assurer une représentation équilibrée. La loi stipule qu'au moins un tiers des candidats aux élections locales doivent être des femmes. Cependant, malgré cette avancée, elles restent largement sous-représentées sur le plan de la politique nationale.
Selon les chiffres de l’UN Women (2023) :
Des femmes occupent seulement 20 % des sièges au Parlement
Que 14,3 % des ministères étaient occupés par des femmes
Les propositions de Rama Sithanen
Lors d'un symposium organisé la semaine dernière par Gender Links et la Gender Equality Foundation, en collaboration avec l'Union européenne, Rama Sithanen a formulé des propositions visant à remédier au déficit démocratique en matière de représentation des femmes au Parlement. Parmi celles-ci, il a suggéré l'application d'un système de Best Loser basé sur le genre, qu'il considère comme une solution immédiate et efficace.
L’expert en matière électorale et ancien ministre des Finances est également revenu sur les nombreux obstacles auxquels les femmes sont confrontées lorsqu'elles envisagent de s'engager en politique, notamment l'accès limité aux ressources financières, l'usage d’un langage vulgaire et haineux en politique, ainsi que la violence domestique. Face à ces défis, il estime qu'il est impératif d'adopter des mesures concrètes pour favoriser la participation des femmes dans la sphère politique. Pour y parvenir, il a fait trois propositions :
- L'extension du système de Best Loser basé sur le genre.
- L'alignement des femmes dans chaque circonscription à moyen terme.
- La parité à long terme.
Rama Sithanen pense que le système de Best Loser basé sur le genre pourrait être mis en œuvre de manière simple : si le pourcentage de femmes au Parlement est inférieur à 33 % après les élections générales, les sièges de Best Loser pourraient être attribués en priorité aux femmes, en plus de prendre en compte la représentation communautaire.
Shirin Aumeeruddy-Cziffra, avocate chez Dentons, ancienne Attorney General et ministre des droits de la femme et du bien être de la famille
- Sir Anerood Jugnauth a déja voulu le faire en 2018 mais sans succès
Vous avez été parlementaire pendant 15 ans, quelles sont vos principales observations sur la représentation des femmes en politique, notamment au parlement ?
En 1976, nous étions trois députées sur 70, ce qui correspond à 4,3 % de femmes. En 1982 il y a eu deux élues et deux best losers sur 66 députés. On est donc donc passé à 6 %. Ce n'est qu'en 2005 qu'on a eu 12 femmes sur 70 parlementaires, soit 17,1 %. Aux dernières élections, 148 candidates se sont présentées dans les 21 circonscription et nous avons atteint les 20 % avec 14 députées sur 70. Pourtant, nous constituons 50,6 % de la population.
Quels obstacles spécifiques avez-vous identifiés qui freinent la participation des femmes dans la sphère politique et les empêchent d'accéder à des postes de pouvoir ?
Il est évident pour tous que nous vivons dans un système patriarcal qui contrôlait jusqu'à récemment tous les leviers du pouvoir. Aujourd'hui, si les choses ont évolué, c'est seulement dans la justice. Les partis politiques, dont les principaux sont contrôlés par des hommes, choisissent les candidats aux élections. Ils disent ne pas trouver de femmes valables. Or nous savons qu'à l'heure actuelle, il y a beaucoup de femmes qui ont l'ambition nécessaire et toutes les compétences pour jouer un rôle de premier plan en tant qu'élues, ministres ou à d'autres postes clés. Elles ne sont plus aussi timides qu'avant. Mais elles ne bénéficient pas du soutien des réseaux dont l'influence est due à l'argent, à l'implication dans le socio-culturel ou le religieux, ni peut-être d'autres lobbies.
Selon vous, quelles sont les mesures nécessaires pour encourager davantage de femmes à s'intéresser à la politique et à franchir les barrières qui limitent leur participation ?
J'ai écrit un livre qui s'intitule Femmes, de l'ombre à la lumière et dans lequel j'explique comment le patriarcat perpétue les stéréotypes et les clichés qui rabaissent l'image des femmes. On leur fait croire qu'elles ont des rôles définis dès leur naissance et on les culpabilise dès qu'elles osent s'aventurer en dehors des limites fixées par les hommes. Même les leaders les plus avant-gardistes ont capitulé face aux chantages de certains soi-disant détenteurs de la vérité qui interprètent les livres sacrés à leur avantage.
Moi-même, j'ai été victime de cela, mais j'ai persévéré. Je me suis surtout acharnée à travailler avec les femmes de toutes les convictions politiques et culturelles afin de favoriser la solidarité indispensable pour faire face aux conservateurs et aux traditionalistes.
Quels efforts peuvent être déployés au niveau gouvernemental pour créer un environnement politique plus inclusif et égalitaire, favorisant une représentation équitable des femmes au parlement ?
C'est le gouvernement qui décide et son rôle est de s'assurer que notre parlement reflète toutes les composantes du pays. Il doit donc légiférer pour qu'aux élections législatives, l'électorat puisse choisir des femmes autant que des hommes, comme cela a été le cas en 2011 pour les élections régionales. Le Local Government Act a été amendé de manière à ce que chaque parti politique présente au moins un tiers de candidats de chaque sexe dans chaque circonscription. Aujourd'hui, tout le monde parle de la diversité, de l'équité et de l'inclusion (DEI). Il y a des formations partout dans le secteur privé pour qu'on arrive à imposer ces notions à tous les niveaux afin de favoriser la bonne gouvernance. À ce sujet, les plus grands spécialistes expliquent que les entreprises ont intérêt à inclure des femmes à tous les échelons car il a été prouvé qu'elles sont non seulement compétentes, mais aussi très engagées, très disciplinées, et moins faciles à corrompre. Leur présence fait grimper le chiffre d'affaire.
Quelles expériences ou initiatives trouvez-vous efficaces pour stimuler l'engagement des femmes en politique et garantir leur succès dans ce domaine souvent dominé par les hommes
Pourquoi l'État ne pourrait-il pas emboîter le pas à l'avant-garde progressiste du secteur privé dans ce domaine en adoptant lui aussi les principes de la démocratie et de la bonne gouvernance ? Rama Sithanen dit que son entreprise emploie beaucoup de femmes et il me semble qu'il obtient de bons résultats. Tous les partis politiques sont interpellés aujourd'hui par les femmes et la société civile regroupant des femmes et des hommes féministes. Faut-il attendre que les femmes se liguent pour imposer leur volonté de servir leur pays ? Après tout, elles votent !
Que pensez-vous des propositions de Rama Sithanen, l’alignement des femmes dans chaque circonscription à moyen terme et la parité à long terme?
Rama Sithanen étudie la question de la réforme électorale depuis plusieurs décennies et maintient qu'il faut une parité hommes-femmes. Il propose un système proche de celui qui existe désormais pour les Local Government Elections en précisant, si j'ai bien compris, qu'il ne faut pas plus de deux candidats du même sexe dans chaque circonscription. Pour les élections locales, on a remplacé l'article 16(4) de la Constitution par les article 16(4)aa et 16(4)ab – ce dernier concerne Rodrigues. Rama Sithanen ajoute que si les partis politiques tiennent à respecter ce qu'il appelle les données « socio-démographiques », ils n'ont qu'à puiser dans les différents groupes communautaires pour présenter des candidates. Il y en a, bien sûr. D'ailleurs, les partis ont toujours fait cela, mais pas de façon systématique. Ainsi, j'ai été candidate à Rose Hill, où les musulmans étaient minoritaires, et certains disaient que je serais battue. Mais j'ai été élue sept fois dans cette région, aussi bien au niveau des législatives que des municipales.
Mais quid notamment d’un système de «Best Loser» étendu?
C'est nouveau. Rama Sithanen propose que si la proportion de femmes élues correspond à moins de 33 % du total, des sièges leur soient réservés, comme pour les « communautés ». Pour cela, il faudrait amender la Constitution, et notamment le 1st Schedule. Personnellement, je ne crois pas que ce sera possible étant donné que le Best Loser System est très ancré et qu'aucun parti politique sérieux ne pourrait envisager de le toucher avant longtemps, et encore moins de s'en débarrasser. Sir Anerood Jugnauth a déjà voulu le faire : en 2018, il a essayé sans succès de faire adopter un Constitutional Amendment Bill. Il est vrai que la formule proposée était difficilement acceptable pour l'Opposition parlementaire, naturellement méfiante.
Que pensez vous du système de best loser tel qu'il est actuellement ?
Nous sommes nombreux à penser qu'il faut se défaire de ce système qui est archaïque, même si au lendemain de l'Indépendance, il a pu rassurer certaines minorités. Ceux qui continuent à y tenir expliquent qu'il est indispensable pour l'équilibre d'un pays pluriel comme le nôtre. Je comprend cette crainte. Mais à Maurice, le vote a le plus souvent une motivation politique, et non ethnique ou autre. La majorité des électeurs votent pour un parti politique, ce qu'on appelle « vot blok ». Il y a aussi d'autres critères qui jouent, mais c'est un phénomène marginal.
Vous pensez que ce sera donc comme d'habitude cette fois encore ?
Difficile à dire. Mais les femmes doivent montrer leur force électorale car au fond, il n'y a que cela qui compte dans un pays démocratique. Devenir en quelque sorte un lobby. Mais il faut un groupe progressiste capable de dépasser tous les clivages pour favoriser le développement durable qui bénéficie au plus grand nombre et surtout être solidaire avec les plus démunis. Il faudrait aussi que la majorité qui sortira des urnes soit composée de femmes et d'hommes qui puissent rassurer le plus grand nombre en ce qui concerne le respect de tous leurs droits fondamentaux : droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !