 
          La double réduction des taux américains relance le débat à Maurice. Entre inflation persistante, ralentissement économique et stabilité de la roupie, la Banque centrale devra trancher en novembre.
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La Réserve fédérale américaine (Fed) a confirmé, le 29 octobre, une nouvelle réduction de son taux directeur d’un quart de point. Celui-ci se situe désormais entre 3,75 % et 4 %. Cette décision, la deuxième en un peu plus d’un mois, s’inscrit dans une stratégie d’assouplissement monétaire engagée depuis septembre. En parallèle, la banque centrale américaine a indiqué qu’elle mettrait fin, à partir du 1er décembre, à la réduction de son bilan.
Cette orientation intervient dans un contexte de ralentissement économique et de tensions sur le marché de l’emploi aux États-Unis. Après avoir maintenu une politique stable durant une grande partie de l’année, la Fed a changé de cap face à la décélération des créations d’emplois. L’objectif affiché est de soutenir l’activité économique, même si l’inflation reste supérieure à la cible de 2 %. Cette approche illustre un dilemme : réduire les taux pour stimuler la croissance, au risque d’entretenir des pressions inflationnistes.
La situation budgétaire américaine complique davantage la lecture des indicateurs économiques. La paralysie politique à Washington prive la Fed de certaines données essentielles, ce qui la pousse à agir avec prudence. Son président, Jerome Powell, a d’ailleurs souligné qu’une troisième baisse consécutive des taux en décembre n’était pas garantie. L’incertitude domine donc la trajectoire monétaire américaine à court terme.
Taux d’intérêt
À Maurice, cette évolution suscite des interrogations quant à la décision que pourrait prendre la Banque de Maurice lors de la prochaine réunion de son comité de politique monétaire, en novembre. La question principale est de savoir si la baisse des taux américains pourrait inciter les autorités mauriciennes à suivre la même voie.
Pour Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’ANNEAU, la situation locale ne se prête pas à une réponse automatique. Selon lui, « l’environnement inflationniste et la diminution de la croissance » doivent guider la réflexion. Il rappelle qu’après un creux de 2,5 % en mars 2025, l’inflation globale est repartie à la hausse, atteignant 3,4 % en septembre.
Cette remontée limite la marge de manœuvre de la Banque centrale. Un maintien du taux directeur actuel, le Key Rate, créerait une différence positive avec les taux américains, ce qui renforcerait la roupie. « Si la priorité de la Banque centrale est d’apprécier la roupie, le statu quo semble la meilleure option », estime Amit Bakhirta.
Cependant, il souligne également que la croissance montre des signes de ralentissement. La consommation diminue et le niveau des taux d’intérêt demeure relativement élevé par rapport à la dynamique économique. Dans ce contexte, « une baisse de 25 points de base pourrait être bénéfique à la croissance », avance-t-il. Il met toutefois en garde contre les incertitudes liées à l’économie mondiale, notamment une éventuelle contraction aux États-Unis, qui pourrait peser sur la demande internationale.
Situation complexe
Alexandre Sanchini, CEO de Blue Ship Capital, partage une lecture plus prudente. Selon lui, les dynamiques économiques diffèrent d’une région à l’autre. Aux États-Unis, la baisse des taux s’explique avant tout par les inquiétudes concernant l’emploi et une inflation désormais maîtrisée. À Maurice, la Banque centrale s’appuie sur d’autres indicateurs : principalement l’inflation et la croissance. « Le contexte mauricien est plus délicat », indique-t-il. Une réduction du Key Rate pourrait stimuler l’économie à court terme, mais risquerait aussi d’alimenter l’inflation et de fragiliser la roupie. « Les taux à Maurice ne sont pas excessivement élevés. On ne peut pas vraiment se permettre de les réduire dans les conditions actuelles », ajoute-t-il.
Selon l’économiste Bhavish Jugurnath, la baisse du taux américain traduit un infléchissement du cycle économique mondial. « Les autorités américaines répondent à un ralentissement de la croissance et à une modération de l’inflation », explique-t-il. Pour lui, ce mouvement a un effet d’entraînement global. « Lorsque les taux d’intérêt américains diminuent, les conditions de financement mondiales tendent à s’assouplir. Le dollar se stabilise ou s’affaiblit légèrement, et les capitaux cherchent des rendements plus attractifs ailleurs. » Dans ce contexte, dit-il, Maurice pourrait bénéficier d’une certaine marge de manœuvre monétaire. Le pays affiche une inflation en recul et une activité économique soutenue par les secteurs du tourisme, de la construction et des services financiers. Bhavish Jugurnath estime que la Banque de Maurice (BoM) pourrait envisager, à moyen terme, une détente graduelle de sa politique monétaire. « Dans un environnement international plus accommodant, la BoM dispose d’un espace supplémentaire pour ajuster son taux directeur, tout en préservant la stabilité financière et la crédibilité de la roupie », analyse-t-il.
Le Comité de politique monétaire (MPC), qui se réunira en novembre, sera confronté à un choix délicat : favoriser la croissance en réduisant le coût du crédit, ou maintenir des taux élevés pour contenir l’inflation et éviter toute pression sur la devise nationale. « Si l’inflation continue de se modérer, une baisse symbolique de 25 points de base pourrait être envisagée. Mais la Banque centrale pourrait tout aussi bien opter pour une approche prudente, attendant le premier trimestre 2026 avant d’agir », nuance l’économiste. Il souligne cependant un élément clé. « Le signal envoyé par la Réserve fédérale est clair — le monde entre dans une phase de politique monétaire plus souple. Maurice peut saisir cette occasion pour soutenir sa croissance sans compromettre sa stabilité. »
De son côté, l’économiste Manisha Dookhony replace cette évolution dans un contexte plus large. « La deuxième baisse consécutive de la Fed s’inscrit dans un mouvement d’assouplissement observé également au Canada et dans certaines économies asiatiques, alors que la Banque centrale européenne, elle, reste plus rigide », dit-elle. Pour elle, ce contraste international crée un environnement à double tranchant pour Maurice. D’un côté, la détente américaine réduit la pression sur les flux de capitaux et pourrait encourager un retour des investissements de portefeuille. De l’autre, la BoM doit ménager un équilibre délicat.
« Sa priorité demeure la maîtrise d’une inflation encore trop élevée, même si elle ralentit. Et surtout, elle doit veiller à conserver un différentiel de taux suffisant avec les États-Unis pour éviter la dépréciation de la roupie et la fuite de l’épargne locale vers le dollar. »
Ainsi, le MPC se trouve face à un dilemme : répondre aux attentes des ménages et des entreprises, qui espèrent un allègement du coût du crédit, tout en maintenant la confiance des marchés et la stabilité de la monnaie. La nomination récente d’une nouvelle gouverneure à la tête de la Banque de Maurice ajoute une part d’incertitude à la prochaine décision. Les équilibres entre stabilité monétaire, soutien à la croissance et préservation de la valeur de la monnaie seront déterminants.
Impact sur la roupie
La récente décision de la Réserve fédérale américaine d’abaisser à nouveau son taux directeur suscite de nombreuses interrogations sur l’évolution du taux de change entre la roupie mauricienne et le dollar américain. Alors que les marchés digèrent ce virage monétaire, les analystes divergent sur les effets que cette orientation pourrait avoir sur la monnaie locale.
Selon le dernier Actuarix Investment Dashboard, au cours du trimestre clos en septembre, le dollar américain et l’euro se sont tous deux appréciés de 1,3 % par rapport à la roupie, tandis que la livre sterling a reculé de 0,9 %. L’indice Bloomberg Dollar Spot, qui mesure la performance du billet vert face à un panier de dix devises mondiales, est resté globalement stable, progressant de 0,9 % depuis le début du trimestre. Cette stabilité reflète l’incertitude persistante autour des intentions futures de la Fed. Pour Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’ANNEAU, la tendance pourrait néanmoins s’inverser. Il estime que la poursuite de la baisse des taux américains pourrait affaiblir davantage le dollar, amorçant un mouvement favorable à la roupie. « Techniquement, la roupie devrait s’apprécier », souligne-t-il, rappelant que le billet vert recule face à la plupart des devises depuis l’année dernière. Alexandre Sanchini, CEO de Blue Ship Capital, adopte une vision différente. À ses yeux, l’attractivité d’une monnaie diminue effectivement lorsque les taux baissent. « Le dollar est déjà particulièrement faible cette année. Ce n’est pas certain qu’il continue à se déprécier. Le dollar est très stable contre la roupie depuis le début de l’année. Ce sont deux monnaies qui sont assez faibles en 2025. Le dollar baissé contre pratiquement toutes les monnaies de référence du monde. C’est le souhait du gouvernement américain d’avoir un dollar faible », avance Alexandre Sanchini. Toujours selon lui, la roupie ne devrait pas s’apprécier contre le dollar ni se déprécier. « On devrait avoir un taux de change roupie dollar relativement stable dans les mois qui viennent », ajoute-t-il.
Pour sa part, Bhavish Jugurnath explique que le résultat final dépendra largement de la réaction de la Banque de Maurice. « Si la BoM baisse son taux directeur, l’écart avec celui des États-Unis se resserrera. Ce qui pourrait limiter toute appréciation de la roupie. Mais dans le même temps, la détente américaine réduit les pressions extérieures sur notre devise », analyse-t-il. Dans ce scénario, la roupie mauricienne devrait rester globalement stable, soutenue par des fondamentaux économiques solides et une politique monétaire prudente. Cette stabilité constitue un atout crucial pour les entreprises importatrices et pour les consommateurs, car elle limite la volatilité des prix intérieurs.Manisha Dookhony souligne que le taux de change ne dépend pas uniquement des politiques monétaires, mais aussi des prix internationaux de l’énergie. Elle évoque notamment la chute du prix du pétrole. « Avec le Brent autour de 64 dollars le baril, un niveau comparable à celui observé durant la pandémie, une forte pression désinflationniste s’exerce sur l’économie mondiale », soutient-elle. Or, le pétrole étant un intrant universel, sa baisse se répercute du transport à la production sur l’ensemble de la chaîne logistique. « Même si cette baisse n’a pas encore été pleinement transmise aux consommateurs à Maurice, elle pourrait, si elle se concrétise à la pompe, contribuer à freiner l’inflation importée et à stabiliser davantage la roupie », explique-t-elle. Pour elle, une roupie légèrement renforcée combinée à un pétrole moins cher offrirait un double avantage : réduire les coûts des importations et ouvrir la voie à une éventuelle baisse du taux directeur local. « Tout dépendra aussi des décisions du Petroleum Pricing Committee, dont la prochaine réunion sera scrutée de près par la Banque centrale », fait-elle comprendre.
 
 
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