Société

La recherche à la quête de boosters

Au fil des années, la recherche scientifique et académique a rendu possible de nombreuses innovations. Si dans les autres pays, on investit massivement dans la recherche, à Maurice ce secteur ne parvient toujours pas à prendre son envol. Et pourquoi donc ? Des experts nous éclairent. On dit souvent qu’on n’a pas inventé l’éclairage électrique en essayant d’améliorer la bougie. Toutes les grandes inventions qui rythment notre vie moderne ont été possibles grâce à des recherches scientifiques. Que ce soit dans le domaine de la médecine, de l’industrie ou de l’ingénierie, les efforts assidus fournis par les chercheurs ont porté leurs fruits à grande échelle. Le Smartphone, les interventions chirurgicales robotisées ou la connexion en fibre optique ne sont que quelques-unes des retombées positives des recherches. Alors qu’à l’étranger on double les investissements et on propose des mesures incitatives, le secteur de la recherche stagne à Maurice. Qu’est-ce qui explique cela ? Les chiffres de la Banque mondiale démontrent que nos investissements dans ce domaine sont de 0,18 % du Produit intérieur brut (PIB), comparé à 2,23 % pour la France et à 0,73 % pour l’Afrique du Sud. Malgré les annonces du nouveau gouvernement en ce qui concerne la relance de ce secteur, les mesures concrètes se font toujours attendre. De l’avis des experts, dont de nombreux universitaires, Maurice est très en retard sur le plan de la recherche.
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Les lacunes du système

Pour Dr Kaviraj Sukon, directeur de l’Open University of Mauritius, c’est le manque d’investissement qui freine le développement de la recherche à Maurice. Pourtant, nous disposons, selon lui, d’un capital intellectuel remarquable. « Ce retard est causé par un manque de mesures incitatives pour encourager la jeune génération d’intellectuels. Ces derniers doivent avoir l’opportunité de publier leurs travaux dans des journaux spécialisés et de participer à des recherches au niveau national », indique-t-il. Au fil des années, ajoute notre interlocuteur, ce manque d’initiative a fait que le secteur de la recherche n’arrive pas à bouger. « Il faut fournir aux universitaires de meilleures conditions pour qu’ils puissent participer à de tels exercices », insiste Dr Kaviraj Sukon. D’autres facteurs sont à prendre en considération, souligne, pour sa part, le Dr Harrish Bheemul, directeur de Train to Gain. Selon lui, à Maurice, la recherche reste à titre individuel alors que sur le plan international, elle se fait sous la bannière d’instituts nationaux tels que les centres de recherches, entre autres. « Il n’y a pas de structure robuste pour soutenir les efforts ou les activités de recherche. Il nous manque, définitivement, des centres de recherches spécialisés. Les exercices de recherche réalisés à titre individuel se heurtent à des problèmes tels que le manque de marketing et de reconnaissance internationale », dit-il. Pour notre interlocuteur, il y a également un manque de soutien du secteur privé. « Les recherches conduites par les auteurs mauriciens ne sont pas promues sur la scène internationale. C’est ce qui explique le fait que la plupart d’entre elles restent dans l’ombre », déplore le directeur de Train to Gain. Dr Kaviraj Sukon ajoute, lui, que c’est aussi le manque de collaboration entre les centres de recherches locaux et les instituts internationaux qui ralentit le secteur de la recherche à Maurice. « Le manque d’investissement dans ce domaine explique le fait que nous ne disposons pas d’appareils et d’outils sophistiqués. De ce fait, il est indispensable pour nous de travailler avec la collaboration d’instituts étrangers. Quand cette collaboration ne passe pas, la recherche stagne par manque de ressources », explique directeur de l’Open University of Mauritius.

Secteur actif à l’UoM

Les contraintes budgétaires sont également soulevées par la Pr Romeela Mohee, vice-chancelier de l’Université de Maurice (UoM). « Pour l’année 2015-2020, il n’a pas été possible d’allouer davantage de fonds pour les activités de recherche. Toutefois, il est à préciser que le secteur de la recherche est très actif à l’UoM, même si cela n’est pas connu à l’extérieur. C’est dans cet esprit que nous avons créé, en septembre 2015, un Knowledge Transfer Office », indique-t-il. Celui-ci, explique notre interlocuteur, est en charge du lien entre la recherche menée à l’université et le monde non universitaire. « Sa tâche consiste non seulement à veiller à la diffusion, à la mobilisation et au transfert des connaissances vers la société mais aussi à créer des collaborations et des échanges entre la société et l’université », affirme la Pr Romeela Mohee.

Sortir des sentiers battus

Comment relancer ce secteur ? Le soutien des experts étrangers est indispensable, avance Dr Kaviraj Sukon. « Les autorités concernées doivent travailler sur des moyens pour attirer les chercheurs réputés sur le plan international d’instituts connus. Toutefois, de telles visites coûtent cher. En général, ce sont les décideurs qui peuvent relancer ce secteur. Ces derniers doivent être au courant du statut de la recherche sur le plan mondial. Ils doivent aussi être conscients du rôle de la recherche dans le développement du pays », dit-il. L’Université de Maurice a pris les devants en mettant en place plusieurs mécanismes pour encourager les membres du personnel académique à s’engager dans la recherche. « Outre le financement annuel de nos facultés et de nos centres, nous avons aussi le Academic Staff Development Scheme qui permet à nos membres du personnel académique d’assister à des conférences et d’entreprendre leur doctorat. Une politique sur les ‘Research Credits’ a récemment été proposée dans le but de valoriser la contribution du personnel académique dans le monde de la recherche », affirme la Pr Romeela Mohee. Le vice-chancelier de l’Université de Maurice précise également que les académiciens de cette université sont aussi encouragés à entreprendre des recherches en collaboration avec les acteurs de l’industrie ainsi que les organisations externes. Les mesures entreprises par UOM pour relancer la recherche ont porté leurs fruits, insiste-t-elle. « 136 projets ont été entrepris de 2012 à 2015. Il y a aussi 39 projets de recherche qui ont été financés par des organismes externes, pour la même période. Les sources de financement externes proviennent d’organisations locales, telles que le Mauritius Research Council (MRC), et des organismes étrangers tels que l’International Atomic Energy Agency (AIEA), l’UNESCO, l’Union européenne et l’Organisation mondiale du commerce. Certains projets de recherche sont également entrepris avec la participation d’autres institutions », fait-elle valoir.
 

Une école doctorale bientôt lancée

Une école doctorale, responsable de la gestion globale des licences de troisième cycle de recherche, sera bientôt mise en place à l’Université de Maurice, soutient la Pr Romeela Mohee. Celle-ci aura pour objectif de rendre la recherche interdisciplinaire plus active parmi les universitaires. « Pour favoriser le ‘capacity building’ en matière de recherche, nous avons aussi mis en place un ‘International Visiting Lecturer Scheme’. Le recrutement de quatre membres de faculté (de l’étranger) a été approuvé par le Conseil de l’UoM en octobre 2015 », explique le vice-chancelier de cette institution.
 

Leela Devi Dookun-Luchoomun, ministre de la Recherche scientifique: « Relancer ce secteur est l’une de nos priorités »

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"8258","attributes":{"class":"media-image alignnone size-full wp-image-16121","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1920","height":"1080","alt":"Leela Devi Dookun-Luchoomun"}}]] Le département de la recherche sous la houlette de la ministre Dookun-Luchoomun travaille de concert avec le Mauritius Research Council et les universités publiques pour motiver les chercheurs locaux à s’engager dans la recherche. Bien que ce département soit rarement sous les feux des projecteurs, il fonctionne comme il se doit, assure-t-elle. « Relancer la recherche est l’une des priorités du ministère. Nous avons pris plusieurs mesures incitatives, notamment les subventions pour motiver les chercheurs locaux. Par ailleurs, nous travaillons en étroite collaboration avec les institutions concernées pour booster ce secteur », affirme la ministre. Encourager la recherche est une chose et savoir dans quel domaine s’y lancer en est une autre, soutient Leela Devi Dookun-Luchoomun. « La recherche doit d’être appliquée, engagée et basée sur les valeurs éthiques.  L’objectif de tels exercices doit être, avant toute chose, de trouver des solutions à des problèmes auxquels nous sommes confrontés étant une société en constante évolution. La recherche doit contribuer à l’avancement de notre économie. Il existe à Maurice plusieurs secteurs prometteurs sur lesquels nous devons absolument nous attarder tels que l’économie océanique, la biotechnologie, les énergies renouvelables et les changements climatiques, entre autres. La connaissance est un atout pour l’avancement de notre nation. Sur ce plan, nous avons tous un rôle à jouer », conclut-elle.
 

Dr Arjoon Suddhoo, directeur du Mauritius Research Council: « Un fonds de Rs 100 m est alloué à la recherche »

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"8259","attributes":{"class":"media-image alignnone size-full wp-image-16122","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1920","height":"1080","alt":"Dr Arjoon Suddhoo"}}]] Quelles sont les fonctions du Mauritius Research Council ? Notre rôle est de promouvoir la recherche sur le plan national. Nous nous engageons également à fournir les conditions nécessaires pour de telles activités. Toutefois, il faut préciser que notre centre d’intérêt porte avant tout sur des recherches appliquées. En d’autres mots, nous ne nous attardons pas sur les recherches académiques, mais plutôt sur des domaines qui concernent l’ensemble de la population et dont les retombées contribueront au développement du pays. Il s’agit de secteurs comme les énergies renouvelables, entre autres. Nos recherches sont principalement axées sur les maux de la société. Nous tentons de trouver des solutions à des problèmes tels que les embouteillages, l’optimisation de nos ressources naturelles, entre autres. Par ailleurs, nous encadrons les sociétés ou les organisations non gouvernementales qui souhaitent se lancer dans la recherche. Les projets sont d’abord examinés et s’ils répondent à nos critères, ils peuvent être subventionnés à la hauteur de Rs 5 millions. Nous avons actuellement 18 plans de recherches et un portfolio de 500 projets. Quelles sont les spécificités de Maurice sur le plan de la recherche ? Il existe de nombreux secteurs prometteurs à Maurice. Toutefois, pour que ceux-ci se développent, la recherche est primordiale. Par exemple, nous avons l’économie océanique. Nous disposons d’un vaste territoire océanique qui ne demande qu’à être exploité. Mais pour que cela soit rentable, nous ne pouvons pas procéder au petit bonheur. C’est dans ce contexte qu’intervient la recherche. Les retombées nous aideront à optimiser au maximum cette ressource. D’un autre côté, nous avons le secteur des énergies renouvelables auquel nous devons accorder une attention particulière. Notre climat tropical est un atout énergétique que nous devons absolument exploiter. La biotechnologie est aussi un domaine sur lequel nous devons nous attarder. Notre but n’est pas de cumuler des recherches uniquement pour remplir les placards. Nous devons apporter des solutions qui visent à améliorer la vie de chaque citoyen. Quelles sont les mesures concrètes pour relancer ce secteur ? Il est vrai que l’investissement dans ce secteur est relativement bas. Mais pour qu’il y ait plus d’investissements, il est de notre rôle de promouvoir le secteur. Le secteur privé est un partenaire privilégié. Cependant, les entreprises et les sociétés privées n’investissent pas à l’aveugle. Notre tâche est alors de créer un réseau de contact entre le secteur privé et les chercheurs. La communication est très importante. Le Mauritius Research Council dispose d’un budget de Rs 12 millions par an. Par ailleurs, nous avons un fonds de Rs 100 millions alloué à la recherche, et géré par le ministère.
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